L'inculpation de l'ex-vice-président sud-soudanais Riek Machar pour "crimes contre l'humanité" ravive le risque d'une guerre au Soudan du Sud, affirment ses soutiens, dénonçant des accusations "montées de toutes pièces", un argument balayé vendredi par les autorités sud-soudanaises qui se disent "sans crainte".
L'arrestation fin mars de M. Machar avait déjà alimenté les craintes d'un nouveau conflit, près de sept ans après la fin d'une guerre sanglante entre ses partisans et ceux du président Salva Kiir, qui avait fait quelque 400.000 morts et quatre millions de déplacés entre 2013 et 2018.
Un accord de paix avait mis un terme au bain de sang en 2018, actant un partage du pouvoir entre les deux protagonistes. Mais le pays est resté miné par les luttes de pouvoir, la corruption et les conflits ethniques locaux.
L'interpellation de Riek Machar et son placement en résidence surveillée fin mars, puis son inculpation pour "crimes contre l'humanité" jeudi, rapidement suivie par l'annonce de sa destitution, est de nature à remettre le feu aux poudres, ont expliqué à l'AFP une figure de la société civile, Daniel Juol Nhomngek, et un proche de M. Machar.
Le désormais ex-premier vice-président du Soudan du Sud est, selon le ministère de la Justice, inculpé pour avoir participé à la coordination, avec sept co-accusés actuellement détenus, d'une attaque contre une base militaire par l'"Armée blanche", une milice accusée par le pouvoir de collaborer avec lui.
Les huit hommes sont poursuivis pour "meurtre", "terrorisme et financement d'actes terroristes", "trahison" et "conspiration". Treize autres personnes accusées des mêmes faits sont actuellement en liberté.
- "Aucun crime" -
L'attaque, qui s'est déroulée le 3 mars à Nasir (nord-est), a tué "plus de 250 soldats", ainsi qu'un major général sud-soudanais et un pilote onusien, selon le ministre de la Justice.
Mais "Riek Machar et les autres responsables (...) n'ont commis aucun crime", ont affirmé ses soutiens dans un communiqué publié vendredi. "Les accusations sont montées de toutes pièces", ont-ils poursuivi, avertissant que le gouvernement sud-soudanais est désormais "seul responsable de l'abrogation" de l'accord de paix.
"Chacun va être silencieux pour un temps. Mais quand ils atteindront leurs limites, le combat reprendra", traduit Daniel Juol Nhomngek Daniel, un ancien député du SPLM-IO, le parti de M. Machar, qui s'est déchiré en avril.
Une division selon lui provoquée par le pouvoir. Des partisans d'un rapprochement avec l'exécutif de Salva Kiir le dirigent désormais, alors que les cadres loyaux à M. Kiir sont pour beaucoup en exil.
"Le combat sera désorganisé, ce qui mènera à une insécurité généralisée", avertit Juol Nhomngek Daniel, interrogé par l'AFP. "Le danger de cette crise politique est l'anarchie."
L'attaque de Nasir avait été suivie par plusieurs semaines tendues dans le pays, marquées par des frappes dans le nord-est et des tirs d'artillerie près de la capitale. Des combats isolés ont plus récemment eu lieu dans le sud.
L'ONU estime qu'environ 900 personnes sont mortes entre janvier et mi-avril du fait des soubresauts politiques.
- Accusations "politiques" -
"Il n'y a pas de guerre civile maintenant. Pourquoi s'inquiéterait-on ?", a commenté le ministre de l'Information sud-soudanais Michael Makuei, interrogé par l'AFP.
"Il n'y a aucune crainte à avoir. Parce qu'au Soudan du Sud, personne n'est au-dessus de la loi", a-t-il poursuivi. Et Riek Machar ne doit pas connaître l'impunité "simplement parce qu'il y a des craintes" qu'un conflit "puisse survenir".
Les troubles politiques ont déjà eu d'importantes conséquences humanitaires. En juin, l'ONU dénombrait 165.000 déplacés en trois mois, dont environ 100.000 avaient fui dans les pays voisins.
Vendredi, l'ONU a en outre fait état de 100.000 personnes déplacées par des inondations ces dernières semaines, le Soudan du Sud, parmi les plus pauvres au monde, étant régulièrement victime de catastrophes climatiques.
Edmund Yakani, figure de la société civile sud-soudanaise, envisage "une intensification à grande échelle de la guerre", après "la grande erreur" de Juba vis-à-vis de Riek Machar.
"Le crime contre l'humanité n'est même pas stipulé dans la loi sud-soudanaise", observe-t-il, ce qui donne le sentiment que les accusations sont "politiquement motivées", mais "injustifiables juridiquement."
"Gracier Riek Machar et revenir au partage de pouvoir était le meilleur scénario" pour la paix, "mais il n'adviendra pas", déplore-t-il auprès de l'AFP. Les combattants qui "se cachent dans les campagnes vont maintenant se mobiliser entièrement."