28.02.12 - TPIR/RWANDA - A KAYENZI, ON MAUDIT L'ANCIEN PASTEUR JEAN UWINKINDI (REPORTAGE)

Bugesera (Est du Rwanda), 28 février 2012 (FH) - Avant le 6 avril 1994, ils l'appelaient le Révérend Pasteur. Aujourd'hui, ils le désignent par les pires épithètes : criminel, sanguinaire... Les pentecôtistes de Kayenzi, dans le district de Bugesera, à l'est de la capitale rwandaise, maudissent le jour où le pasteur Jean Uwinkindi a été affecté dans leur paroisse.

3 min 58Temps de lecture approximatif

L'homme d'église, actuellement détenu au centre de détention du  Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), à Arusha, en Tanzanie, est sous le coup d'une décision de renvoi vers la justice rwandaise. Les allégations portées contre lui ont de quoi donner le frisson. Dans l'acte d'accusation tel que modifié le 16 décembre 2011, il est inculpé de génocide et extermination pour des crimes commis entre le 6 avril et la mi-mai 1994.

« Beaucoup de gens racontent du mal d'Uwinkindi. Ce que je sais moi, c'est qu'il était toujours en compagnie de militaires et de policiers », indique Ferdinand Habyarimana, président de la chorale Ijwi ry'ibyiringiro (La voix de l'Espérance, en langue rwandaise). Ces hommes en armes étaient-ils chargés de sa protection pendant le génocide? « Mais contre quoi, contre qui ? Je n'en sais rien, je venais de passer deux ans seulement dans la région et j'étais à peine âgé de 15 ans », répond ce fidèle hutu, avant de rejoindre les autres membres de sa chorale mixte.

Jean Uwinkindi, qui était le plus haut responsable de l'église de Pentecôte de la région de Bugesera, habitait une maison en briques adobes à côté de l'église paroissiale de Kayenzi, où il était arrivé dans les années 80, en provenance de Kubungo. Aujourd'hui, l'église principale se trouve à Nyamata, plus à l'est. Mais dans ce qui était l'église en 1994, des fidèles viennent encore prier ou répéter des chants liturgiques.

« Lors des massacres de 1992, nous nous étions réfugiés à la paroisse de Kayenzi.  A l'époque, l'église nous avait hébergés et nous avait apporté assistance, notamment en nous donnant du manioc et des haricots », se rappelle Emile Murigande, chauffeur. «Des Tutsis y sont donc revenus après le 6 avril 1994. Mais c'était, cette fois-ci, pour constater que l'enceinte de l'église était devenue le quartier général des tueurs »,  poursuit-il.

L'acte d'accusation affirme ainsi que l'accusé aurait, à plusieurs reprises, invité les Tutsis, principalement des femmes et des enfants, à se réfugier dans l'église. Ensuite, «il a permis à des (miliciens) Interahamwe de s'installer dans l'enceinte et le voisinage de l'église », poursuit le procureur. Ces miliciens, «ont fait sortir de force des femmes et des enfants de l'église et les ont tués. A plusieurs reprises, Jean Uwinkindi a supervisé ces crimes », ajoute le texte.

Au petit centre commercial de Kayenzi, François Kananuye, un anglican qui se rappelle difficilement avoir vu le jour en 1949, affirme que des membres de sa famille ont été tués à l'église. « C'est là que sont tombés ma sœur Prisca Mukarwego, l'épouse et les enfants de mon frère aîné. Ils ont été enterrés (à l'époque) derrière la maison d'Uwinkindi », accuse Kananuye qui s'était caché plus loin, dans un marais. Le rescapé se souvient par ailleurs d'avoir vu l'homme d'église à la tête d'assaillants qui pourchassaient les Tutsis.

Aaron Musabyimana, qui était alors âgé de 22 ans, est de ceux qui avaient cherché refuge à l'église. « J' y suis resté environ 5 jours. L'endroit était devenu le quartier général des tueurs. Les fils [d'Uwinkindi] Josué et Masengesho ont pris part aux toutes premières attaques tandis que le pasteur s'était érigé en commandant », raconte ce pentecôtiste.

A Kayenzi, il n'y a plus aucun membre de la famille du pasteur. Une de ses filles vivrait actuellement à Kibungo, vers la frontière avec la Tanzanie tandis que son fils Masengesho serait emprisonné pour son rôle dans les massacres.

Apollinaire Sebuturo était en 1994, l'assistant d'Uwinkindi, « un diacre » comme le nommaient respectueusement les ouailles.  Il n'est pas tendre avec son ancien patron : « Il était puissant ; il pouvait sauver des gens. Au contraire, il frappait avec son bâton les Interahamwe qui traînaient des pieds lorsqu'il fallait lancer des attaques».

Un jeune qui ne vivait pas dans la région au moment des faits conseille cependant, à voix basse, de ne pas gober tous les dires du vieil homme qui a déjà eu maille à partir avec la justice. « Il ne faut pas prendre pour argent comptant tout ce que raconte Sebuturo. Il a lui-même été jugé et condamné pour sa responsabilité dans le génocide. Il a terminé sa peine. Je ne sais pas pourquoi il a été condamné à une peine aussi clémente.  Il peut avoir choisi de tout rejeter sur son ancien chef. Il faudra attendre le jugement».

Le maire du district de Bugesera, Louis Rwagaju, observe lui aussi son devoir de neutralité et refuse de porter un jugement sur le pasteur. « Je ne suis ni juge, ni procureur mais les gens ici disent de lui des choses horribles. Nous attendons impatiemment que justice soit rendue et, de préférence ici ».

ER/GF   

© Agence Hirondelle