France : ouf de soulagement pour la compétence universelle

La Cour de cassation a tranché : la justice française peut poursuivre des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre commis à l’étranger, même s’ils ne sont pas qualifiés comme tels dans le pays concerné. C’est un ouf de soulagement pour les magistrats du pôle judiciaire spécialisé de Paris, qui craignaient dans le cas d’une décision contraire d’avoir à mettre à la corbeille des dizaines de dossiers, notamment Syriens.

Compétence universelle en France - Cour de cassation
Dans une décision très attendue, la Cour de cassation a confirmé, vendredi 12 mai, les poursuites engagées en France dans deux dossiers syriens pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre. © Thomas Samson / AFP
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La Cour de cassation, saisie par deux Syriens arrêtés en France, a consacré vendredi le principe de compétence universelle de la justice française pour poursuivre les auteurs étrangers de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre commis hors de France sur des étrangers.

"La Cour reconnaît à la justice française cette 'compétence universelle' dans deux affaires qui concernent la Syrie", a indiqué dans un communiqué la plus haute juridiction judiciaire.

Cette décision était très attendue, notamment par les magistrats du pôle crimes contre l'humanité du tribunal judiciaire de Paris, actuellement chargé d'environ 160 procédures. Un certain nombre d'entre elles étaient menacées si la justice française avait été déclarée incompétente.

La Cour était saisie par Abdulhamid Chaban, ancien soldat du régime de Bachar al-Assad arrêté en France et mis en examen pour complicité de crimes contre l'humanité en février 2019, et par Majdi Nema, ancien porte-parole du groupe rebelle syrien Jaysh al-Islam (Armée de l'Islam), poursuivi pour torture et crimes de guerre.

En novembre 2021, la juridiction suprême, déjà saisie du dossier Chaban, avait estimé que la justice française était incompétente dans cette affaire, invoquant le principe de la "double incrimination" prévu dans la loi du 9 août 2010.

Ce principe impose que les crimes contre l'humanité et crimes de guerre doivent être reconnus dans le pays d'origine d'un suspect que la France entend poursuivre. Or, la Syrie ne reconnaît pas ces crimes et n'a pas ratifié le statut de Rome qui a créé la Cour pénale internationale.

La Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), partie civile, avait fait opposition pour un motif procédural, permettant le retour de l'affaire devant la Cour de cassation.

Dans le cas de Majdi Nema, arrêté en janvier 2020 à Marseille où il effectuait un séjour d'études, la cour d'appel de Paris a maintenu sa mise en examen en avril 2022, estimant que la loi syrienne prévoyait "par équivalence" plusieurs crimes et délits de guerre définis dans le code pénal français.

La Cour de cassation a suivi vendredi cette décision, revenant donc sur celle précédemment adoptée dans le cas Chaban.

"Changer la loi"

"Pour qu'il y ait double incrimination, il n'est pas nécessaire que les faits relevant en France des infractions de crime contre l'humanité ou de crime de guerre soient qualifiés de manière identique par les lois du pays étranger", a-t-elle tranché.

Il suffit "que la législation étrangère punisse ces actes comme infraction de droit commun tels le meurtre, le viol ou la torture".

La défense de Majdi Nema avait par ailleurs estimé que le critère de "résidence habituelle", autre verrou à la compétence universelle imposé par la loi, n'était pas rempli, faisant valoir qu'il avait été arrêté en France alors qu'il ne s'y trouvait que pour un séjour d'études.

Selon la Cour, les juges ont à la lumière des éléments du dossier conclu à une "stabilité certaine de résidence durant une période de plus de trois mois", ce qui remplit de fait le critère.

"La Cour de cassation a démontré qu'elle était devenue une officine politique et du parquet au mépris du principe de séparation des pouvoirs", ont fustigé les avocats d'Abdulhamid Chaban, Mes Pierre Darkanian et Margaux Durand-Poincloux.

Pour eux, cette interprétation "n'a d'autre but que de sauver des enquêtes déjà en cours".

Une décision "politique" également pour Romain Ruiz et Raphaël Kempf, conseils de Majdi Nema, qui n'y voient "rien de plus que de la poudre aux yeux" et "une nouvelle forme de mépris pour les droits de la défense".

"La France essaie une nouvelle fois de faire croire qu'elle a un quelconque moyen d'enquête sur des territoires en guerre, ce qui est évidemment faux", ont-ils ajouté.

Au contraire, la FIDH, le Centre syrien pour les médias et la Ligue des droits de l'Homme (LDH) ont salué dans un communiqué "une victoire décisive pour toutes les victimes de crimes internationaux".

Me Clémence Bectarte, avocate de la FIDH et des parties civiles, a toutefois pointé les "insuffisances de la loi sur la compétence universelle", actuellement conditionnée à des critères contraignants, et appelé à la changer.