OPINION

En Angola, la réconciliation divise

Une récente recherche controversée de victimes des purges internes de l'ancienne guérilla UNITA par la Commission de réconciliation a un peu plus nui au travail et à la réputation de cette dernière. Les critiques soulignent une politisation accrue du processus de réconciliation angolais. Maarten van Munster et Joris van Wijk expliquent cette dernière controverse et se demandent comment les mêmes élites politiques divisées peuvent sauver le processus.

En Angola, la difficile réconciliation entre UNITA et gouvernement - Photo d'un bataillon de soldats en 1982.
Des soldats angolais de l'UNITA défilent à Jamba, quartier général du mouvement armé, en 1989. Les sanglantes purges internes de l'UNITA sont désormais au coeur des enquêtes controversées de la commission de réconciliation. © Trevor Samson / AFP
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En août, la Commission de réconciliation (CIVICOP), sous l’égide du gouvernement angolais, a suscité la controverse en prenant une nouvelle mesure litigieuse. Une délégation de la CIVICOP, suivie assidûment par un groupe de journalistes de la chaîne de télévision publique TPA, a entrepris de rechercher des victimes dans une région qui, pendant la guerre civile angolaise (1975-2002), était contrôlée par l'actuel parti d'opposition, l'UNITA. La délégation, dirigée par le directeur des services de renseignement angolais, avait une mission spécifique : localiser les dépouilles de membres de l'UNITA tombés en disgrâce et qui auraient été tués pendant la guerre civile sur ordre de Jonas Savimbi, fondateur et ancien chef de l'UNITA. L'initiative de la commission a suscité une vive indignation au sein de l'UNITA et a mis en lumière un processus de réconciliation de plus en plus politisé et polarisé.

Créée par décret présidentiel en 2019, la Commission de réconciliation vise à réconcilier les Angolais et à honorer les victimes des conflits politiques pendant la guerre civile. Nous avons précédemment écrit sur son travail en 2020, 2021 et en avril de cette année. Bien qu'elle ne soit pas officiellement une commission gouvernementale - des représentants d'organisations de la société civile, d’Églises et de partis d'opposition en sont également membres - la CIVICOP opère sous l'influence manifeste du gouvernement angolais. La preuve en est que la commission a été créée par décret présidentiel, qu'elle est présidée par le ministre de la Justice et des droits de l'homme et que plusieurs ministères y sont représentés. En outre, le président angolais, João Lourenço, a le dernier mot sur l'interprétation et l'application du décret par lequel la commission a été créée.

A la création de la commission, les réactions ont été mitigées. Certains ont critiqué la manière dont l'initiative s’est concrétisée, en mettant l'accent, par exemple, sur la surreprésentation des fonctionnaires au sein de la commission. D'autres ont salué l'initiative et félicité le président d'avoir enfin abordé l'histoire mouvementée de l'Angola, ce qui aurait dû être fait depuis longtemps. Initialement, la commission disposait d'une période de deux ans pour atteindre son objectif de réconciliation des Angolais et d'hommage aux victimes des conflits politiques pendant la guerre civile. Les observateurs qui jugeaient ce délai extrêmement court, compte tenu de l'ampleur et de la durée de la guerre civile angolaise, qui a duré 27 ans, ont eu raison. La commission est toujours active aujourd'hui et on ne sait pas quand son mandat prendra fin.  

La réputation ternie de la commission de réconciliation

La création de cette commission est principalement le fruit d’années de pression exercée sur le gouvernement angolais par un groupe de victimes : les proches d'une purge interne entamée le 27 mai 1977 au sein du parti au pouvoir, le MPLA. Malgré la prédominance du 27-mai, le président a opté pour une commission qui s'occuperait de toutes les victimes des conflits politiques pendant la guerre civile. Dans la pratique, cependant, le 27-mai est resté la question centrale, comme en témoignent les rapports d'activité de la CIVICOP et les publications dans les médias angolais et portugais. Les excuses publiques et la demande de pardon pour le "grand tort" des exécutions sommaires de 1977, exprimées par le président Lourenço le 26 mai 2021, illustrent encore l'importance accordée à cette question.

