19.09.11 - CPI/USA - SI POSSIBLE, KADHAFI DOIT ÊTRE JUGÉ « SUR PLACE » (STEPHEN RAPP)

Paris, 19 septembre 2011 (FH) - « C'est notre position : si [un procès] peut se faire au niveau national, nous voulons que cela se déroule sur place », a soutenu l'ambassadeur américain pour les crimes de guerre Stephen Rapp, interrogé samedi par l'agence Hirondelle sur les options soutenues par Washington pour les procès à venir de Mouammar Kadhafi et des anciens dirigeants libyens.

4 min 26Temps de lecture approximatif

De passage à Paris après un court séjour en Côte d'Ivoire, le représentant du gouvernement américain défend une position « complémentaire », mais critique, de Washington vis-à-vis de la Cour pénale internationale (CPI), en Libye comme ailleurs en Afrique.

« En ce moment nous attendons de voir ce qu'il advient des individus poursuivis par la CPI [en Libye], explique Stephen Rapp. Si ces individus sont arrêtés, nous comprendrons que les autorités libyennes veuillent les juger localement, notamment parce qu'elles ont des dossiers sur des crimes qui sont largement antérieurs aux actes poursuivis depuis février [2011] par le procureur. Ils pourraient juger les meurtres de toutes ces personnes qui ont été commis dans les années 1990 dans les prisons de l'Est. »

« Notre position est : si cela peut être fait à un niveau national, nous voulons que cela se déroule sur place », poursuit l'ancien procureur des tribunaux internationaux pour le Rwanda (TPIR) et pour la Sierra Leone (TSSL).

Le 9 septembre, à la demande du procureur de la CPI, Interpol a délivré trois notices rouges contre Mouammar Kadhafi, Saïf Al-Islam Kadhafi et Abdullah El-Senoussi. « Interpol coopérera avec la CPI et les autorités libyennes représentées par le Conseil national de transition (CNT) de la Libye pour appréhender Kadhafi», précisait le secrétaire général de l'organisation internationale de police Ronald Noble, qui reconnaît explicitement l'autorité du CNT dans son communiqué.

Farouches opposants à la création de la CPI, les États-Unis avaient opéré un rapprochement pragmatique durant la deuxième administration Bush et coopèrent ouvertement avec La Haye depuis l'installation en janvier 2009 de Barack Obama à Washington.

Même si, rappelle Stephen Rapp, « notre politique reste absolument guidée par un soutien à tout ce qui permet à la justice de s'exercer là où les crimes ont été commis ». Une politique qui pourrait bien priver la CPI d'accusés de premier plan comme Mouammar Kadhafi, mais dont il défend l'idée qu'elle est bien « complémentaire », et non concurrente.

« Sans être, à ce stade, membres [de la CPI], nous cherchons les façons  de l'aider en matière de protection des témoins, de partage d'informations, de soutien diplomatique, sur la question de l'arrestation des fugitifs », indique M. Rapp, qui se dit « réticent à critiquer une organisation avec laquelle notre approche est maintenant de travailler ensemble ».

Exprimées dans un récent rapport de l'organisation américaine Human Rights Watch - intitulé « Travail inabouti », et paru à l'heure du choix d'un successeur pour le procureur Luis Moreno Ocampo, les critiques se font vives  contre une cour marquée par son incapacité à rendre un jugement après neuf années d'activité.

« À titre personnel et d'après [s]on expérience des tribunaux internationaux », Stephen Rapp souligne également son inefficacité. « La CPI n'a pas été rapide à tirer les leçons durement apprises par les tribunaux. [Elle] n'a que cinq personnes en détention dans des affaires franchement plus simples que celles des TPI ; [mais] maintenant que des affaires plus importantes sont attendues, elle va se trouver dans une position qui l'obligera à être de plus en plus efficace. »

L'ancien procureur pointe du doigt une procédure lourde, qui requiert à chaque étape « un certain niveau de preuve pour ouvrir une enquête, pour obtenir des mandats d'arrêt, pour obtenir confirmation des charges... La CPI a tendance à faire de chacune de ces étapes un quasi-procès ! »

En 2011 comme avant, les réticences des États-Unis à devenir un État partie à la CPI ne viennent « pas des difficultés de l'institution », rappelle Rapp, mais toujours de la « quasi impossibilité » de faire entériner un traité aux deux tiers de la majorité au Sénat, et de la crainte qu'un jour un procureur n'y « cible injustement des Américains alors que nous sommes impliqués dans tellement d'endroits du monde, à juste titre pensons nous, afin de protéger les populations contre le terrorisme et les atrocités. »

« Ce problème pourra être dépassé lorsque l'expérience de la CPI - [qui ne devrait poursuivre] que des crimes de guerre suffisamment graves et systématiques - permettra avec le temps de bâtir une confiance à ce sujet. Cela n'arrivera pas du jour au lendemain. »

Il y a dix ans, le modèle alternatif à la CPI défendu par les États-Unis était celui des tribunaux mixtes. Stephen Rapp a expliqué que le soutien à ces tribunaux continuait plus que jamais. En Côte d'Ivoire, « même si la CPI prend une poignée de suspects, il y a toujours nécessité de traduire les autres en justice. Nous cherchons les moyens de fournir une aide en ce sens ». En République démocratique du Congo, « nous travaillons à l'établissement d'un tribunal spécialisé à composition mixte ». En Ouganda, « cela fait deux ans que nous expérimentons des moyens de renforcer la justice nationale »

« Aujourd'hui, nous parlons moins de tribunaux internationalisés que de tribunaux mixtes intégrés aux systèmes judiciaires nationaux", résume Stephen Rapp. "Si l'on peut faire ça sans créer un nouvel éléphant où chaque juge sera payé comme un sous-secrétaire général des Nations unies, alors nous pourrons le faire avec les ressources disponibles et les bénéfices pour les pays concernés seront plus importants. »

Une approche que Washington a décidé de défendre « partout en Afrique ».

FP/GF

© Agence Hirondelle