JUSTICE INFO : En exil depuis deux ans, réapparu en mai 2025 dans Goma occupé, Joseph Kabila, 54 ans, était jugé depuis le 25 juillet par un tribunal militaire qui l’a condamné à la peine capitale, le qualifiant de « chef de la coalition armée AFC/M23 » – un groupe armé créé en 2012 par des officiers rebelles qui occupe une partie de l’Est du Congo. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
ITHIEL BATUMIKE : Le gouvernement congolais, à travers cette condamnation, adopte une posture ambivalente. D’une part, il semble vouloir montrer son engagement, sa détermination, à réprimer les auteurs de violences en République démocratique du Congo (RDC). Parce que l’une des causes qui font que cette guerre perdure depuis plus de 30 ans, c’est l’impunité, l’injustice, et la prime aux auteurs des crimes les plus graves qui se retrouvent au pouvoir, au sein des institutions ou au sein des services de sécurité. D’autre part, cette condamnation semble aussi constituer une contradiction, dans la mesure où le gouvernement discute avec le M23, discute avec le Rwanda et s’engage dans une logique de négociation. Il est évident que le Congo, à travers cette condamnation, affiche une volonté de tolérance zéro mais qui reste sélective car il y a encore d’autres personnes qui siègent dans les institutions en ayant un passé similaire. Tout le combat du Prix Nobel de la paix, le docteur Denis Mukwege, c’est de mettre fin à l’impunité pour des actes passés et présents afin que ceux-ci ne se reproduisent plus dans le futur.
Mais le gouvernement ne semble s’attaquer vigoureusement qu’à ceux qui le menacent de renversement aujourd’hui.
Peut-on parler de manœuvre politique ?
Le plus grand problème que soulève cette condamnation, c’est qu’elle peut aussi être interprétée comme une action visant à réduire au silence ceux qui essaient de critiquer ou d’avoir des positions divergentes vis-à-vis du régime en place. Depuis les élections [générales] de 2023, l’opposition peine à exister, avec une faible représentativité à l’Assemblée nationale, et l’on observe des tentatives de la museler ou de contraindre ses leaders à l’exil. Ces derniers mois, on a vu que l’ancien président Kabila voulait restructurer, remobiliser l’opposition. On peut se demander en effet, à juste titre je pense, si la condamnation judiciaire qu’il vient d’écoper n’est pas une manœuvre politique visant à l’affaiblir davantage sur la scène politique et à réduire ses capacités d’action, sachant qu’il court maintenant le risque de se faire arrêter et extrader en RDC pour purger sa peine.
C’est aussi une intimidation. Je ne pense pas que je sois le seul à faire une telle analyse. Human Rights Watch parle de « vendetta politique ». Quelqu’un qui a été condamné en son absence, sans qu’il ne soit représenté, sans possibilité de se défendre, cela ne viole pas la loi mais ça questionne sur les intentions derrière un procès aussi spectaculaire que celui-là.
Quelles preuves ont été apportées au procès ?
C’est la plus grande déception de ce procès. Beaucoup de Congolais attendaient des preuves attestant que Kabila était ou est de connivence avec l’AFC-M23. Mais tout au long du procès, il n’a pas été présenté de preuves démontrant son implication en termes de financement, de planification des opérations ou de direction du mouvement. Les témoins promis par la partie civile et qui ont entrainé la réouverture des débats n’ont finalement pas comparu. Il a été plutôt fait mention de ses affirmations ou de personnes qui lui sont hostiles depuis de longues années, par la projection de vidéos. Donc ce procès a manqué d’impartialité, et la solidité des preuves pour aboutir à une condamnation aussi sévère a largement fait défaut.
De nombreuses organisations qui défendent les droits humains au Congo et à l’étranger ont fustigé cette condamnation par le fait qu’elle n’ait pas été fondée sur des preuves tangibles qui pouvaient mettre tout le monde d’accord sur son implication. Cela reste comme une tâche sur la crédibilité de cet arrêt. Cela lui confère un caractère politique.
Et concernant les crimes de guerre allégués ?
L’arrêt a suivi le réquisitoire du ministère public qui reprochait à Kabila notamment d’avoir engagé sa responsabilité dans la perpétration de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Parmi les faits retenus comme constitutifs des crimes de guerre, la Cour a retenu les viols, les tortures et les homicides commis par les rebelles lors de leurs offensives ou encore des attaques intentionnellement dirigées contre les populations civiles.
Depuis que cette guerre a été déclenchée en 2021 jusqu’à son intensification en 2022, la chute de Goma et Bukavu, de nombreux massacres ont eu lieu, des viols ont été signalés... et il faudrait donc que les responsables en répondent. La grande question au regard de la manière dont le procès s’est déroulé va demeurer est-ce que c’est lui le responsable ? Ou juste un bouc émissaire ? La question de la preuve reste le maillon faible de ce procès.
Que penser de sa condamnation à 30 milliards de dollars, « pour réparer les préjudices » ?
Cela rentre dans la logique des enquêtes menées sur sa fortune et l’on peut se demander si ce n’était pas par ceci que la justice aurait dû commencer : enquêter et faire la lumière sur tous les scandales financiers du règne Kabila en établissant les responsabilités des uns et des autres. Dans le même temps, on voit l’ambivalence soulignée ici aussi : la Haute cour militaire s’est refusée d’ordonner la saisie de ses biens, comme cela avait déjà été fait dans des affaires précédentes concernant des membres de l’AFC/M23 condamnés à mort en 2024.
Par ailleurs, il y a un grand travail d’identification des victimes et de centralisation des données qui doit être fait de manière professionnelle. Je crains que les initiatives en cours dans le cadre du livre blanc ou du Fonarev n’y répondent pas correctement à ce stade. En outre, du fait que ce soit uniquement l’État et les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu qui se sont constitués parties civiles dans ce procès, on peut se demander aussi si les vraies victimes de tout ce qui se passe actuellement dans l’Est pourraient un jour bénéficier de ces réparations.
Ithiel Batumike mène des recherches sur les questions politiques et électorales à Ebuteli. Juriste publiciste, il totalise 10 ans d’expérience dans la recherche et l’analyse des questions de gouvernance en République démocratique du Congo. Avant de rejoindre Ebuteli, il a travaillé comme membre de la Commission électorale nationale indépendante. Il est titulaire d’un diplôme en droit public de l’Université catholique de Bukavu et d’une maîtrise en droit international et comparé de l’environnement de l’Université de Limoges en France.