« La décision la plus délibérée a été de porter le changement climatique devant les tribunaux nationaux »

La COP30 sur le climat débute le 10 novembre à Belém, au Brésil. Dennis van Berkel, cofondateur du Climate Litigation Network, revient sur dix années de procès climatiques probants et comment la responsabilité climatique a pris une tournure internationale.

Dennis van Berkel est un avocat néerlandais, conseiller juridique de la Fondation Urgenda, cofondateur et conseiller stratégique du Climate Litigation Network, dont l'action vise à limiter le changement climatique via un soutien auprès des procès nationaux de justice climatique. Il répond aux questions de Justice Info dans un grand entretien. Image : portrait dessiné de van Berkel.
Dennis van Berkel. Illustration : © Benoît Peyrucq / Justice Info
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LES GRANDS ENTRETIENS JUSTICE INFO

Dennis van Berkel

Avocat néerlandais, conseiller juridique de la Fondation Urgenda, cofondateur et conseiller stratégique du Climate Litigation Network

JUSTICE INFO : Le 23 juillet dernier, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu un avis consultatif très attendu sur les obligations des États en matière de changement climatique. Selon vous, quels sont les principaux points de cette décision ?

DENNIS VAN BERKEL : C’est une décision qui définit très clairement les obligations des États en matière de climat en droit international. Elle stipule en termes très forts que les États ont l'obligation contraignante de réduire leurs émissions de carbone. Il s'agit de l'affaire la plus plaidée et la plus discutée devant la CIJ : bien qu'il s'agisse d'un avis consultatif, près de 100 pays ont présenté leurs arguments. Ils ont tous reconnu le rôle de la Cour en tant qu'interprète suprême de leurs obligations juridiques, non seulement parce qu'ils ont signé des traités, mais aussi en se présentant à la cour. Et en particulier les pays à fortes émissions, comme les États-Unis et la Chine. Leurs arguments étaient doubles. Premièrement, ils ont fait valoir que leurs obligations en matière de réduction des émissions étaient en réalité très vagues, que l'Accord de Paris n'était qu'un objectif ambitieux – entre 1,5 et 2 °C – et que la seule chose qu'ils devaient faire était de soumettre un objectif d'émission. Deuxièmement, ils ont déclaré qu'ils ne pouvaient en aucun cas être tenus responsables des dommages causés par le changement climatique.

Ils ont été catégoriquement réfutés sur ces deux points. La Cour a été très claire : la hausse limite de la température est de 1,5 °C, et non pas supérieure à 1,5 °C ; et les États disposent d'une marge de manœuvre assez réduite pour fixer leurs objectifs.

Ces objectifs doivent être fondés sur un principe d'équité par lequel chaque pays doit accomplir sa part dans l'effort mondial visant à limiter la hausse de la température à 1,5°C, dit la Cour. Si vous avez émis davantage dans le passé, vous devez réduire davantage vos émissions à l'avenir. Elle déclare également que, collectivement, tous ces objectifs doivent contribuer à atteindre celui de 1,5 °C. Et les Etats doivent fixer leurs objectifs en fonction de la marge restante. C'est fondamental, car presque aucun pays ne le fait. Ils fixent simplement leurs objectifs, sans tenir compte des données scientifiques. Ils affirment donc simplement que c'est très ambitieux et suffisant de rester en dessous de 1,5 °C, sans montrer comment ils y parviendront. L'avis consultatif de la CIJ stipule que vous devez fournir des preuves scientifiques, que vous devez baser votre objectif sur celles-ci.

Il précise également que les objectifs doivent refléter la plus haute ambition. La science montre de manière systématique que nous pouvons réduire les émissions beaucoup plus rapidement que nous ne le faisons actuellement, et que cela est bénéfique à de multiples égards, au-delà du changement climatique : impact sur la santé, l’économie, etc. Ainsi, la prise en compte d'intérêts particuliers, tels que ceux de l'industrie des combustibles fossiles, comme nous le voyons aux États-Unis, est en flagrante violation des obligations juridiques internationales énoncées par la Cour.

