Alain ne votera pas à l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire le 25 octobre: au volant de son taxi, il parcourt désabusé les rues de son quartier d'Abidjan, Yopougon, longtemps un bastion de l'ancien président Laurent Gbagbo, désormais opposant et exclu du scrutin.
Une forme de résignation semble planer dans certains quartiers de cette immense commune populaire, la plus peuplée d'Abidjan, chère aux partis politiques pour ses quelque 500.000 électeurs, sur près de 9 millions dans le pays.
"On ne sent pas la campagne (électorale) à Yopougon parce que les partisans de Gbagbo ne se sentent pas concernés", affirme ce père de famille de 44 ans, dont le prénom a été modifié à sa demande.
Surnommée "Yop" ou "Poy", la commune a été le fief de Laurent Gbagbo, qui a présidé la Côte d'Ivoire pendant la décennie 2000.
A sa chute en 2011, après une sanglante crise post-électorale, la mairie est tombée aux mains de l'actuel parti au pouvoir, celui de son rival historique Alassane Ouattara, qui brigue un 4e mandat.
"Yopougon reste un bastion de Laurent Gbagbo, nous y avons beaucoup de militants", assure à l'AFP le député de la commune, Georges-Armand Ouégnin, élu en 2021.
Mais selon le sociologue Séverin Yao Kouamé, "il y a une forme de désenchantement", notamment après les huit années d'incarcération de l'ex-président à la Haye (Pays-Bas) et l'implosion de son parti.
Poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) après la crise de 2010-2011 pour crimes contre l'humanité, Laurent Gbagbo a été définitivement acquitté en 2021 et est rentré en Côte d'Ivoire.
Il a fondé une nouvelle formation politique, le Parti des peuples africains - Côte d'Ivoire (PPA-CI), mais s'est coupé de certains de ses proches, à commencer par son ex-épouse Simone Ehivet Gbagbo, candidate à la présidentielle du 25 octobre.
Privé de ses droits civiques par une condamnation pénale de la justice ivoirienne, M. Gbagbo ne pourra pas participer au scrutin.
David Djédjé, 38 ans, s'est lassé de le soutenir: "Il n'y a pas d'activité au PPA-CI" et aucun autre candidat d'opposition ne l'intéresse.
A quelques jours de l'élection, il est venu écouter "par curiosité" un discours d'Adama Bictogo, maire de la commune et cadre du parti au pouvoir, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
- "Galère" -
En plus de la désillusion, "la population électorale a évolué", constate le sociologue Séverin Yao Kouamé. "Les nouveaux majeurs sont dans un angle mort parce qu'il n'y a pas d'offre qui leur parle".
Ecouteurs aux oreilles, portable à la main, Victoire Beda a 19 ans et pourrait voter pour la première fois le 25 octobre, mais cette étudiante en première année de licence de géologie n'en a "pas envie".
"Ça ne m'intéresse pas, ce sont les mêmes personnes qui sont toujours là et qui créent des tensions", lâche-t-elle, tandis que son ami Salomon Kouamé, lycéen de 18 ans, confie que la politique "l'ennuie".
Paul Kouassi, trentenaire, est lui plutôt préoccupé par le manque de perspectives professionnelles. "Ici, c'est la galère, quand tu te lèves le matin tu dois te chercher", raconte-t-il, cigarette à la main.
A Yopougon, la part de l'économie informelle reste importante et la zone industrielle "n'offre que des opportunités d'emplois très saisonniers et assez précaires", pointe Séverin Yao Kouamé.
"Yopougon n'a pas changé", déplore Aristide Tapé, président d'une association de quartier. "Les routes sont dégradées, les écoles n'ont pas d'équipement", dit-il, et l'esprit de la ville a disparu, selon lui.
Il se souvient avec nostalgie de la célèbre rue Princesse, lieu d'effervescence incontournable aux nombreux maquis - des bars informels - rasée au bulldozer à l'arrivée du RHDP au pouvoir.
Aux côtés de pro-Gbagbo déçus et des désintéressés de la politique cohabite le "Yop" pro-Ouattara, satisfait quant à lui.
"Yopougon est en train de changer!", lance Aliou Bakayoko, 58 ans, lors d'un après-midi pluvieux où il défend la politique du pouvoir avec les membres de son association, créée il y a plus de 20 ans.
Du nom de "Marcoussis", l'association fait référence aux accords de paix de l'époque, qui prévoyaient l'entrée de la rébellion pro-Ouattara dans le gouvernement pro-Gbagbo, censée mettre un terme à la crise.
"Il faut encore bitumer les routes", mais "nous avons la sécurité, des centres de formations professionnels ouverts", et "des écoles ont été réhabilitées", dit-il.