16.09.10 - RWANDA/BELGIQUE - DEUX RESCAPEES POURSUIVENT L'ETAT BELGE ET DES MILITAIRES

Bruxelles, le 16 septembre 2010 (FH) -  Les avocats des deux rwandaises poursuivant l'Etat belge et certains de ses militaires pour non-assistance à personne en danger le 11 avril 1994, en plein génocide à Kigali, ont appelé le Royaume à ne pas se réfugier derrière les Nations unies.

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Jeudi et vendredi derniers, un tribunal de Bruxelles a entendu les parties dans cette affaire qui constitue une première. L'une des deux plaignantes est Florida Mukeshimana, la veuve de l'ex-ministre des Affaires étrangères, Boniface Ngulinzira, tué avec d'autres, après le départ des soldats belges.

Dans un entretien avec l'Agence Hirondelle, Me Luc Walleyn, avocat de Marie-Agnès Umwali, l'autre plaignante, qui a survécu aux tueries, a critiqué la position des autorités belges. « Pour l'Etat belge, il s'agit d'une décision de l'Onu, donc on peut s'en laver les mains », déplore le défenseur. « Or, on a vu, dans les travaux de la commission sénatoriale (1997) et dans d'autres procès, que ce sont bien les autorités belges qui ont décidé de ce retrait, tout en prétendant que l'Onu acceptait que les troupes ne s'occupent plus que des expatriés avant de partir ».

Cette version des faits a également été contestée à l'audience par Me Eric Gillet, qui représente Mme Mukeshimana.

Pour sa part, Me Emmanuel Degrez, qui défend les militaires poursuivis avec l'Etat belge, a affirmé que ses clients s'étaient « toujours rangés sous le commandement » du général canadien Roméo Dallaire, le numéro un des Casques bleus alors présents au Rwanda.

« Et je rappelle que Roméo Dallaire a rendu hommage en 1995 aux Belges et à la mission onusienne», insiste Me Degrez. « Ils ont fait leur devoir. Leurs ordres n'avaient rien d'illégal, bien qu'il ne soit pas nié qu'ils aient eu des conséquences catastrophiques», ajoute l'avocat.

La Belgique avait le contingent le mieux entraîné et le mieux équipé de la force de l'Onu au Rwanda en 1994. Mais après l'assassinat, le 7 avril, de dix casques bleus belges par les extrémistes hutus, elle décide, après avoir évacué ses expatriés, de retirer ses troupes du Rwanda.

C'est ainsi que le 11 avril, 97 soldats belges positionnés à l'Ecole technique officielle (ETO) Don Bosco, dans un quartier de Kigali, reçoivent l'ordre de se replier sur l'aéroport, laissant sans protection plus de 2 000 réfugiés, pour la plupart des Tutsis. Ils y seront massacrés peu de temps après par les milices Interahamwe, un drame qui a été notamment relaté dans le film «Shooting Dogs ».

Florida Mukeshimana Ngulinzira et Marie-Agnès Umwali, survivantes du massacre, ont assigné l'Etat belge pour ne pas avoir agi afin d'empêcher la perpétration d'un crime de droit international humanitaire. Un tel manquement constitue lui-même, selon la loi belge, un crime de guerre.

Mme Ngulinzira poursuit, de plus, trois militaires, le colonel Luc Marchal, numéro 2 de la force de l'ONU, le colonel Joseph Dewez qui dirigeait le contingent belge de Kigali, et le capitaine Luc Lemaire, qui commandait les casques bleus cantonnés à l'ETO.

Le capitaine Lemaire, le plus proche des événements, a déclaré devant la cour « ne pas s'être rendu compte qu'un génocide était en train de se produire », sa hiérarchie ne l'ayant informé que « d'émeutes limitées ».

Le colonel Luc Marchal, qui a ordonné le retrait, a exprimé des « regrets » mais, en estimant avoir fait tout ce qui était en son pouvoir : « Ce n'était pas notre mandat et on avait déjà perdu dix hommes », a-t-il rappelé, soulignant que rien n'était prévu dans le cadre de la Minuar pour mettre des réfugiés en sûreté.

Pour Me Walleyn, il était possible « de faire quelque chose, puisque d'autres postes de la mission, comme au stade (national) Amahoro, sont restés en place jusqu'au bout en essayant de sauver des gens ».

Le tribunal se prononcera dans les deux mois.

BF-ER/GF

© Agence Hirondelle