« Ce que les grands pollueurs demandaient, c'était un chèque en blanc. Et la Cour ne le leur a pas donné. Elle a répondu que non, qu'il fallait examiner la question de manière spécifique. »

Telle est la réponse à la première question que la CIJ devait trancher concernant les obligations des États en matière d'émissions. Pour la deuxième question, relative aux responsabilités des pays fortement émetteurs envers les pays vulnérables qui souffrent le plus des effets du changement climatique, tels que les petits États insulaires, la Cour déclare que, en matière d'impact climatique, toutes les responsabilités sont possibles en vertu du droit international, qu'il s'agisse du remboursement de certains dommages ou de restitutions. Cela peut concerner la restauration de zones dévastées par des phénomènes climatiques extrêmes, mais aussi, potentiellement, le rétablissement des concentrations atmosphériques de CO2 à l'origine de ces phénomènes extrêmes, en capturant le carbone présent dans l'atmosphère. Ce que les grands pollueurs demandaient, c'était un chèque en blanc. Et la Cour ne le leur a pas donné. Elle a répondu que non, qu'il fallait examiner la question de manière spécifique. Et il y a deux façons de procéder. La première consiste à déterminer si vous avez fait votre part des efforts nécessaires pour réduire les émissions ; la seconde à déterminer si vos émissions ont contribué aux dommages spécifiques devant être évalués. Il s'agit en fait d'une déclaration assez logique de la Cour : si vous ne réduisez pas suffisamment vos émissions, cela constitue un acte illicite au regard du droit international, et cela peut engager votre responsabilité juridique pour les dommages causés.

La CIJ affirme que le droit est important, mais qu'il ne peut à lui seul répondre à l'ampleur des problèmes liés au changement climatique. Pensez-vous que cet avis consultatif aura un impact sur les négociations politiques lors de la COP30 ?

Oui, je pense que cela aura des répercussions à plusieurs niveaux. D'une part, cela influence le débat politique international. La décision Urgenda, rendue en 2015 par un tribunal civil néerlandais, était la première fois où un tribunal déclarait qu'un pays avait la responsabilité individuelle de faire sa part, qu'il devait fixer son objectif d'émissions en fonction d'un objectif limite de température, car si on dépasse cet objectif, on agit de manière illicite. Et c'est essentiellement ce que la CIJ vient de dire mais à un niveau mondial. Avant ce jugement, dans le monde politique, tout le monde disait que c'était absurde, qu’il n’existait aucune obligation car il fallait un accord mondial sur ce que chacun devait faire exactement, qu’il n’existe pas de responsabilité individuelle et qu’on pouvait simplement décider au gré de ses envies politiques.

Le débat sur l'objectif approprié reste ouvert, mais tout le monde s'accorde à dire qu’un gouvernement est tenu de fixer un objectif et que cet objectif permettre d’atteindre la limite de 1,5 °C. Le fait qu'il s'agisse d'une obligation à laquelle les responsables politiques ne peuvent se soustraire est rendu très clair par l’avis consultatif de la CIJ. Il est également très clair que, si l'État ne tient pas ses engagements, les organisations peuvent saisir la justice. C'est ce qui se passe actuellement aux Pays-Bas. Une deuxième action en justice a été intentée contre le gouvernement néerlandais sur son objectif de 2030, alors que l'affaire Urgenda portait sur l'objectif de 2020.

« Je pense vraiment que ces évolutions juridiques sont devenues l'un des facteurs les plus influents ayant conduit à des mesures climatiques plus ambitieuses, comme nous en avons connues au cours des dix dernières années. »

Cela façonne donc le débat politique et crée une base juridique qui, si elle n'est pas respectée, permet aux citoyens de saisir la justice et de demander des comptes aux responsables politiques. Ce qui est très important ici, c'est que la CIJ stipule expressément que si les pays ne soumettent pas de Contributions déterminées au niveau national (CDN) conformes à leurs obligations légales, ils peuvent être poursuivis en justice et les tribunaux peuvent ordonner aux États de fixer des CDN plus élevées. Cet arrêt ne résout donc pas tout. Mais je pense vraiment que ces évolutions juridiques sont devenues l'un des facteurs les plus influents ayant conduit à des mesures climatiques plus ambitieuses, comme nous en avons connues au cours des dix dernières années. Passer d'un jugement rendu dans un tout petit pays, les Pays-Bas, à la plus haute juridiction mondiale en l'espace de dix ans, c'est extrêmement rapide si l'on considère la lenteur habituelle des évolutions juridiques.

Des membres de l’ONG Urgenda (dont deux avocats) sourient et brandissent des panneaux et posters devant la Cour suprême des Pays-Bas
Des membres de l’ONG Urgenda devant la Cour suprême des Pays-Bas, le 20 décembre 2019, quand les juges ont ordonné au gouvernement néerlandais de réduire de 25 % leurs émissions de gaz à effet de serre. Photo : © Sem van der Wal / ANP / AFP

Vous avez mentionné la première action couronnée de succès menée par l'ONG néerlandaise Urgenda, en 2015. Depuis, de nombreux procès climatiques ont abouti, principalement en Europe (Irlande, Belgique, Allemagne, France...), mais aussi en Colombie ou au Pakistan. Cela a eu lieu parce que des ONG ont intenté des actions en justice. Se sont-elles entraidées au sein du Climate Litigation Network ? Une décision rendue par une juridiction nationale en a-t-elle entraîné une autre devant une autre juridiction nationale ?

