Enfants échangés, volés, séparés: le Danemark appelé à faire la lumière sur les adoptions internationales

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"Je ne sais même pas quand je suis née" : May-Britt Koed, 47 ans, se bat pour connaître les conditions d'adoption des enfants nés, comme elle, en Corée du Sud, à l'heure où le Danemark a suspendu toutes les adoptions internationales.

"Ce qu'on sait avec certitude, c'est que je suis arrivée au Danemark le 17 mai 1977 (...) Je suis enregistrée avec deux dates de naissance dans mon dossier", le 22 octobre et le 3 décembre, explique-t-elle, persuadée qu'il s'agit d'un indice prouvant qu'elle aurait été échangée contre un autre nourrisson qui n'aurait, lui, pas survécu.

Dans son dossier d'adoption, la photo d'un bébé joufflu a traversé les années mais les experts qu'elle a consultés n'osent pas lui assurer que l'enfant est celle accueillie par ses parents danois.

Membre de l'association DKRG (Danish Korean Right Group), elle a eu accès à des centaines de dossiers contenant des documents falsifiés, des dates inventées ou témoignant d'enfants arrivés au Danemark six centimètres plus petits que lors de leur départ de Corée.

"C'est comme ouvrir la boîte de Pandore", dit la dynamique quadragénaire.

Depuis 2022, 334 dossiers ont été déposés devant la "Commission pour la vérité" de Corée du Sud, en fonction entre 2006 et 2010 et depuis 2020. Son mandat a été prolongé jusqu'en 2025 pour examiner les irrégularités liées aux adoptions internationales.

Depuis les années 1950, plus de 250.000 Coréens ont été adoptés à l'étranger, dont 9.000 par des Danois.

Dans le pays scandinave, un rapport de l'agence de surveillance des Affaires sociales a montré début 2024 que les agences d'adoption, exerçant sous le contrôle de l'Etat, savaient que leurs partenaires sud-coréens pouvaient changer l'identité des enfants dans les années 1970 et 1980.

Selon des enquêtes journalistiques, quelque 54 millions de couronnes (7,2 millions d'euros) ont été versés pour faciliter les adoptions.

"On en est à un point où l'on peut voir que le gouvernement danois a été impliqué", dénonce Mme Koed.

"Il faut qu'on tire avantage de ce moment et qu'on informe le public de ce qu'il s'est passé", ajoute-t-elle, réclamant une commission indépendante, légalement contraignante pour établir les responsabilités.

- Risque de trafic -

Cette demande, partagée par des groupes d'adoptés et de parents adoptifs de différents pays, est soutenue par l'Institut danois des droits de l'Homme.

"Dans certains cas, il a été prouvé que des lettres étaient envoyées par des parents qui ne savaient pas où se trouvaient leurs enfants. Ces lettres étaient également en possession, semble-t-il, des autorités danoises", note la responsable juridique de l'ONG, Marya Akhtar.

"Pourquoi rien ne s'est-il passé ? Auraient-ils dû faire quelque chose ? Quoi ? On a vraiment besoin d'un examen rigoureux" de ce qu'il s'est passé, dit-elle.

"Tout le monde a le droit à la vérité", abonde May-Britt Koed.

Et le temps presse notamment pour ceux arrivés dans les années 70 qui souhaitent retrouver leur famille biologique et risquent d'apprendre que leurs parents sont décédés, ajoute-t-elle.

En parallèle, le Danemark a suspendu toutes les adoptions internationales mi-janvier, quand la seule agence en opération a mis la clé sous la porte, à la suite de révélations sur l'existence de contreparties financières ou de consentement frauduleusement acquis, non seulement en Corée du Sud, mais aussi en Inde, à Madagascar ou en Afrique du Sud.

Des frères et soeurs auraient aussi été séparés et adoptés, parfois dans des pays différents.

Sollicitée par l'AFP, la ministre des Affaires sociales Pernille Rosenkrantz-Theil n'a pas souhaité réagir.

A l'automne, elle a promis une enquête sur l'histoire des procédures d'adoptions internationales.

Sur Facebook, en janvier, Mme Rosenkrantz-Theil a motivé l'arrêt des adoptions par le "risque trop élevé de trafic d'êtres humains ou de vol d'enfants".

Pour le juriste Klaus Josephsen, maître de conférence à l'Université d'Aarhus, l'un des problèmes est lié à la nature du système danois.

"Nous avons une organisation privée qui a pris en charge les adoptions ; elle trouvait les enfants, faisait les papiers et les envoyait aux autorités danoises et il n'y a pas eu assez de contrôle", explique-t-il.

Dans ce contexte où la confiance, vertu cardinale des sociétés nordiques, a été presque aveugle, il est désormais nécessaire de faire table rase.

"Nous n'allons plus voir ce genre d'organisation car le gouvernement ne leur fait plus confiance, je pense que nous allons avoir un nouveau système, où l'Etat sera actif".

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