Les commissions d'enquête parlementaires à leur tour sur le gril

"Tribunal révolutionnaire" aux "pouvoirs exorbitants"... mais aussi "outils centraux dans la vie démocratique". Les commissions d'enquête parlementaires sont de nouveau au centre de l'actualité - et des critiques -, conduisant certains à demander une révision de l'ordonnance de 1958 qui régit leur travail.

La séance des Questions au gouvernement a donné un aperçu mardi de ces deux perceptions. "J'ai été entendu 5h30 devant la commission, dont je prétends que vous l'avez dévoyée de sa vocation et de son sujet", a tonné le Premier ministre François Bayrou, après son audition la semaine dernière par la commission d'enquête "Bétharram".

La ministre déléguée chargée du Commerce, Véronique Louwagie a elle "remercié pour leur travail tous les membres de la commission d'enquête sénatoriale" sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Présidée par Laurent Burgoa (LR), avec pour rapporteur le socialiste Alexandre Ouizille, la commission a publié lundi un rapport corrosif, dans lequel elle accuse l'Etat de "dissimulation" au bénéfice du géant agroalimentaire Nestlé Waters.

Plus tôt dans la journée, la présidente du groupe RN à l'Assemblée, Marine Le Pen, avait fustigé une atmosphère de "règlement de comptes" et une "dérive" de LR comme de LFI consistant "à se servir des commissions d'enquête pour pouvoir essayer de nuire à ses adversaires politiques". Dans le viseur de Mme Le Pen, selon son entourage, le projet de LR de créer une commission d'enquête sur les liens entre la France insoumise et les réseaux islamistes.

Un commentaire délivré devant micros et caméras au moment même où une autre actualité agitait la presse à l'Assemblée: le refus du milliardaire conservateur Pierre-Edouard Stérin, qui finance un "observatoire" commandant des sondages, de se présenter devant la commission d'enquête sur "l'organisation des élections en France".

L'intéressé a raillé sur CNews une convocation "prétexte" pour des députés qui "ont juste envie de faire les marioles devant les caméras". "Respectez vos obligations, respectez l'Assemblée nationale et son travail de contrôle, respectez les Français", a répliqué la présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet.

- "Référé-vérité" -

Cette dernière avait au demeurant fait part de ses interrogations dimanche sur les commissions d'enquête, jugeant qu'il y en avait "peut-être un peu trop" et que certaines sont "instrumentalisées pour en faire des tribunes".

Le président du groupe PS Boris Vallaud critique aussi cette inflation: "les administrateurs n'en peuvent plus (...) il y a trop (de commissions) parce qu'il y a trop de groupes et qu'on n'est pas fait pour fonctionner à onze groupes parlementaires", a-t-il dit à des journalistes. "Après c'est un bon objet politique. Ouizille, ce qu'il a fait sur Nestlé, ça a cartonné", a-t-il commenté.

Son homologue communiste Stéphane Peu défend de son côté des commissions "utiles" et "nécessaires" et égratigne au passage Mme Braun-Pivet, qui a selon lui "sous ordres de l'Élysée, interrompu la commission d'enquête de l'Assemblée nationale" sur l'affaire Benalla en 2018.

Reste que partisans comme contempteurs de ces commissions se rejoignent pour demander une modification de l'ordonnance de 1958 qui encadre leur travail.

Dans une interview à L'Opinion il y a quelques semaines, l'avocate pénaliste Julia Minkowski pointait leurs "pouvoirs exorbitants" et un "régime bien moins protecteur des droits de la défense que dans la justice pénale". Elle jugeait aussi que le principe de l'"irrecevabilité judiciaire", selon lequel une "commission d'enquête ne peut empiéter sur une procédure pénale en cours", souffrait de nombreuses entorses.

"Le justiciable devrait pourvoir être assisté d'un avocat" et sans doute faudrait-il "un contrôle exercé par le Conseil constitutionnel", a-t-elle estimé.

A contrario, les sénateurs Alexandre Ouizille et Laurent Burgoa ont regretté la remise en cause de leur travail par les industriels au fur et à mesure de leur enquête, tout comme le refus de l'ancien secrétaire général de l'Elysée Alexis Kohler de répondre à leurs questions. Ils ont promis de déposer prochainement une proposition de loi pour "conforter" le pouvoir des commissions d'enquête.

"Cet outil est devenu un outil central dans la vie démocratique de la nation", assure M. Ouizille, préconisant une sorte de "référé-vérité", qui "permettrait dans l'urgence à un juge de contraindre une personne à s'exprimer devant une commission d'enquête".

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NESTLE

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