Ce qu’on observe, c'est plusieurs choses se déroulant en parallèle. Il est tout à fait vrai qu'il existe de nombreux échanges entre les personnes qui ont intenté ces procès, mais également entre les tribunaux eux-mêmes. Cela s'est cependant développé de manière plus organique que dans le cadre d'une grande stratégie globale. Je pense que ce qui s'est passé, c'est que les gens ont été déçus par le système politique. Les études montrent que 9 personnes sur 10 souhaitent que leurs gouvernements prennent des mesures plus énergiques en faveur du climat, mais ceux-ci ne réagissent pas et ne tiennent pas les promesses qu'ils ont faites dans l'Accord de Paris. Dans différentes parties du monde, les gens ont commencé à se demander : quels sont les outils juridiques à notre disposition ? Dans le passé, le droit a déjà été appliqué à des problèmes sociétaux majeurs auxquels le politique seul n’offrait pas de réponse immédiate. Les principes juridiques selon lesquels toute personne causant un préjudice est responsable des conséquences de ses actes ont dés lors été utilisés pour lutter contre ce nouveau problème sociétal, peut-être le plus grave de tous : le changement climatique. Il faut du temps et de l'expérimentation pour appliquer les lois existantes à un nouvel ensemble de faits, et c'est ce qu’on a vu partout dans le monde.

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Parmi les droits dont nous disposons dans les systèmes existants, il y a le cadre des droits humains. Une fois que l'utilisation de ce cadre s'est avérée fructueuse dans l'affaire Urgenda et dans l'affaire Leghari, au Pakistan, deux mois plus tard, de plus en plus de gens ont commencé à s'y intéresser et à tenter de présenter leurs dossiers devant les tribunaux. Cela prend évidemment du temps. Ensuite, les organisations qui s'y sont engagées ont appris les unes des autres. Quels sont les faits scientifiques, comment les présenter, comment expliquer les règles juridiques et comment expliquer au mieux les obligations qui en découlent ? Bien que les systèmes juridiques diffèrent d'une juridiction à l'autre, bon nombre des questions qui se posaient à ces acteurs étaient très similaires.

On a également constaté, dans les jugements, que ces tribunaux examinaient, en fait, des décisions rendues dans des juridictions totalement différentes, non pas parce qu'ils y étaient liés, mais simplement pour s'en inspirer quant à la manière dont ces questions très nouvelles avaient été traitées. Quelle est la position de tel pays face à ce problème d'action collective ? Quelle est la norme appropriée en ce qui concerne les obligations d'un pays ? Et quel est mon rôle, en tant que tribunal, vis-à-vis du politique, compte tenu de la séparation des pouvoirs dans une démocratie fondée sur l'État de droit ? On observe un tel dialogue entre tribunaux, et entre plaignants soumettant leurs arguments. Et c'est à travers ce dialogue informel que ce domaine du droit s'est développé à un rythme très rapide.

« Tant dans leur interprétation de la loi que dans la manière dont ils ont traité la procédure, les juges ont vraiment reconnu l'ampleur du problème et le fait qu'il n'était pas traité de manière adéquate par les responsables politiques. »

Le fait que cela ait évolué si rapidement s'explique également par l'urgence de la crise climatique. Par exemple, en avril 2024, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a accordé un statut d'urgence particulier à l'affaire des Aînées et c'est également ce que l'on constate avec le jugement de la CIJ. Les décisions rendues par les tribunaux internationaux comme celui-ci peuvent prendre beaucoup de temps, mais le tribunal a traité ce dossier en priorité et est parvenu à des décisions très réfléchies et motivées dans un délai relativement court. Tant dans leur interprétation de la loi que dans la manière dont ils ont traité la procédure, les juges ont vraiment reconnu l'ampleur du problème et le fait qu'il n'était pas traité de manière adéquate par les responsables politiques. Les tribunaux ont clairement indiqué dans leurs jugements que nous avons besoin de structures pour rendre des comptes et que les tribunaux sont aptes à remplir ce rôle.

Au cours de ces dix années, quelles sont, selon vous, les autres décisions marquantes ?