La réputation de la commission s'est cependant progressivement dégradée au fil du temps. Les critiques portent notamment sur le manque de transparence et de communication, l'influence excessive du gouvernement, la prédominance de la question du 27-mai et le manque d'attention porté à d’autres victimes de la guerre civile. En outre, la commission semble avoir été largement inactive depuis les élections d'août 2022. Depuis lors, elle s’est uniquement signalée par un incident extrêmement embarrassant : la révélation par des experts internationaux en ADN que les restes d'un certain nombre d'éminentes victimes du 27-mai, que la CIVICOP avait rendus aux membres de leur famille, s'avéraient n’avoir aucun lien de parenté avec elles.

Des critiques renouvelées

Lors de sa récente descente sur le terrain, la CIVICOP s'est rendue à Jamba et dans la province de Bié, au centre de l'Angola. À Jamba, ancien quartier général de l'UNITA, la commission est partie à la recherche des restes humains des victimes des "bûchers de sorcières" ordonnés par Savimbi lors de rassemblements publics dans les années 1980. Le chef historique de l'UNITA - tué en 2002 - avait accusé d'autres membres de l'UNITA d'être des prétendues "sorcières" et les avait ensuite brûlées vives dans des autodafés publics. La mission a également visité un lieu où, en 2000, les troupes de l'UNITA auraient exécuté plusieurs membres en disgrâce de l'UNITA, dont l'une des épouses de Savimbi.

Avec cette décision inattendue de changer d'orientation, de s'aventurer dans l'ancien territoire tenu par l'UNITA et de mener une recherche publique des victimes de conflits internes présumés au sein de l'UNITA, la commission a déclenché une nouvelle tempête de critiques. La manière dont la nouvelle a été divulguée, par le biais d'une série de reportages télévisés dont certains avaient un air de sensationnalisme et présentaient des gros plans détaillés d'ossements humains, a déplu à de nombreux observateurs. En outre, le fait que la délégation de la CIVICOP ait été dirigée par le directeur des services de renseignement et de sécurité de l'Angola (SINSE) est largement perçu comme un signe d'ingérence excessive du gouvernement dans le processus. Le rôle prépondérant du chef des renseignements est d'autant plus délicat que les services secrets angolais ont joué un rôle prépondérant lors des massacres du 27-mai, sans avoir jamais assumé la responsabilité de cette page noire de leur histoire. Enfin, la procédure suivie pour préparer la mission a fait l'objet de nombreux reproches. Une partie au moins des membres de la Commission de réconciliation - notamment les représentants de l'UNITA - affirment avoir tout ignoré du projet et l’avoir appris par les reportages télévisés du journal du soir.   

Fureur au sein de l'UNITA

Lors d'une conférence de presse tenue au début du mois de septembre, le dirigeant de l'UNITA, Adalberto Costa Junior, a réagi avec fureur. Il a fulminé contre la décision d'organiser les recherches dans des zones "autrefois sous le contrôle de l'UNITA" sans impliquer les représentants de l'UNITA au sein de la commission et les membres des familles des victimes. Costa Junior a également qualifié de répréhensible l'exposition des ossements des victimes présumées dans les reportages de la télévision national et a affirmé qu'il s'agissait "à tous égards d'une profanation". Il a poursuivi en affirmant que la commission avait été détournée par le chef des services de renseignement et que celui-ci avait utilisé abusivement la commission pour mener l'opération. Le dirigeant de l'UNITA s'est ensuite interrogé publiquement sur qui avait donné le mandat d'organiser et de mener les recherches, se demandant à haute voix s'il ne s'agissait pas du président angolais Lourenço. Il a ainsi suggéré que la mission de recherche avait peut-être été mise en place pour détourner l'attention d'une procédure de destitution engagée par l'UNITA contre le président pour avoir "subverti le processus démocratique dans le pays et consolidé un régime autoritaire qui sape la paix" en juillet dernier.

