30.03.11 - TPIR/MILITAIRES I - LE GENERAL GATSINZI ACCUSE BAGOSORA DE L'AVOIR « COURT-CIRCUITE»

Arusha, 30 mars 2011 (FH) - Le général Marcel Gatsinzi, qui fut chef d'état-major intérimaire de l'armée rwandaise pendant les 8 premiers jours du génocide des Tutsis de 1994, a déclaré mercredi devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) avoir été « court-circuité» par le colonel Théoneste Bagosora, alors directeur de cabinet au ministère de la Défense.

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Actuellement ministre rwandais chargé de la gestion des catastrophes et des réfugiés, le général Gatsinzi témoignait, en exécution d'une citation à comparaître, au procès en appel du colonel Bagosora condamné à la perpétuité en décembre 2008. « Il me court-circuitait, donnait des ordres à des commandants d'unités qui, normalement devaient recevoir des ordres du chef d'état-major », a raconté le général, mais sans en donner de preuves directes.

En ordonnant la comparution de Gatsinzi, la chambre voulait comprendre la nature et l'étendue du pouvoir du colonel Bagosora sur l'armée, du 7 au 9 avril 1994. En effet, l'une des principales conclusions des premiers juges est que l'ancien directeur de cabinet était la plus haute autorité militaire de son pays durant ces trois jours. Jours fatidiques au cours desquels le Premier ministre Agathe Uwilingiyimana, d'autres membres du gouvernement, une dizaine de casques bleus belges ainsi que des milliers de civils tutsis furent tués par des membres de l'armée rwandaise, donc des subordonnés du colonel, selon le premier jugement.

« En tant que directeur de cabinet, Bagosora remplaçait le ministre en l'absence de ce dernier. Il avait autorité sur le cabinet du ministère, l'état-major de l'armée et celui de la gendarmerie, les écoles et les juridictions militaires », a affirmé le témoin, interrogé par la chambre.

Le général Gatsinzi qui était commandant de l'Ecole des sous-officiers (ESO) de Butare (sud) jusqu'au 6 avril 1994, a dit avoir appris sa nomination par un appel téléphonique de Bagosora tard dans la nuit. Dès son arrivée dans la capitale, il a, selon son témoignage, donné « des ordres clairs » aux commandants d'unités : « combattre au front, empêcher leurs éléments d'aller commettre des exactions contre la population et sévir contre les fautifs ».

Mais ses ordres n'ont pas exécutés. Parce que, a expliqué le général citant un conseiller non identifié du ministre de la Défense, Bagosora disposait d'un réseau de communication radio « parallèle » qui transmettait ses propres instructions, notamment aux commandants de la Garde présidentielle, du bataillon paracommando et du bataillon de reconnaissance. Selon la déposition, le colonel faisait tout pour ne pas croiser sur son chemin le chef d'état-major de l'armée. « Pendant cette période, Bagosora s'esquivait et m'évitait ».

Maître Raphaël Constant, l'avocat principal de Bagosora, a commencé son contre-interrogatoire en sortant un texte de loi  sur l'organisation du ministère de la Défense à l'époque. « Il n'y a pas de liaison entre le directeur de cabinet et l'état-major de l'armée ! », a fait remarquer l'avocat français. « Mais il n'y a pas non plus de liaison entre le directeur de cabinet et le ministre de la défense !», a répondu Gatsinzi, commentant l'organigramme qui lui était soumis. Selon ce texte, le directeur de cabinet n'assure que les affaires courantes en l'absence du ministre.

«J'avais le sentiment que le ministre lui avait délégué d'autres pouvoirs », a répondu le témoin. Interrogé sur les preuves de ces allégations de sabotage contre le colonel Bagosora, le général a répondu que le directeur de cabinet avait, entre autres, ordonné directement au commandant du bataillon de reconnaissance de délocaliser la Banque centrale de Kigali à Gitarama. Me Constant lui a alors fait remarquer que le transfert des caisses de l'Etat avait été ordonné par le gouvernement dans une lettre datée du 12 avril 1994, trois jours après le retour du ministre de la Défense Augustin Bizimana.

Quand l'avocat lui a montré ses propres déclarations de 1994 dans lesquelles il affirmait que les militaires impliqués dans le génocide étaient des éléments « égarés », n'agissant sous aucun commandement, il a répondu : « C'est ce que je croyais à l'époque (...) Il faut replacer mes propos dans leur contexte ».

Au sujet des dix Casques bleus, il a regretté que son limogeage, le 15 avril 1994, ne lui ait pas permis de faire boucler l'enquête qu'il avait commandée.

Le témoin est allé plus loin en accusant Bagosora d'avoir tenté de le faire assassiner le 7 avril 1994 à son entrée à Kigali, en provenance de Butare.

S'est-il plaint de ces sabotages allégués durant ses jours à la tête de l'armée ou a-t-il pensé à démissionner ?  « J'ai exercé mes fonctions malgré ces sabotages (...) Je n'ai pas fait de rapport parce que je savais que les supérieurs ne me portaient pas dans leur cœur », a-t-il expliqué.

Lui reprochant de spéculer, le président de la chambre, le juge Patrick Robinson, l'a alors exhorté à donner « des preuves concrètes des graves accusations » portées contre Bagosora. «Je nomme Bagosora parce qu'il me court-circuitait, donnait des ordres directs à mes subordonnés », a-t-il répété, en martelant ses mots.

ER/GF

© Agence Hirondelle