BNP Paribas reconnu complice des violences au Soudan par un jury new-yorkais

Un jury populaire new-yorkais a reconnu vendredi la banque française BNP Paribas complice d'exactions au Soudan, en ayant organisé des transactions commerciales dont les recettes ont financé l'armée et les milices du régime d'Omar el-Béchir.

Les jurés ont décidé que l'établissement était responsable pour les pertes et souffrances de chacun des trois plaignants de ce procès civil et leur ont attribué des dommages et intérêts de 20,75 millions de dollars au total.

Il s'agit de trois ressortissants soudanais, deux hommes et une femme sans relation familiale, désormais citoyens américains.

Ils ont raconté avoir été emprisonnés, torturés, battus, brûlés avec des cigarettes, lacérés au couteau par des soldats soudanais et des miliciens Janjawid - déployés et équipés par Khartoum - tandis que leurs biens ont été volés ou détruits.

Le jury composé de huit personnes a octroyé 7,3 millions de dollars à Entesar Osman Kasher, 41 ans, incarcérée, violée à de multiples reprises et dont des proches ont été tués sous ses yeux, selon son témoignage.

Abulgasim Suleman Adballa, né en 1976, agriculteur et éleveur avant de fuir son pays d'origine, et Turjuman Ramadan Turjuman, né en 1959, juge puis avocat des droits humains, doivent recevoir respectivement 6,7 et 6,75 millions.

La banque française, active au Soudan de la fin des années 1990 à 2009, a notamment fourni des lettres de crédit dans le cadre de contrats commerciaux (import-export).

Lors du procès, qui a duré plus d'un mois, BNP Paribas a fait valoir que sa responsabilité n'avait pas été démontrée et que le régime d'Omar el-Béchir aurait commis les mêmes exactions sans elle.

- Présage -

"Ce verdict n'est que le début pour BNP Paribas. C'est un présage de poursuites similaires pour défendre les droits de victimes qui sont maltraitées par des terroristes ou par des gouvernements voyous", a déclaré à l'AFP Michael Hausfeld, l'un des principaux avocats des plaignants, juste après le verdict.

Ces trois cas avaient été choisis par le juge parmi un dossier regroupant des milliers de plaintes de réfugiés soudanais aux Etats-Unis. BNP Paribas risque donc encore des dizaines de procès.

Selon M. Hausfeld, c'est une décision "historique" car elle "rend responsable au civil le financier d'un gouvernement génocidaire" et elle pourra servir "de référence" pour des cas similaires survenus ailleurs.

"Ce verdict est une victoire pour la justice et pour l'octroi des responsabilités", a réagi Bobby DiCello, avocat principal des plaignants, cité dans un communiqué. "Le jury a reconnu que les institutions financières ne peuvent fermer les yeux sur les conséquences de leurs actions".

"BNP Paribas considère que cette décision est manifestement erronée et dispose d'arguments très solides afin d'interjeter appel", a réagi un porte-parole de la banque, dans une déclaration envoyée à l'AFP.

Ce jugement, a-t-il ajouté, "fait abstraction d'éléments de preuve essentiels qu'il n'a pas été permis à la banque de présenter lors du procès et repose sur une mauvaise interprétation du droit suisse".

Elément atypique du procès: il a été jugé en vertu des lois suisses car le Soudan était rattaché à une filiale située à Genève.

Les membres du jury semblent avoir accordé un intérêt particulier à l'accord conclu en 2014 avec la justice pénale américaine pour éviter un procès, interrompant leurs délibérations vendredi matin pour demander une relecture des quatorze pages de la "reconnaissance des faits" par BNP Paribas.

La banque a admis avoir réalisé des opérations en dollars avec le Soudan, l'Iran et Cuba - trois pays sous embargo américain - entre 2002 et 2012, mais aussi avoir notamment dissimulé que certaines transactions étaient réalisées en fait pour le Soudan.

Elle a dû payer 8,9 milliards de dollars, soit bien davantage que d'autres banques européennes ayant reconnu n'avoir pas respecté l'embargo américain.

D'après des témoignages et documents présentés au procès, l'établissement a été la "seule banque" du Soudan pendant plusieurs années et a contribué à des transactions de plus de 80 milliards de dollars entre 2002 et 2009.

Selon les Nations unies, entre 2002 à 2008, la guerre a fait 300.000 morts au Darfour (ouest du Soudan) et près de 2,5 millions de déplacés.

Omar el-Béchir, qui a dirigé le Soudan d'une main de fer pendant trois décennies, a été destitué en 2019 et est recherché par la Cour pénale internationale pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

elm/tu/pno

BNP PARIBAS

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