13.02.13 - RWANDA/JUSTICE - LEON MUGESERA, LE LINGUISTE EXTRADE DU CANADA, SE DEFEND

Arusha, 13 février 2013 (FH) - Depuis l’ouverture du procès de Léon Mugesera, le 17 janvier dernier devant la justice rwandaise, les audiences sont dominées par les explications de l’accusé, la présentation de l’accusation ayant été expédiée en quelques audiences. La chambre pourrait cependant décider d’entendre encore des témoins des deux parties.

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Extradé du Canada il y a une année, le linguiste et ancien politique rwandais est essentiellement poursuivi pour un discours en langue rwandaise prononcé en novembre 1992 lors d’un rassemblement politique de son parti, le MRND de l’ex-président Juvénal Habyarimana. Après avoir longuement donné sa version du contexte politique ayant précédé le génocide des Tutsis de 1994, l’universitaire a abordé mardi le discours incriminé. Non pas pour en expliquer le teneur à la chambre mais pour d’emblée contester l’authenticité de l’enregistrement présenté par le procureur. Qui est-ce qui a fait l’enregistrement ? Par qui était-il mandaté ? Quels étaient ses objectifs ? Quelle est la chaîne de possession de cette pièce présentée par la partie adverse comme un enregistrement du fameux discours ? Mugesera a indiqué ne pas se souvenir de chaque mot précis qu’il avait prononcé ce jour-là, à Kabaya, dans la préfecture de Gisenyi, alors qu’il haranguait une foule de militants du parti présidentiel. L’homme aujourd’hui en tenue rose des détenus rwandais était alors vice-président du MRND pour la préfecture de Gisenyi, dont venait également le président Habyarimana. « Le meeting n’a pas été enregistré ni par le MRND ni par l’ORINFOR (l’Office rwandais de l’information, qui coiffait tous les médias gouvernementaux), a plaidé Mugesera, exigeant une expertise de la pièce de l’accusation. Présent en personne, le procureur général Martin Ngoga a émis une objection. « Lorsqu'il comparaissait devant la Cour suprême du Canada (pour contester son extradition), Mugesera a admis l'authenticité du discours, mais il a désormais changé de version devant les tribunaux rwandais », a soutenu Ngoga.

Le juge Athanase Bakuzakundi, qui préside les débats, a estimé que la Cour aurait le temps de se pencher durant le procès sur l'authenticité des preuves et qu'elle pourrait le cas échéant entendre des témoins. Pour le bureau du procureur, ce discours passé dans l’histoire du Rwanda contemporain incitait les Hutus à tuer les Tutsis. L’accusation avait fait écouter un enregistrement du discours à l’ouverture du procès. Ngoga et son équipe avaient alors rapidement présenté l’accusation et annoncé une liste de témoins. Il appartiendra à la chambre de décider, le moment venu, lesquelles, de ses auditions proposées, sont absolument nécessaires pour une bonne administration de la justice. La parole avait été ensuite donnée à la défense. Mugesera s’était d’abord employé, malgré les protestations de la partie adverse qui dénonçait une manœuvre dilatoire, à dénoncer le rôle du président ougandais Yoweri Museveni dans la guerre d’octobre 1990 à juillet 1994 au Rwanda. Selon Mugesera, Museveni préparait depuis 1987 une guerre d’agression contre le Rwanda. S’inscrivant dans une ligne de défense souvent entendue au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le linguiste s’en était pris par la suite à l’ex-rébellion du Front patriotique rwandais (FPR, actuellement au pouvoir), l’accusant d’être responsable de la pause de mines et autres explosifs à l’intérieur du Rwanda, depuis 1992. Il avait maintenu cette ligne de défense malgré les objections de l’accusation qui estimait qu’il s’éloignait de son procès pour se livrer à de la pure propagande.

Depuis son extradition du Canada en janvier 2012, Mugesera avait comparu à plusieurs reprises lors d'audiences au cours desquelles il avait demandé et obtenu, pour divers motifs, des délais supplémentaires pour être jugé. Il a cependant déjà essuyé des revers dans ce feuilleton dont le refus de la justice rwandaise de conduire le procès en langue française et le rejet de sa demande de récusation de deux des trois juges de la chambre saisie de son affaire. Réclamé par le Rwanda depuis 1995, il avait multiplié au cours des années les recours judiciaires au Canada, mais n'avait finalement pu empêcher son extradition, il y a aujourd’hui un an.

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