Après des années à chercher des réponses, Maher al-Tonn retrouve aujourd'hui l'espoir de voir enfin la justice rendue pour ses frères et son fils disparus, dans une Syrie post-Assad.
La création d'une commission nationale pour les disparus et d'une autre sur la justice transitionnelle, ainsi que l'arrestation par les nouvelles autorités de personnes soupçonnées de crimes liés à l'ancien président Bachar al-Assad, ont ravivé chez M. Tonn l'idée qu'un changement réel est désormais possible.
"J'ai l'impression que mon fils est peut-être encore en vie", déclare l'homme de 54 ans.
Son fils a été enlevé par les forces d'Assad en 2018, dans la Ghouta orientale près de Damas, alors qu'il n'avait que 17 ans.
Le sort des dizaines de milliers de disparus constitue l'un des aspects les plus douloureux du drame de la Syrie, déchirée par une guerre civile de plus de 13 ans.
"J'espère que la justice et l'équité prévaudront, et qu'ils nous rendront nos droits face à l'armée arabe syrienne, qui nous a injustement pris nos fils", ajoute-t-il.
Si les organisations de défense des droits humains saluent la création par les autorités islamistes de ces commissions comme une avancée importante, elles déplorent toutefois qu'elles ne s'intéressent qu'aux crimes perpétrés sous le règne d'Assad
Diab Serriya, cofondateur de l'Association des détenus et disparus de la prison de Saydnaya (ADMSP), symbole des pires atrocités de l'ancien pouvoir, estime également que ces mesures sont incomplètes.
"Le régime syrien était le principal auteur des violations des droits de l'homme", mais "cela n'exonère pas les autres parties du conflit en Syrie", souligne-t-il.
La guerre a fait plus d'un demi-million de morts et morcelé le territoire syrien en zones d'influences de différents groupes armés qui y ont imposé leur loi.
- "Abattoir humain" -
Depuis leur prise du pouvoir, les autorités ont dit avoir arrêté d'"anciens militaires ou responsables des services de sécurité", accusés de crimes contre les Syriens, sans toutefois les traduire en justice.
Le 6 mai, le ministère de l'Intérieur a ainsi annoncé l'arrestation d'un médecin, Ghassan Youssef Ali, qualifié de "criminel" et présenté comme "un des officiers en poste à l'hôpital militaire Techrine sous l'ancien régime".
Selon le ministère, il aurait "transformé l'hôpital en abattoir humain", participant à la torture et à l'exécution de détenus.
Mais M. Serriya pointe du doigt les deux principaux responsables des actes de torture dans cet hôpital : Moufid Darwish, le directeur, et Akram Chaar, le chef du service médico-légal.
En avril, les autorités avaient également annoncé l'arrestation d'un haut responsable des renseignements de l'armée de l'air, le général Sultan al-Tinawi, responsable selon elles de "crimes de guerre".
"Ils arrêtent des individus marginaux, pas les principaux responsables" des sévices, souligne Diab Serriya.
"Il n'y a pas plus d'une dizaine de hauts responsables arrêtés", confirme Rami Abdel Rahmane, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). "Les autres ont fui la Syrie dès la chute du régime" de Bachar al-Assad ou se sont repliés dans leurs villes et villages des régions alaouites.
- "Pas de transparence" -
Hiba Zayadin, chercheuse à Human Rights Watch, estime pour sa part qu'il "n'y a pas beaucoup de transparence autour du sort des personnes arrêtées".
"Leurs aveux sont souvent filmés et diffusés sur les réseaux sociaux, ce qui est non professionnel et indigne", ajoute-t-elle.
Mohammad al-Abdallah, directeur du Syria Justice and Accountability Centre (SJAC), estime qu'"il y a des arrestations arbitraires sans qu'aucun plan ne soit établi pour rechercher les disparus ou ouvrir des enquêtes sur les disparitions forcées, ni même protéger les fosses communes".
Il souligne qu'"aucun procès n'a encore eu lieu, aucune accusation n'a été officiellement portée contre les personnes arrêtées, dont le nombre reste limité".
Dans le même temps, les nouvelles autorités ont choisi de réhabiliter certains responsables de l'ancien pouvoir, dit M. Abdallah, donnant l'exemple de Fadi Sakr, un ancien responsable d'un groupe paramilitaire.
Sa nomination au sein d'un "comité pour la paix civile" dans la ville côtière de Lattaquié a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux.