Aux assises de Paris, retrouvailles confuses entre ex-chefs de guerre libériens

Alieu Kosiah n'est pas un témoin comme les autres: seul chef rebelle condamné pour les crimes de la guerre civile libérienne, il a défendu vendredi aux assises de Paris son ex-compagnon d'armes Kunti Kamara, et plaidé sa propre cause.

Carrure massive, verbe haut, l'ancien "officier supérieur" du Mouvement unifié pour la démocratie au Liberia (Ulimo) n'a pas digéré le verdict du tribunal suisse qui l'a condamné, en juin 2021, à vingt ans de prison pour "traitements inhumains" et pour avoir ordonné ou participé à 19 meurtres. Il a fait appel.

Selon ses dires, ce procès, le premier consacré au sanglant conflit libérien (1989-1996), était digne "de la Corée du Nord" et tronqué par les agissements "criminels" de l'ONG Civitas Maxima, qui a porté plainte en Suisse contre lui et en France contre M. Kamara.

"Ils sont allés manipuler des gens au Liberia", "on a mis des mots dans ma bouche"... Décousu, son long plaidoyer désarçonne le président de la cour qui peine à ramener les débats vers Kunti Kamara, lui aussi un ex-membre de l'Ulimo, jugé à Paris pour des exactions commises en 1993-1994 au Liberia.

L'ironie veut que ce sont des déclarations de M. Kosiah aux enquêteurs suisses qui ont permis de retrouver M. Kamara, longtemps réfugié aux Pays-Bas et arrêté à Bobigny en 2018.

"C'est moi qui l'ai mis dans le pétrin. J'ai dit +demandez à Kunti, il est en Hollande+", se souvient le témoin de 47 ans.

Jugé pour actes de tortures et complicité de crimes contre l'humanité, M. Kamara est notamment accusé d'avoir participé aux sévices infligés à un civil, dont il aurait mangé le coeur avec d'autres chefs de guerre.

Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

"Je peux vous dire que Kunti Kamara n'a pas fait ça", certifie Alieu Kosiah, qui met en doute tout acte de cannibalisme pendant la guerre, en utilisant un singulier argument.

"Je ne pense pas que ce soit possible, je pense qu'aucun être humain ne peut manger un coeur cru", argumente-t-il.

Le président de la cour Thierry Fusina ne cache pas son incrédulité. "Mais cuit, ça ne poserait pas de problème ?"

- "Business as usual" -

En réponse, le témoin tente une comparaison avec le coeur d'une chèvre, qui serait tout aussi peu digeste. Sans convaincre.

Une nouvelle fois, le président tente de recadrer les débats. "Le problème est de savoir si des populations civiles ont été victimes d'atrocités pendant la guerre", explique-t-il avant de l'interroger sur le supplice du "tabeh".

Depuis le début du procès, cette torture, qui consiste à lier les coudes d'une personne dans son dos jusqu'à faire ressortir la cage thoracique, a été mentionnée par plusieurs victimes de l'Ulimo. Mais Alieu Kosiah assure que seul le groupe rebelle de Charles Taylor, auquel il était opposé, s'y livrait.

Et la pratique généralisée des viols, dont devra répondre Kunti Kamara ?

Là encore, la réponse du témoin désarçonne. "Selon moi, cette question est trop compliquée pour que des Blancs jugent cela", lance à la barre M. Kosiah, "la guerre civile en Afrique n'est pas comme en Europe".

Interrogé sur sa fuite hors du Liberia après 1996, son témoignage se perd en nouvelles digressions. Avant de s'installer en Suisse, il explique être passé par la France pendant la Coupe du monde 98 et croit utile de "s'excuser" d'avoir soutenu, en finale, l'équipe du Brésil.

Des rires éclatent dans la salle et l'avocate des parties civiles réinsuffle une certaine gravité aux débats en énumérant les faits dont M. Kosiah a été reconnu coupable: confirmez-vous avoir été condamné pour 19 meurtres, des pillages, un viol?, l'interroge Me Sabrina Delattre.

"Bien sûr", est-il contraint de répondre, "ce sont les faits mais j'ai fait appel."

Et quid du recours aux enfants soldats par l'Ulimo? Le témoin, qui dit avoir commencé à combattre à 15 ans, ne le nie pas. "C'était business as usual".

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