Gaza, sa prison, est devenue son tombeau: le Festival de Cannes a rendu hommage jeudi à Fatima Hassouna, photographe gazaouie de 25 ans tuée par un missile israélien le 16 avril, au lendemain de la sélection du documentaire que la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi lui a consacré.
Le missile qui a réduit sa maison en poussière a tué toute sa famille avec elle, à l'exception de sa mère. La veille, Fatima Hassouna avait appris que "Put your soul on your hand and walk" était sélectionné à l'Acid, une section parallèle du festival, où elle rêvait de se rendre.
"Elle m'a beaucoup donné, elle nous a beaucoup donné. Elle disait +ma caméra est une arme+, elle disait +je voudrais une mort bruyante, éclatante, je ne veux pas être un chiffre à la dernière page d'un journal+", a témoigné jeudi Sepideh Farsi lors de la première du film, devant une salle très émue.
"Elle n'est pas là mais elle est là quand même, ils n'ont pas pu la vaincre", a ajouté la réalisatrice, à côté d'un grand portrait de Fatima Hassouna riant aux éclats, le poing levé.
"Ces gens-là, ils ont un nom, ce sont des Palestiniens, il faut leur donner un visage, des histoires", a-t-elle plaidé, invitant le public à aller voir les photos de Fatima Hassouna, exposées à Cannes jusqu'à la fin du festival, qui documentent la guerre à Gaza.
Quelques heures plus tôt, le Britannique Ken Loach, double Palme d'or à Cannes, a appelé sur X à "honorer cette jeune femme courageuse, ainsi que ses collègues journalistes palestiniens, (...) qui ont donné leur vie pour témoigner du massacre de masse" à Gaza et à mettre fin aux "crimes de guerre" et au "génocide".
Mardi déjà, à l'ouverture du festival, plus de 380 artistes et stars du 7e art, dont Pedro Almodovar, Susan Sarandon et Richard Gere, exhortaient, dans une tribune, à "ne pas rester silencieux.se.s tandis qu'un génocide est en cours".
Plusieurs ONG internationales, dont Amnesty International et Human Rights Watch, affirment qu'Israël a commis des actes de "génocide" à Gaza, une accusation rejetée par l'Etat israélien qui dénonce des "mensonges sans fondement".
"Notre humanité est défigurée par ces crimes", a encore estimé Sepideh Farsi: "on ne peut pas dire qu'on ne savait pas, un jour on devra répondre de ce qu'on n'a pas fait".
- "Son sourire est là" -
Lors de la cérémonie d'ouverture du Festival de Cannes mardi, la présidente du jury Juliette Binoche a également rendu hommage à la photojournaliste palestinienne: "Fatima aurait dû être parmi nous ce soir. L'art reste", a lancé l'actrice, mentionnant également les "otages du 7-Octobre".
"Son sourire traverse le film. Son regard, ses yeux verts qui changent de couleur selon la lumière... Tous ces moments, heureusement, sont filmés et seront là à jamais", a souligné Sepideh Farsi dans une interview à l'AFP.
Réfugiée politique en France, la cinéaste de 60 ans a par le passé filmé clandestinement, au portable, un documentaire en Iran.
La réalisatrice ne pouvait pas tourner à Gaza, interdit à la presse internationale par Israël. Elle a donc noué un lien à distance, par visio, avec la photographe qui postait ses clichés sur les réseaux sociaux.
Le film retrace un an d'échanges au cours desquels Fatima Hassouna décrit son enfermement. "Le grand monde est là et, Gaza, c'est l'antichambre, c'est une petite boîte et on est dedans. Je sais que le monde est là mais je n'ai jamais pu y aller. J'aimerais sortir après la guerre, faire le tour du monde, mais rentrer après", expliquait la jeune femme à la réalisatrice.
"Elle me disait: +Aucun endroit n'est sûr à Gaza, de toutes façons, et moi je ne peux pas quitter Gaza. Mon Gaza a besoin de moi+", ajoute la cinéaste iranienne. "J'ai des heures de rushs, il n'y a jamais eu une parole teintée de vengeance ou de haine. De résistance et de résilience, oui, ça c'était présent chez elle."
L'attaque du 7-Octobre dans le sud d'Israël a entraîné la mort de 1.218 personnes côté israélien, en majorité des civils, selon un décompte de l'AFP basé sur des données officielles. Sur les 251 personnes enlevées en Israël ce jour-là, 57 sont encore retenues à Gaza, dont 34 déclarées mortes par l'armée israélienne.
Les représailles israéliennes ont fait au moins 53.010 morts à Gaza, en majorité des civils, selon les dernières données du ministère de la Santé du Hamas, jugées fiables par l'ONU.
fbe-pel-jra/alh
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