Brésil : Lula et un appel des ONG à la CPI peuvent-ils faire avancer la justice pour les crimes en Amazonie ?

Le nouveau président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, a déclaré vouloir faire de la lutte contre la destruction de l'environnement et les violations des droits humains en Amazonie une priorité. Selon une "communication" d'ONGs à la Cour pénale internationale (CPI), ces crimes commis pendant une décennie pourraient s'apparenter à des crimes contre l'humanité. Quelle chance de justice cela crée-t-il pour les peuples de la forêt amazonienne ?

Justice en Amazonie - Habitant autochtone de la forêt Amazonienne, au Brésil, en tenue traditionnelle
Le président brésilien Lula et la Cour pénale internationale entendront-ils l'appel des peuples d'Amazonie ? © Ricardo Oliveira / AFP
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"Lula a même créé un ministère pour les peuples indigènes d'Amazonie, ce qui est sans précédent", déclare l'avocat brésilien Paulo Busse. "Mais ce que dit le président est une chose, et savoir s'il aura les conditions pour mettre en œuvre ce qu'il dit est une toute autre question. Notre Congrès est divisé, et une moitié de lui est composée de membres du lobby de l'agrobusiness, qui est contre l'environnement et contre les droits des communautés indigènes et traditionnelles. Il devra négocier avec eux."

Busse a co-écrit une "communication" à la Cour pénale internationale (CPI) demandant à celle-ci d'agir sur d'éventuels crimes contre l'humanité en Amazonie brésilienne. Elle a été rédigée au nom d'un groupe d'ONG brésiliennes et internationales et déposée à la CPI le 9 novembre 2022, au moment où Lula faisait son retour pour battre le président Jair Bolsonaro (au pouvoir de 2019 au 1er janvier 2023), dont les politiques droitières et les liens avec l'agrobusiness sont considérés comme ayant largement exacerbé le problème de l'Amazonie.

"Ce n'est pas un dossier contre Bolsonaro"

Un autre coauteur de cette communication est l'avocat britannique Richard Rogers, de l'ONG Climate Counsel. "Compte tenu de la durée de ces crimes et de l'absence de justice via le système judiciaire local, nous pensons qu'il existe des preuves que les Brésiliens ne veulent ou ne peuvent pas s'occuper de cette question", déclare Rogers à Justice Info. "Il y a de nombreux procureurs brésiliens qui sont très actifs et très courageux, mais ils essaient de traiter des événements individuels, comme un seul meurtre."

Selon lui, il n'y a jamais eu d'effort pour prendre une "vue d'ensemble" et de construire un dossier de crimes contre l'humanité au sein du système judiciaire brésilien. "Nous pensons donc que la CPI, qui a pour mandat de poursuivre les crimes internationaux, est mieux placée pour examiner comment les crimes commis au cours de la dernière décennie peuvent être reliés entre eux comme faisant partie intégrante d'une même politique, élaborée et mise en œuvre par un réseau d'acteurs des secteurs public et privé", déclare Rogers.

Et il ne s'agit pas seulement de Bolsonaro, précise-t-il. "Les éléments de preuve suggèrent que certains membres de l'administration Bolsonaro sont des acteurs clés au sein du réseau et ont contribué à promouvoir la politique criminelle entraînant des crimes contre l'humanité, et donc ces personnes seraient probablement des personnes d'intérêt pour la CPI", dit-il. "Mais Bolsonaro fait partie du système, pas du système en soi. Ce n'est pas une affaire contre Bolsonaro, nous voyons cela comme un crime de système. Et c'est un système qui doit être démantelé."

Meurtres, tortures et accaparement des terres

"Il y a eu plus de 12 000 conflits liés à la terre ou à l'eau en Amazonie brésilienne au cours des dix dernières années", selon la communication déposée conjointement avec Greenpeace Brésil et l’Observatório do Clima auprès du bureau du procureur de la CPI. Elle dit "fournir des preuves qu'un réseau organisé de politiciens, de fonctionnaires, d'agents de la force publique, d'hommes d'affaires et d'autres criminels a mené une attaque généralisée ou systématique contre les usagers et les défenseurs des terres rurales dans la région de l'Amazonie".