Costa Junior a également suggéré que les membres de l'UNITA dans la commission, en s'informant auprès du coordinateur de la CIVICOP (le ministre de la Justice et des droits de l'homme), avaient découvert qu'il avait été court-circuité et relevé de son rôle dans la supervision des récentes recherches. Le dirigeant de l'UNITA a ensuite exhorté la commission de réconciliation à revenir à ses méthodes de travail initiales, où les décisions sont prises lors des réunions de la commission convoquées par le coordinateur. Il a ensuite déclaré que la continuation de la participation de l'UNITA à la commission dépendait d'un retour à ces méthodes de travail initialement approuvées. Après avoir souligné que l'UNITA s'était déjà excusée à plusieurs reprises au cours des deux dernières décennies, Costa Junior s'est adressé aux victimes de la guerre civile, leur présentant "humblement" ses "excuses sincères" pour le rôle joué par l'UNITA dans le conflit. Cela est apparu comme une réponse aux excuses de Lourenço pour les exécutions massives du 27 mai 1977 et à l'appel qu'il avait lancé aux autres dirigeants responsables pour qu'ils suivent son exemple.

Quelques jours après la conférence de presse de Costa Junior, une "source représentant la commission", anonyme, a rejeté la plupart des allégations, affirmant que la CIVICOP avait suivi la procédure normale et n'avait aucunement été instrumentalisée. La source a affirmé qu'il n'y avait pas de motivations cachées, que l'objectif n'était pas d'attaquer des opposants politiques, mais que les fouilles dans les anciens territoires tenus par l'UNITA résultaient de demandes de membres de familles liées à l'UNITA qui avaient exprimé leur souhait de retrouver leurs proches et d'organiser des funérailles dignes. La source a assuré que le parti d'opposition le savait et que "toute agitation de la part de l'UNITA était intentionnelle". Il a ensuite déclaré que les membres de la CIVICOP, y compris ceux nommés par l'UNITA, avaient participé activement aux réunions et étaient au courant de l'ordre du jour de la commission, qui incluait la question des victimes dans l'ancien territoire de l'UNITA. "Il s'agit simplement d'une continuation du travail [de la commission] et rien de plus", a expliqué la source anonyme.

Un processus de plus en plus politisé

Si une chose ressort clairement de ces derniers développements, c'est qu'une commission qui avait été créée pour réconcilier la population angolaise ne semble actuellement que cliver et politiser davantage le processus national de réconciliation. Vingt et un ans après la fin de la guerre civile, les anciens belligérants et les rivaux politiques actuels continuent de se rejeter la faute les uns sur les autres. La question est de savoir si et comment le processus de réconciliation, qui a largement déraillé, peut être remis sur les rails. Même si la CIVICOP revenait à ses méthodes de travail initiales, ce qui est la condition posée par l'UNITA pour poursuivre sa participation, peu de choses ont été résolues, car les tensions politiques et la polarisation entre les parties ne faiblissent pas. Les organisations de la société civile et les Églises, qui sont sans doute les acteurs les plus neutres et sont également représentés au sein de la commission de réconciliation, sont restées largement silencieuses et n'ont posé aucun acte. Étant donné que le processus de réconciliation angolais a été jusqu'à présent une affaire exclusivement nationale - aucun acteur international n'a servi de conseiller ou de soutien - il incombe aux mêmes élites politiques angolaises qui s'opposent aujourd'hui radicalement les unes aux autres de remettre la commission sur le droit chemin. Reste à savoir si elles peuvent s’extraire de ce marécage par leurs propres moyens.

Maarten van Munster Joris van Wijk MAARTEN VAN MUNSTER ET JORIS VAN WIJK

Maarten Van Munster et Joris Van Wijk sont respectivement maître de conférences en droits de l'homme à l'Université des sciences appliquées de La Haye et professeur associé de criminologie à la Vrije Universiteit Amsterdam. Ils sont tous deux membres du Centre pour la justice pénale internationale.