15.06.12 - TPIR/NIZEYIMANA - LE CAPITAINE NIZEYIMANA, ELEVE DOUE, MILITAIRE INFLUENT (PORTRAIT)

Arusha, 15 juin 2012 (FH) - Poursuivi pour crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, le capitaine Ildephonse Nizeyimana, dont le jugement est attendu le 19 juin, était un élève doué et studieux mais aussi trop sérieux, selon ses anciens collègues. Fils du  nord comme bon nombre de gradés de l’époque, ce dernier officier jugé par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), avait, selon certains auteurs, des pouvoirs qui dépassaient de loin son vrai grade.

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Un élève doué et studieux

Taille légèrement au-dessus de la moyenne, forte carrure, le regard perçant, celui qui est notamment accusé d’avoir ordonné en 1994 le meurtre de Rosalie Gicanda, la veuve de l’avant-dernier roi du Rwanda, Charles-Léon-Pierre Mutara III Rudahigwa, est né en octobre 1963 dans une famille modeste de la commune Mutura, au pied du volcan Karisimbi, le point culminant du Rwanda.

Après l’école primaire, le futur officier entre au Collège Inyemeramihigo de Gisenyi, puis au Collège des Humanités modernes de Musanze, dans la préfecture de Ruhengeri, au pied du Muhabura, un volcan qui fait partie de la même chaine que le Karisimbi. Ses anciens collègues le décrivent comme un élève doué et studieux, mais aussi trop sérieux. « Il ne souriait que rarement », se souvient un de ces anciens promotionnaires. Le jeune collégien portait souvent des bottes militaires qu’il chaussait même pour jouer au football. Ses adversaires, habillés presque tous de simples pantoufles, redoutaient ces bottes noires.

Son certificat des « humanités scientifiques » en proche, Nizeyimana est admis à l’Ecole supérieure militaire (ESM) en septembre 1983. Ce prestigieux établissement formait les officiers militaires, qui en sortaient avec le grade de sous-lieutenant. « Condamnés à être riches », comme on disait à l’époque, les étudiants de l’ESM savaient qu’ils faisaient partie d’une élite.

La cité universitaire de Butare

Avant de terminer son cursus à l’ESM, le fils de Mutura obtient une bourse pour l’Allemagne. A son retour, il est affecté à l’Ecole des sous-officiers (ESO) de Butare (sud). Le jeune officier se trouve toujours dans cette petite cité universitaire au déclenchement du génocide des Tutsis en avril 1994. En quelle qualité ? Le procureur, qui le poursuit notamment pour sa présumée responsabilité de supérieur hiérarchique, soutient qu’il était le commandant en second de cette école militaire. L’accusé, pour sa part, nie avoir exercé des fonctions de commandement de fait ou de droit au niveau de l’ESO. C’est l’une des questions que devra trancher la chambre présidée par le Kényan Lee Gacuiga Muthoga.

Les plus hauts gradés de l’ESO étaient alors le général Marcel Gatsinzi, actuellement ministre en chargé de la gestion des Catastrophes et le lieutenant-colonel Tharcisse Muvunyi qui a bénéficié d’une libération anticipée après avoir été condamné par le TPIR. Gatsinzi était originaire de Kigali tandis que Muvunyi venait de Byumba (nord-est). A en croire feu Alison Des Forges, historienne et militante des droits de l’homme, Nizeyimana se moquait de leurs galons. « Bien qu’il fût en théorie subordonné aux deux autres, il pouvait ignorer leurs ordres et les transgresser », écrit l’Américaine dans Aucun témoin ne doit survivre. Selon elle, le capitaine avait douze gardes alors que le général Gatsinzi n’en avait que six. « Chef reconnu de la tendance dure chez les militaires de Butare, Nizeyimana était célébré dans des chansons locales pour sa haine virulente à l’égard des Tutsi », poursuit Mme Des Forges. L’accusé nie tout cela en bloc.

Le camp de réfugiés de Kashusha

En juillet 1994, le capitaine, à l’instar d’autres militaires, traverse la frontière et se réfugie au Zaïre du maréchal Mobutu Sese Seko, « le grand frère » d’Habyarimana. Il s’établit au camp de réfugiés de Kashusha dans la région du Sud-Kivu. Après le démantèlement des camps de réfugiés fin 1996, il fonde, avec d’autres membres des anciennes forces armées rwandaises, l’Armée de libération du Rwanda (ALIR). Elle mènera des incursions meurtrières dans le nord du Rwanda en 1997 et 1998. L’ALIR changera de nom plus tard pour se rebaptiser Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).

La vie devenant de plus en plus dure dans le maquis congolais, Nizeyimana se met à rêver d’autres cieux en 2009. Il franchit ainsi la frontière avec l’Ouganda, voulant sans doute gagner Nairobi, au Kenya. Il ignore qu’Interpol est à ses trousses. Le 5 octobre 2009, il est arrêté alors qu’il dort dans un hôtel de Kampala, la capitale ougandaise. Le lieutenant-colonel des FDLR n’oppose pas la moindre résistance. Le lendemain, il est transféré au centre de détention du TPIR où il retrouve plusieurs compagnons d’armes, parmi lesquels son ami et homonyme, le lieutenant Ildephonse Hategekimana condamné à la perpétuité. 

Selon Alison Des Forges, les deux hommes s’étaient réparti les zones de massacres à Butare pendant le génocide.

FK-ER/GF