30.08.12 - CPI/KADHAFI - LE CAS SAIF AL-ISLAM KADHAFI, UN CASSE-TETE POUR LA CPI (ANALYSE)

La Haye, 30 août 2012 (FH) – Si Tripoli décidait, comme annoncé ces dernières semaines, d’ouvrir un procès contre Saïf Al-Islam Kadhafi en septembre sans attendre l’aval des juges de la Cour pénale internationale (CPI), elle violerait ses obligations légales. A la Cour, pourtant, personne ne croit plus aujourd’hui à une extradition de Saïf Al-Islam Kadhafi. Pour éviter un camouflet, la CPI doit donc trouver une stratégie de sortie de ce dossier, sans miner sa crédibilité.

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Dès l’émission d’un mandat d’arrêt contre Saïf Al-Islam Kadhafi pour crimes contre l’humanité en juin 2011, puis lors de son arrestation le 19 novembre 2011 à Zintan, dans le sud-ouest de la Libye, Tripoli annonçait vouloir le juger devant ses propres tribunaux. Mais puisqu’il fait partie des cibles de la Cour, la Libye ne peut s’emparer du dossier qu’avec l’aval des juges de la CPI.

Le 1er mai, Tripoli demandait donc à  la CPI de se dessaisir de l’affaire en sa faveur. Pour donner droit à cette demande, les juges doivent être convaincus que la Libye a les moyens de juger Kadhafi de façon équitable et impartiale. Les juges n’ont pas encore tranché la question : des débats sont en cours par échange de mémoires écrits entre le procureur, les juges, les avocats du suspect et ceux de la Libye. 

Le 1er juin, les juges de la CPI autorisaient Tripoli à suspendre l’exécution du mandat d’arrêt émis contre Saïf Al-Islam Kadhafi, jusqu’à ce que ce débat soit tranché. Mais le 7 juin, quatre fonctionnaires de la CPI envoyés à Zintan pour rencontrer l’accusé étaient arrêtés. Détenus pendant près d’un mois, ils étaient finalement relâchés au terme de laborieuses tractations. Depuis, les échanges entre la Libye et la Cour sont rares. Mais ils existent. Début août, les avocats de la Libye demandaient ainsi un nouveau report avant de remettre aux juges leurs réponses aux arguments soulevés par les différentes parties dans le cadre de la procédure de dessaisissement.

Maître Philippe Sands et Payam Akhavan justifiaient ce délai par les changements politiques en cours à Tripoli, suite à l’élection du 7 juillet. Ils ont gagné sur ce point. Le 9 août, les juges ont une nouvelle fois donné du temps à la Libye.

Toujours début août, les avocats de Saïf Al-Islam Kadhafi - membres du bureau public de la défense, désignés par la CPI en attendant que Saif al-Islam puisse choisir un avocat -  contre-attaquaient. Ils demandaient aux juges de réactiver l’exécution du mandat d’arrêt. Maître Xavier-Jean Keita s’inquiétait notamment de la tenue imminente d’un procès contre Saïf Al-Islam Kadhafi devant les tribunaux libyens, le « premier ministre de facto » de l’ancien régime risquant, selon lui, la peine de mort au terme d’un procès inéquitable. Les défenseurs ont été déboutés le 21 août.

Malgré les déclarations publiques de différents responsables libyens défiant ouvertement la Cour, tout est fait pour que la Libye continue, sur le papier, de se conformer à ses obligations légales. Elle n’a jamais contesté la légalité de la Cour et dit souhaiter se conformer au Statut de Rome, à la grande satisfaction de ses principaux soutiens Occidentaux, France et Royaume uni. A la satisfaction de la Cour aussi, dont l’autorité et les fondements ne sont dès lors pas contestés légalement.

La Cour n’a pas de forces de police pour faire exécuter ses décisions. Mais elle peut signaler aux Nations unies tout manquement d’un Etat à ses obligations de coopération. A ce jour, et même durant la détention des quatre fonctionnaires, les juges s’en sont gardés, pour maintenir les discussions en cours avec Tripoli, mais aussi parce que le rapport de force avec New York n’est pas en faveur de la Cour.

Une situation qui peut surprendre puisque c’est le Conseil de sécurité des Nations unies qui avait saisi la Cour des crimes commis en Libye, dès février 2011. Cette saisine qui faisait partie de l’arsenal militaro-diplomatique mis en place pour soutenir les rebelles, est néanmoins devenue inutile, voire gênante, depuis la victoire de la rébellion, en août 2011.

En mai 2012, lorsque Luis Moreno Ocampo annonçait devant le Conseil de sécurité la suspension de son enquête contre Saïf Al-Islam Kadhafi, ajoutant qu’il ne lancerait pas d’investigations sur les circonstances de la mort de Mouammar Kadhafi, les attaques de l’Otan et les crimes commis par les rebelles, sa décision était immédiatement saluée par les représentants Français, Britanniques et Américains à New York. Ces trois poids lourds soutenaient la volonté affichée de Tripoli de juger devant ses tribunaux les responsables de l’ancien régime et de se conformer dès lors, au moins en partie (les crimes commis contre le régime Kadhafi étant quasiment amnistiés), à l’Etat de droit et la lutte contre l’impunité.

Les Occidentaux et les Libyens ont donc trouvé un allié de taille du côté du procureur. Après avoir demandé aux juges, et obtenu, en juin 2011, un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité contre Saïf Al-Islam, Lui Moreno Ocampo s’est rangé derrière les demandes de Tripoli dès l’arrestation du suspect en novembre 2011. Les juges font dès lors face à une situation inédite, qui complique un peu plus leur situation.

L’affaire Kadhafi soulève dès lors de nouvelles questions. Alors que la Cour est censée se prononcer sur la capacité des tribunaux libyens à conduire un procès, en a-t-elle, elle-même, les moyens, si son procureur refuse de poursuivre une enquête qui, de plus, était essentiellement alimentée par les rebelles aujourd’hui au pouvoir en Libye ?

La Libye est le premier Etat à afficher devant la CPI une réelle volonté de juger ses ressortissants devant ses tribunaux. En théorie, elle pourrait donc être un cas exemplaire du principe de complémentarité prévu par le Statut de Rome, en vertu duquel les Etats ont primauté sur la Cour s’ils démontrent leur volonté et leur capacité à juger.

Mais sur ses capacités judiciaires, la Libye n’a rien pu prouver, au contraire. Ses procédures actuelles sont loin de remplir les critères permettant de garantir un procès équitable. Néanmoins, Tripoli a ouvert un premier procès contre un ancien responsable du régime Kadhafi, le 5 juin 2012. Le procès de l’ex chef des renseignements extérieurs, Bouzid Dorda, qui devrait reprendre le 11 septembre, est considéré comme un test pour les autorités libyennes. 

SM/GF