Ces crimes comprennent "des meurtres, des persécutions et des actes inhumains", indique la communication. "Les preuves montrent que, de 2011 à 2021, les conflits ont donné lieu à 430 meurtres, 554 tentatives de meurtre, 2 290 menaces de mort, 87 cas de torture et plus de 100 000 expulsions ou évictions. Les victimes appartiennent à divers peuples autochtones, communautés traditionnelles et autres groupes vulnérables, dont les terres ont été impitoyablement exploitées à des fins lucratives par le biais d'une attaque généralisée ou systématique contre leur vie et leurs moyens de subsistance."

Une justice brésilienne faible dans une région très difficile

Busse reconnaît qu'il existe des procureurs brésiliens courageux, qui se sont saisis de certaines affaires. Mais, dit-il, "nous avons un système judiciaire qui, en particulier dans la région amazonienne, est historiquement incapable d'enquêter sur ces crimes et de les poursuivre. Et ce n'est pas seulement un manque de volonté, c'est aussi un manque de ressources - ressources humaines, ressources financières. La région est très difficile. Par exemple, la mobilité dans la région est contrôlée par des groupes organisés. C'est l'un des héritages que Bolsonaro a laissé."

Ce qu'il faut maintenant, dit-il, c'est que l'État reprenne le terrain à ces groupes organisés et donne plus de moyens à la justice. "Nous avons besoin d'un projet pour appliquer les lois que nous avons, qui sont très claires sur le fait que l'État brésilien a l'obligation de protéger les défenseurs de l'environnement et les communautés traditionnelles en Amazonie", dit-il à Justice Info. Selon lui, le gouvernement doit également "mettre en place davantage de procureurs spécialisés dans ces questions d'environnement et de droits de l'homme dans la région, ce qui se traduit essentiellement par davantage d'investissements financiers pour l'État". 

Les voies légales en dehors de la CPI

Il ne s'agit en aucun cas de la première communication d'une ONG à la CPI lui demandant d'agir au sujet du Brésil. Il y en a eu au moins six autres depuis novembre 2019, toutes visant directement Bolsonaro. Rogers affirme que celle-ci est plus large et "moins politisée". À la question de savoir s'ils ont eu une réponse de la CPI, il répond qu'ils n'ont eu qu'un accusé de réception.

Et si la CPI ne s'en occupe pas ? "Notre travail consiste à essayer de persuader le procureur de la CPI que cette affaire relève de sa compétence et qu'elle est si grave qu'elle devrait être prioritaire par rapport à d'autres", explique Rogers, "car l'Amazonie occupe également une place si importante dans le monde pour prévenir le réchauffement climatique. C'est soit le plus grand puits de carbone, soit l'un des plus grands émetteurs de carbone, selon ce que l'on en fait."

"Nous voyons cette communication comme une sorte de tremplin pour poursuivre diverses autres formes de justice", ajoute-t-il. Celles-ci pourraient inclure la responsabilité devant les tribunaux locaux, ainsi que "le ciblage des violations des droits de l'homme et des fonctionnaires corrompus par le biais de régimes de sanctions en matière de droits de l'homme, le ciblage des entreprises et des financiers par le biais de la législation contre le blanchiment d'argent". Il existe également des possibilités d'actions civiles au Brésil ou ailleurs, ainsi que des dossiers de compétence universelle, dans des pays tiers, pour des crimes contre l'humanité.

La situation au Brésil est fragile, selon Busse, surtout après l'arrestation de partisans de Bolsonaro impliqués dans l'attaque du 8 janvier contre des bâtiments gouvernementaux dans la capitale. Il affirme qu'historiquement "nous n'avons jamais pu nous attaquer" aux crimes en Amazonie. "Je sais que cela va être difficile. Mais pour la première fois dans l'histoire, nous avons un président qui l'a placé au centre de son programme."

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