Pour combattre l'inflation record, la Banque centrale européenne a poursuivi jeudi le relèvement agressif de ses taux directeurs et posé les premiers jalons de l'étape suivante: réduire la taille de son bilan gonflé après des années de politique anti-crise.
Pourquoi le bilan de la BCE a-t-il tant enflé ?
Pendant les années de très faible inflation qui ont suivi la crise de 2008, puis à cause du choc causé par le Covid-19, la Banque centrale européenne a lancé des mesures exceptionnelles pour stimuler l'économie.
En rachetant massivement de la dette souveraine et privée sur le marché secondaire, la BCE a contribué à abaisser les coûts d'emprunt et soutenir les prix.
Il y a d'abord eu le programme d'"assouplissement quantitatif" (QE) à partir de 2015 puis le programme d'urgence "PEPP" pendant la première phase de la pandémie.
Durant cette période, trois vagues de prêts géants et bon marché ("TLTRO") ont aussi été accordées aux banques, en escomptant en retour qu'elles prêtent suffisamment d'argent aux entreprises et ménages.
Résultat : l'institut francfortois et les 19 banques centrales de la zone euro affichent un bilan colossal d'environ 8.800 milliards d'euros, dont 7.000 milliards liés à cette généreuse politique monétaire. Le stock de dette acquise porte sur 5.000 milliards d'euros contre environ 2.000 milliards pour les prêts "TLTRO" en portefeuille.
Pourquoi s'infliger une cure de minceur?
Tant que la BCE réinvestit la dette à échéance ou qu'elle conserve des prêts très bon marché en portefeuille, elle poursuit son action d'aplatissement des taux d'emprunts sur le long terme. Cela n'est plus en phase avec la remontée des taux à court terme qu'elle utilise désormais pour freiner l'inflation débridée.
Il va falloir tourner la page de cette politique monétaire héritée du passé en lançant une réduction conséquente de la taille du bilan. Ce sera "un signal supplémentaire de la "détermination (de la BCE) à assurer un retour rapide de l'inflation vers l'objectif de 2%", selon le président de la Banque fédérale d'Allemagne Joachim Nagel.
Comment s'y prendre?
La BCE va amorcer ce nouveau chantier en incitant les banques à rembourser plus tôt les en-cours de prêts "TLTRO", dont les échéances s'étalent jusqu'à fin 2024, avec 1.000 milliards environ rien que pour le premier semestre de 2023.
Pour cela les taux facturés au titre de la dernière vague de TLTRO, lancée en 2019, vont être relevés à compter de novembre.
Cela va éliminer l'intérêt pour les banques de placer à Francfort leurs liquités excédentaires qui leur rapportent actuellement de juteux produits d'intérêt.
Les coûts de financement des banques renchéris, ceux du crédit vont suivre, ce qui devrait abaisser la pression sur l'inflation.
L'autre remède envisagé, le "resserrement quantitatif" ("Quantitative tightening" ou QT) sera enclenché une fois achevé le cycle de relèvement des taux.
A ce moment là, la BCE arrêterait de réinvestir les montants issus des remboursements des titres de son portefeuille qui sont arrivés à échéance.
Mais avant d'en arriver là, il reste "du chemin à parcourir", a prévenu jeudi Mme Lagarde.
En décembre, l'institut décidera des contours de ce "resserrement quantitatif".
Reste à savoir si la BCE penchera pour la méthode passive adoptée par la Réserve fédérale américaine, qui ne renouvèle pas les emprunts à échéance, où pour la méthode active de la Banque d'Angleterre, qui compte vendre des titres en portefeuille sur le marché.
Des écueils possibles
Le moment choisi pour rétrécir le bilan n'est pas idéal. Les investisseurs se demandent s'ils vont combler le vide laissé par la BCE sur le marché alors que leur capacité de prendre des risques à leur bilan est limitée en raison de contraintes réglementaires.
Un autre risque est de voir les taux d'emprunt souverains, de pays fragiles surtout, se tendre pendant ou parce que la BCE sera en train de plier bagages. C'est alors que les réinvestissements souples entre pays, permis par le programme "PEPP", voire le déclenchement du dernier outil né, le "TPI" pour tuer dans l'oeuf une nouvelle crise de l'euro, pourraient venir à la rescousse.
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TPI