Kosovo : première condamnation pour crimes de guerre à La Haye

Salih Mustafa a été reconnu coupable de meurtre, de torture et de détention arbitraire dans une prison administrée par la guérilla indépendantiste albanaise du Kosovo, l’UCK, au pouvoir à Pristina depuis la guerre d'indépendance de 1998-1999 contre la Serbie. Il s’agit du premier verdict pour crimes de guerre par les Chambres spécialisées pour le Kosovo, basées à La Haye (Pays-Bas) et créées en 2015. L’ancien commandant Mustafa a écopé de 26 ans de prison.

Salih Mustafa
Salih Mustafa, ancien commandant dans l'Armée de libération du Kosovo, a été condamné à 26 ans de prison pour crimes de guerre, le 16 décembre 2022. © Peter Dejong / Pool / AFP
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Le tribunal spécial pour le Kosovo à La Haye (Pays-Bas) a rendu son premier verdict pour crimes de guerre vendredi en condamnant à 26 ans de prison un ancien commandant rebelle qui torturait des prisonniers.

Salih Mustafa, 50 ans, a été reconnu coupable de meurtre, de torture et de détention arbitraire de détenus dans une prison de fortune dirigée par la guérilla indépendantiste albanaise du Kosovo, lors de la guerre d'indépendance de 1998-1999 contre la Serbie.

M. Mustafa et ses hommes ont sauvagement battu des Albanais du Kosovo accusés de collaborer avec des Serbes. L'un d'entre eux a même été laissé pour mort, selon le jugement.

Le verdict est une "étape importante" pour le tribunal, créé en 2015, car il s'agit du premier jugement pour crimes de guerre de cette juridiction, a précisé la juge présidente Mappie Veldt-Foglia.

Le tribunal "vous condamne à une peine unique de 26 ans d'emprisonnement", a-t-elle déclaré en s'adressant à M. Mustafa, debout devant les magistrats, visage fermé.

Le tribunal spécial pour le Kosovo (KSC) est une instance de droit kosovar composée de juges internationaux. Financé par l'UE, il siège aux Pays-Bas pour protéger les témoins soumis à des pressions et des menaces, étant donné que les anciens commandants de l'Armée de libération du Kosovo (UCK) dominent toujours la vie politique au Kosovo.

Le verdict survient alors que des tensions ethniques ont de nouveau éclaté au Kosovo près d'un quart de siècle après la guerre.

"Brûlé, électrocuté, poignardé"

M. Mustafa, arrêté en 2020 alors qu'il travaillait comme conseiller au ministère de la Défense, était pendant la guerre à la tête d'une unité de l'UCK dans la région de Zllash, à l'est de la capitale Pristina.

Cette unité a détenu au moins six personnes "dans des granges pour animaux, dans des conditions déplorables au milieu d'excréments de bétail", a déclaré la juge.

Les prisonniers n'avaient d'autre choix que de dormir dans des flaques d'eau, privés de nourriture pendant plusieurs jours, et lorsqu'ils ont demandé de l'eau, les soldats de l'UCK "ont uriné sur eux en disant :+ Voici de l'eau pour vous+", a relaté la magistrate.

"Les détenus ont été battus, frappés avec des battes de baseball, des matraques en fer et en caoutchouc, ils ont été brûlés, électrocutés, poignardés, frappés à coups de poing et giflés", a-t-elle ajouté.

M. Mustafa a personnellement interrogé deux détenus. Il a tabassé l'un d'eux et l'a soumis à un simulacre d'exécution. Il était également présent pendant que ses hommes maltraitaient d'autres prisonniers.

"Peur et intimidation"

La juge Mappie Veldt-Foglia, qui espère que le verdict "favorisera la réconciliation" au Kosovo, a fait état du "climat de peur et d'intimidation" entourant le procès. Le tribunal de La Haye a l'an dernier condamné deux hommes à des peines de prison pour intimidation de témoins.

La juridiction a porté des accusations de crimes de guerre contre plusieurs hauts responsables de l'UCK, dont l'ancien président du Kosovo Hashim Thaci (2016-2020), qui a démissionné après avoir été inculpé mais est toujours considéré comme un héros dans son pays.

Thaci et d'autres hauts dirigeants de l'UCK ont comparu devant le tribunal plus tard vendredi pour une audience préliminaire en attendant la date de leur procès.

La guerre du Kosovo, qui a fait 13.000 morts, a pris fin lorsque les forces du président serbe Slobodan Milosevic se sont retirées après une campagne de bombardements de l'OTAN de onze semaines.

Bien que le Kosovo ait déclaré son indépendance de la Serbie en 2008, Belgrade ne la reconnaît pas et encourage la majorité serbe du nord du pays à défier l'autorité de Pristina.