22.11.10 - FRANCE/RWANDA - LE CAS "AGATHE", UNE SITUATION JUDICIAIRE INEDITE (ANALYSE)

Paris, 22 novembre 2010 (FH) - Agathe Kanziga, veuve de Juvénal Habyarimana demeurant à Courcouronnes, dans la banlieue parisienne, est dans une situation judiciaire inédite. Objet de tous les soupçons pour son rôle dans le génocide rwandais, elle n'a cependant jamais été inculpée hors de son pays. En France, ou elle réside principalement depuis son évacuation du Rwanda le 9 avril 1994, elle est à la fois menacée de "reconduite à la frontière" et "interdite de quitter le territoire". Le point judiciaire sur ce cas très particulier.

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Statut de Agathe Habyarimana comme demandeur d'asile en France

Le 24 janvier 2007 sa demande d'asile en France est rejetée. Le 15 février 2007, la commission de recours des réfugiés confirme la décision de l'OFPRA. Le 16 octobre 2009, le Conseil d'Etat a confirmé ce refus en rejetant son pourvoi en cassation.

Le Conseil d'Etat justifie notamment sa décision en estimant que "la Commission de recours des réfugiés n'avait pas commis d'erreur de droit en excluant l'octroi du statut de réfugié en se fondant sur l'existence de raisons sérieuses de penser que la requérante aurait commis un crime au sens des stipulations de la convention de Genève en raison de son rôle central au sein du régime au pouvoir avant le 6 avril 1994, lequel avait préparé et planifié le génocide, ainsi que de ses agissements personnels dans la période décisive du déclenchement du génocide entre le 6 et le 9 avril 1994, et des liens qu'elle a ensuite continué à entretenir avec les auteurs du génocide".

Selon Maître Philippe Meilhac, avocat de madame Habyarimana, la commission statuant sur sa demande d'asile fondait en fait largement son refus sur les éléments contenus dans l'acte d'accusation initial de son frère, Protais Zigiranyirazo, alias "Monsieur Z", devant le TPIR.

Or, en 2009, son frère a été acquitté en appel par le TPIR. "On lui a donc refusé le droit d'asile en se référant à des accusations qui n'ont plus de valeur puisque Protais a été acquitté", déplore l'avocat.

Pugnace, le défenseur a saisi le préfet de l'Essonne fin 2009 afin qu'il accorde à madame Habyarimana une carte de séjour au titre de la "vie privée familiale".  Trois des cinq enfants de cette femme de 67 ans sont en effet français.

Cette nouvelle demande a d'abord été refusée, en juillet 2010, au motif que madame Habyarimana constituait "une menace à l'ordre public". Ce refus était assorti d'une invitation à quitter le territoire français dans les meilleurs délais, sous peine de reconduite à la frontière.

Le 2 novembre 2010, le tribunal administratif de Versailles a cependant annulé cet arrêté et demandé au préfet de reconsidérer sa décision dans les trois mois. L'épilogue est donc attendu pour le début de l'année 2011.

Statut judiciaire de Agathe Habyarimana en France

Le 13 février 2007, une association de défense des victimes, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) à déposé une plainte pénale contre Agathe Habyarimana. Une information judiciaire a été ouverte pour "complicité de génocide et de crime contre l'humanité", mais à ce jour, madame Habyarimana n'a pas été mise en examen.

Dans le cadre de cette plainte, elle a été entendue pour la première fois par la section de recherche criminelle de la gendarmerie de Paris, comme simple témoin, le 9 mars 2010.

Maître Philippe Meilhac estime "qu'un statut de témoin assisté" serait souhaitable pour sa cliente, qui pourrait ainsi accéder à son dossier. "Nous souhaitons un débat judiciaire" afin de montrer que les charges ne tiennent pas, explique-t-il.

Statut judiciaire de Agathe Habyrimana au Rwanda

Le Rwanda réclame l'extradition de madame Habyarimana, qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt international émis en octobre 2009 "pour participation et incitation au génocide". Les faits qui lui sont reprochés s'étendent du 1er octobre 1990 au 9 avril 1994.

Le 2 mars 2010, une semaine après la visite à Kigali de Nicolas Sarkozy, Agathe Habyarimana a été brièvement interpellée par la police française dans le cadre de la demande rwandaise. Elle est depuis sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire français.

A ce jour, madame Habyarimana n'a pas été convoquée de nouveau, et la Cour d'appel de Paris n'a pas encore statué sur la demande d'extradition. Mais il est peu probable qu'elle aboutisse, toutes les précédentes requêtes de ce type ayant jusqu'à présent été rejetées par la justice française.

La Cour de cassation, la plus haute autorité judiciaire française, a estimé que les juridictions rwandaises ne satisfaisaient pas aux normes internationales, notamment à la garantie d'un « procès équitable » et l'accès à une justice indépendante.

Statut de Agathe Habyarimana devant le TPIR

Agathe Habyarimana n'a jamais été inculpée par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Des investigations auraient été menées par l'accusation, mais aucune n'a abouti à une mise en examen.

GF/JC

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