17.01.13 - TPIR/BILAN - ACTIF ET PASSIF DU TPIR, SELON LE PROFESSEUR ANDRE GUICHOUA, TEMOIN EXPERT

Lausanne, 16 janvier 2013 (FH) – André Guichoua, spécialiste de la région des Grands lacs africains et témoin-expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) salue, dans une interview accordée à l’Agence Hirondelle, la contribution de la cour à l’éradication de l’impunité. Le sociologue français déplore cependant l’absence de poursuites pour des crimes qui auraient été commis par l’ancienne rébellion du Front patriotique rwandais (FPR) aujourd’hui au pouvoir.

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Hirondelle : Pensez-vous que le travail du TPIR ait vraiment contribué à l'éradication de la culture de l'impunité? Guichaoua : Tout ce qui contribue à l'expression de la vérité et qui sanctionne les crimes les plus graves qui puissent être commis par des individus, des groupes ou des États contribue à l'éradication de l'impunité. Le statut du TPIR lui a donné la plus large compétence possible dans le cadre des Nations unies pour y parvenir. Les décisions de justice que le TPIR a rendues l'ont été par des juges indépendants au terme de longues procédures contradictoires. Elles s'imposent à tous et servent désormais de référence à tous ceux qui combattent la culture de l'impunité. Dans une région touchée depuis des décennies par de violents conflits, le travail - inachevé - accompli par le TPIR pour donner la parole aux victimes constitue un point d'appui et une lueur d'espoir pour toutes les victimes anonymes et ignorées du passé et du présent. Hirondelle : Pour vous, quel est le principal succès du tribunal? Quel est son pire échec, si échec il y a? Guichaoua : Dans un environnement difficile, le TPIR aura accumulé en près de vingt ans des milliers de témoignages, de documents, de rapports, qui constituent désormais une somme d'archives exceptionnelle et unique. Pour tous ceux, simples citoyens ou professionnels divers qui voudront connaître, analyser ou prolonger ce travail d'histoire rigoureux, les archives du TPIR demeureront un acquis incomparable qui doit être enfin traduit en kinyarwanda, sauvegardé et protégé dans le cadre international qui lui a donné naissance.L'échec du TPIR, qu'il partage avec d'autres instances internationales, tient au fait que la guerre, les massacres et les souffrances de millions d'individus perdurent aujourd'hui encore dans la région des Grands lacs africains. Mais le plus grave est que les deux acteurs de la guerre civile rwandaise de 1994 figurent parmi les protagonistes les plus impliqués et actifs dans un processus de déstabilisation régionale qui n'a pas d'équivalent dans l'histoire récente du continent africain. Mis en perspective, le refus du TPIR de poursuivre l'ensemble des crimes qui figuraient dans son mandat affaiblit son bilan et plus globalement la portée de son message de vérité, de justice et de paix. Hirondelle : Voulez-vous dire que le tribunal a refusé de poursuivre les crimes qui auraient été commis par des éléments de l’ancienne rébellion du FPR (Front patriotique rwandais) actuellement au pouvoir ? Guichaoua : Oui.

Hirondelle : Quel est votre commentaire au sujet du refus de certains pays d'accueillir des acquittés du TPIR? Guichaoua : Une fois épuisées toutes les voies de recours des parties, un jugement obtenu dans des conditions de transparence et d'équité incontestables doit être respecté. Y compris par ceux qui pourraient légitimement penser qu'une définition plus large de l'acception de la "preuve" dans un cadre judiciaire plus souple ou tout simplement différent aurait permis de déclarer ces acquittés coupables. On ne peut a posteriori mettre en cause les règles - toujours arbitraires - d'un processus judiciaire sous prétexte que les décisions finales des juges ne conviennent pas à telle ou telle partie. Hirondelle : Avez-vous le sentiment que le TPIR a vraiment poursuivi les principaux auteurs présumés du génocide des Tutsis? Toutes les personnes inculpées par le tribunal rentrent-elles dans cette catégorie des principaux auteurs présumés? Guichoua : Les procureurs successifs ont construit leurs stratégies de poursuite en fonction des moyens et de l'environnement dont ils héritaient : connaissance des dossiers, collaboration des États, efficience du bureau de la poursuite, attentes exprimées par les organisations que les victimes se sont données et pression politique constante de la part des autorités rwandaises. Pour l'essentiel, des procès emblématiques, individuels ou collectifs (militaires, ministres, médias, responsables des administrations territoriales), ont assurément abouti à la condamnation des principaux auteurs du génocide des Rwandais tutsis. On peut certes s'interroger sur un bon tiers des dossiers transmis devant les chambres dont la portée judiciaire et/ou symbolique n'est pas évidente, et surtout sur certains grands "absents" parmi les accusés annoncés. Mais les « bonnes » raisons qui ont motivé la poursuite ou l'absence de poursuite sont chaque fois différentes et compréhensibles (opportunité, dossiers insuffisamment étayés, collaborations des États défaillantes, etc.). Hirondelle : La France est accusée de ne pas vouloir juger les génocidaires présumés présents sur son territoire. Selon vous, y a-t-il réellement un manque de volonté? Guichaoua : Je pense que la volonté existe au niveau politique comme au niveau judiciaire qui dispose désormais de moyens non négligeables. Pour autant, au bout de tant d'années de tergiversations françaises et de surenchères politiques rwandaises, il est difficile de sortir des jeux de rôle dans une atmosphère toujours marquée par un environnement passionnel. D'une manière générale, les procédures judiciaires sont longues et a fortiori lorsqu'elles sont menées à l'étranger avec des budgets jusqu'ici étriqués et des personnels qui doivent accepter d'inscrire leur engagement dans la durée. De plus, les juges d'instruction ne peuvent renoncer à leurs standards judiciaires, or les éléments de preuve, souvent issus des procédures de la justice populaire gacaca, font souvent problème. Enfin, il n'est pas envisageable de traiter en même temps dans un seul pays et dans des délais contraints plus d'une vingtaine d'affaires alors même qu'aucun pays parmi ceux qui ont organisé le plus de procès n'a atteint ce chiffre. Il faut commencer par une ou quelques affaires de forte portée. FH/ER