La voix d'une garde-côte philippine réverbère sur son bateau au moment où elle lance un appel radio à l'équipage d'un imposant navire des garde-côtes chinois en mer de Chine méridionale, zone au coeur de tensions régionales.
"Bateau 5303 des garde-côtes chinois, ici le bateau BRP Bagacay MRRV-4410 des garde-côtes philippins. Nous vous informons que vous naviguez actuellement dans la zone économique exclusive des Philippines", martèle Stéphane Villalon, une jeune Philippine membre d'une équipe d'"Anges de la mer", lors d'un contact entre deux navires filmé le mois dernier.
"Vous avez l'ordre de partir immédiatement et de nous informer de vos intentions", dit celle qui a le grade de matelot de seconde classe.
L'intervention de l'opératrice radio d'un mètre cinquante, ferme mais sans agressivité, est précisément ce que recherchaient les garde-côtes philippins lorsqu'ils ont lancé, il y a quatre ans, leur programme de formation destiné exclusivement aux femmes.
Les 81 opératrices radio des "Anges de la mer" représentent "l'ordre pacifique fondé sur des règles de la mer", indiquent les garde-côtes.
A son lancement, le projet a dû essuyer des accusations de sexisme, alors que la députée Arlene Brosas vantait des voix "maternelles" capables d'apaiser les situations de conflit.
Si la chercheuse en géopolitique Andrea Wong reconnaît qu'il est problématique de mettre l'accent sur des "spécificités féminines", elle loue un "effort positif" pour placer des femmes en premières lignes dans ces zones sous haute tension.
"La patience et le sang-froid d'une femme, ainsi que sa capacité à répondre ou à communiquer avec empathie, nous rendent uniques et plus aptes à jouer ce rôle", défend de son côté Stéphane Villalon.
Pékin revendique, au nom de raisons historiques, sa souveraineté sur la quasi-totalité des récifs et îlots inhabités de la mer de Chine méridionale, ignorant une décision de justice internationale selon laquelle ses demandes ne reposent sur aucune base juridique.
Mais Pékin et Manille ont des revendications concurrentes dans la zone. Des garde-côtes chinois ont fréquemment des altercations avec leurs homologues des Philippines, faisant craindre que ces incidents ne dégénèrent en un véritable conflit armé.
Ce programme "nous aide dans nos contacts avec les garde-côtes chinois", indique à l'AFP le porte-parole des garde-côtes, Algier Ricafrente.
La jeune garde-côte de 28 ans explique que quand elle commence à s'inquiéter que son navire soit éperonné ou visé par des canons à eau, elle pense à sa mère, une femme au foyer, qui lui a appris à ne jamais céder du terrain.
Les effectifs des garde-côtes philippins sont vastes, mais ce sont les "Anges" qui sont régulièrement envoyées en mission dans les zones les plus à risque de mer de Chine méridionale, explique M. Ricafrente.
Pour lui, ses homologues chinois "ne se sentent pas menacés lorsqu'ils parlent à des femmes".
- "Personne ne cherche la guerre" -
Mme Villalon se dit fière de représenter les Philippines sur un terrain généralement dominé par les hommes, en particulier à un moment de tensions régionales croissantes.
"Je me concentre sur mon travail (...) (et) je récite mon texte", décrit-elle à l'AFP.
Le mois dernier, un garde-côte chinois initialement agressif s'est calmé quand elle s'est adressée à lui lors d'une rencontre près du récif de Scarborough, se rappelle-t-elle.
Les garde-côtes philippins eux, se disent prêts à tout pour désamorcer les tensions en mer de Chine méridionale, assure leur porte-parole.
"Personne ne cherche la guerre, ou le conflit... la mission des garde-côtes est d'assurer la paix", assure M. Ricafrente, citant le commandant des garde-côtes, Ronnie Gil Gavan, qui a imaginé le programme Angels.
Cette année, une nouvelle promotion d'"Anges" devrait voir le jour pour coïncider avec l'arrivée de navires du Japon et de France, qui seront utilisés pour des patrouilles en mer de Chine méridionale.
Pendant que certains questionnent l'impact réel du programme, Mme Villalon assure avoir l'intention de prendre des cours de mandarin pour améliorer sa communication avec les garde-côtes chinois.
Si certains mettent en doute l'efficacité du programme, elle croit pour sa part qu'il faut donner la priorité aux "mots plutôt qu'aux armes".
"Je me suis rendue compte que je suis du genre courageuse". "Non seulement parce que je suis prête à me battre, mais aussi parce que je veux rendre le combat inutile".