Dossier spécial « L'humanité à l'heure du crime colonial »

Passé colonial belge : pourquoi la commission a dû ravaler ses excuses

Deux ans et demi à interroger les mémoires, mais pas moyen de trouver un consensus politique pour des excuses aux victimes. Alors qu’elle faisait figure de pionnière en Europe, la commission sur le passé colonial belge s’est effondrée sur la ligne d'arrivée, fin décembre, dépossédée de toutes ses recommandations savamment formulées.

Passé colonial belge - Photo en noir et blanc dans laquelle le Roi Baudouin et la Reine Fabiola de Belgique sont assis sur des fauteuils portés par des congolais en tenues traditionnelles.
Le Roi Baudouin et la Reine Fabiola de Belgique se promènent sur leurs palanquins lors d'une visite à Kisangani, au nord-est du Congo, en 1970. © Belga / AFP
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L'affaire a fait couler beaucoup d'encre en Belgique. Fin décembre, le président de la commission parlementaire chargée de faire la lumière sur le passé colonial belge, l'écologiste flamand Wouter De Vriendt, annonce que les excuses officielles aux victimes du colonialisme ne sont pas approuvées. Il s'agissait pourtant de la recommandation la plus forte ressortant des travaux de cette commission parlementaire pionnière en Europe, installée en juin 2020, dont l’ambition était de faire face au passé colonial belge, de réparer et d’indemniser.

Durant plus de deux ans, les parlementaires ont auditionné près de 300 personnes (principalement des experts en histoire, en droit et en socio-politique mais aussi des représentants des diasporas) et se sont rendus en République démocratique du Congo, au Rwanda et au Burundi. Ils ont tenté d'éclaircir les dernières zones d'ombre de la période coloniale, afin de parvenir, in fine, à formuler des recommandations destinées à réparer et à réconcilier.

Difficile d’imaginer le début d’une réparation sans que soient formulées des excuses officielles. C'est pourtant là que la commission a buté, ne parvenant pas à réunir une majorité de votes, plusieurs commissaires ayant quitté la session. L'échec résonne au moins autant que l'annonce des grandes ambitions qui étaient visées par cette enquête éprouvante, dont les travaux ont permis d'arriver à la conclusion que, sans conteste, de nombreux crimes et d'importantes spoliations ont été commis durant la colonisation. La Belgique est apparue d’autant plus médiocre qu'au même moment le gouvernement des Pays-Bas reconnaissait sa responsabilité pour son passé esclavagiste, présentant des excuses et annonçant la création d’un fonds de réparation.

Rétropédalage des partis libéraux

Que s'est-il passé ? Tout a basculé le 19 décembre quand, au moment de voter les 128 recommandations, les commissaires des partis libéraux ont quitté la session. La « Vivaldi » comme on l'appelle, soit la coalition fédérale (constituée des partis PS, Vooruit, CD&V, Open VLD, MR, Ecolo et Groen) était divisée sur la recommandation principale, celle des excuses, libellée comme suit : « La Chambre présente ses excuses aux peuples congolais, rwandais et burundais pour la domination et l'exploitation coloniales, les violences et les atrocités, les violations individuelles et collectives des droits humains durant cette période, ainsi que le racisme et la discrimination qui les ont accompagnées ».

Les libéraux – MR, pour Mouvement réformateur, et Open VLD – y étaient clairement opposés. Tandis que les Chrétiens démocrates flamands -  le CD&V - préféraient s'en tenir aux « regrets » exprimés par le Roi des Belges en juin 2022. Pour ces partis, le risque de devoir assumer des réparations financières immenses était jugé trop élevé.

« Nous avions un consensus sur des excuses, et puis soudainement les forces conservatrices ont fait marche arrière », a relaté à la presse Christophe Lacroix, député du Parti socialiste (PS), membre de la commission. Selon son président, Wouter De Vriendt (du parti Groen – Vert), des pressions ont été exercées de l'extérieur. « Il était clairement et ouvertement dit au sein de la majorité qu'il y a eu des contacts et des blocages de la part de plusieurs acteurs, dont les présidents de parti, mais aussi du Palais royal », a-t-il déclaré au lendemain de la séance de vote. Les partis libéraux ont répondu que leur position par rapport à l'éventualité d'excuses officielles était claire dès le début, tandis que, du côté du Palais royal on a démenti toute pression.

Outre la recommandation sur les excuses, toutes les autres ont été balayées dans la foulée. A savoir, l'instauration d'une journée de commémoration, la confection d'un monument en hommage aux victimes des « zoos humains », la création d'un centre de connaissance, l'octroi de bourses d'études, la déclassification des archives, une nouvelle dénomination pour l'Ordre de Léopold II, l'élaboration d'un plan d'action national contre le racisme, etc.

Wouter De Vriendt, président de la commission parlementaire sur le passé colonial belge, parle devant un micro.
Wouter De Vriendt, président de la commission parlementaire qui s’est penchée durant deux ans et demi sur le passé colonial de la Belgique. © Belga

Mandat de la commission non renouvelé

Plusieurs députés membres de la commission, socialistes et écologistes, en faveur de la formulation d'excuses au nom de la Belgique, ont tenté d'inverser la tendance en appelant à poursuivre le travail, avant que ne sonne le glas. Dans un ultime baroud d’honneur, le 28 décembre, Wouter De Vriendt a proposé de voter les recommandations sans y inscrire le mot « excuses ». Les députés socialistes s'y sont opposés. Le consensus n’a pas été possible, non plus, sur cette « résolution parlementaire » reprenant la majorité des recommandations. Et le 31 décembre, le mandat de la commission, arrivé à sa fin, n'a pas été renouvelé.

Par ailleurs, trois députés du groupe PS à la Chambre, Christophe Lacroix, Jean-Marc Delizée et Malik Ben Achour, dans une carte blanche parue dans le journal Moustique le 23 décembre, ont lancé l’idée de créer un fonds de réparations. « Notre proposition s'inscrit dans l'objectif d'écrire un avenir commun qui permette l'émergence d'une conscience collective de la colonisation belge. Au-delà du travail déjà engrangé par le Secrétaire d’État Thomas Dermine sur les restitutions [...], ce fonds serait financé notamment par des entreprises qui se sont enrichies sur l'exploitation des peuples et sur les ressources du Congo, du Burundi et du Rwanda. Même si les recherches doivent encore être approfondies sur certains sujets et sur la responsabilité précise de certains acteurs, il apparaît clairement que, sur le volet économique déjà, l'accumulation de capital des grandes entreprises était la priorité absolue de l'institution coloniale ».

Ils concluent : « nous ne nous arrêterons pas à l'échec de la commission parlementaire. Tout ce travail a permis de mettre en lumière des faits, une vérité, qui était encore trop peu connue. Nous voulons continuer à travailler. Et ce, aussi pour respecter le travail de ces femmes et ces hommes qui ont passé, eux aussi, des heures à venir décortiquer avec nous l'histoire. Nous voulons continuer à travailler avec les associations qui se mobilisent depuis plus de 10 ans pour clamer haut et fort que le racisme structurel est une des conséquences de la colonisation ».

L’État belge, à ce jour, ne s’est pas exprimé sur la suite qu’il compte donner aux recommandations de cette commission née en 2020 de sa volonté d’ouvrir une réflexion profonde et complète sur son passé colonial, quelques mois après le meurtre de Georges Floyd aux États-Unis.

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