Il y en a eu beaucoup. Pour l'objectif de 1,5 °C, il y a eu la décision rendue en 2018 par la Cour suprême colombienne concernant les générations futures, les droits de l'Amazonie et les obligations du gouvernement de veiller à la réduction des émissions liées à la déforestation. En 2021, la décision Neubauer de la Cour constitutionnelle allemande a également été très importante. C’était la première cour constitutionnelle, après la décision de 2019 dans l'affaire Urgenda, à déterminer que l'absence de mesures climatiques à plus court terme menaçait les droits des générations futures. Une autre décision historique a été celle de la Cour suprême sud-coréenne, en août 2024, car elle était également fondée sur les droits de l'homme : elle a déterminé que le gouvernement avait l'obligation de fixer des objectifs conformes à la science. Je pense également, bien sûr, aux avis consultatifs du Tribunal international du droit de la mer en mai 2024 et de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, en mai 2025.

Toutes ces affaires se sont construites entre elles. Par exemple, la décision coréenne suit très largement le modèle créé par la Cour constitutionnelle allemande. La décision de la CEDH, dans l'affaire des Aînées, fait également référence à la Cour constitutionnelle allemande. Et la CIJ suit largement le modèle de la CEDH. Toutes ces décisions ont clairement préparé le terrain pour l'avis consultatif de la CIJ, car ce qu'elle a dit n'avait plus rien de révolutionnaire : de nombreux tribunaux l'avaient précédée.

« Pendant les deux premières années, nous avons essayé de jouer ce rôle de catalyseur. Mais après un certain temps, les gens ont compris que cela pouvait être pratiqué devant toutes les juridictions. Aujourd'hui, nous n'avons plus besoin de convaincre qui que ce soit. »

Quel rôle avez-vous joué, vous, Urgenda et le Litigation Network ?

Il a surtout s’agit d'expliquer aux autres ce que nous avions fait aux Pays-Bas et de réfléchir ensemble à la manière dont la même approche juridique pouvait être appliquée dans leurs propres juridictions. Au cours des premières années, nous avons reçu un nombre impressionnant de demandes d'aide provenant du monde entier. Pendant les deux premières années, nous avons essayé de jouer ce rôle de catalyseur. Mais après un certain temps, les gens ont compris que cela pouvait être pratiqué devant toutes les juridictions. Aujourd'hui, nous n'avons plus besoin de convaincre qui que ce soit. Nous aidons désormais davantage les gens dans leurs dossiers. Le nombre d'affaires et de personnes travaillant dans ce domaine à travers le monde a considérablement augmenté. Le Climate Litigation Network était à l'origine un projet d'Urgenda. Il est aujourd'hui devenu une organisation indépendante. Il ne dépose pas ses propres plaintes, mais soutient les communautés qui cherchent à utiliser la loi pour protéger notre avenir commun.

La décision de la CIJ élève clairement le droit à un climat stable et à un environnement sain au rang des droits humains universellement reconnus. Auparavant, l'environnement était à peine mentionné dans les droits humains universels, si l'on excepte la déclaration de l'Assemblée générale des Nations unies sur un « environnement propre, sain et durable », en juillet 2022. Les militants pour le climat ont-ils mis en place une stratégie pour parvenir à cela ?

En ce qui concerne la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies reconnaissant le droit humain à un environnement sain, de nombreuses personnes qui n'étaient pas directement impliquées dans les plaintes ont participé à ce processus depuis très longtemps. Parallèlement, les acteurs des plaintes ont commencé à invoquer les droits humains existants afin qu'ils garantissent également une protection contre le changement climatique, tels que le droit à la vie ou le droit à la vie privée en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme. Ainsi, les plaintes d'une part et les efforts visant à faire reconnaître ce droit au niveau politique d'autre part se sont renforcés mutuellement. Et nous avons maintenant cette reconnaissance de la CIJ, qui, je le crois, est une grande réussite. Ce sont donc de nombreux courants différents qui ont conduit à cela, et pas seulement les procès climatiques.

« Une autre évolution importante est la vague croissante de poursuites judiciaires contre les entreprises les plus responsables du changement climatique. »

Quelle est la prochaine étape ? Pourriez-vous utiliser la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qui est plus précise que la Convention européenne des droits de l'homme en matière de protection de la nature, de la santé humaine et du patrimoine commun ?

La manière dont la Charte sera utilisée dans les litiges nationaux dépendra en grande partie de l'avis consultatif sur le changement climatique que rendra prochainement la Cour africaine. Les conclusions de la Cour seront particulièrement pertinentes pour les nouveaux projets liés aux énergies fossiles : à l'heure actuelle, plus de 900 nouveaux projets gaziers sont prévus sur le continent. Mais si l'on considère la situation mondiale, la plupart des affaires liées au climat se concentrent, à juste titre, sur les pays du Nord Global qui ont les responsabilités les plus importantes en matière d'émissions.

Une autre évolution importante est la vague croissante de poursuites judiciaires contre les entreprises les plus responsables du changement climatique. Un exemple significatif est le procès contre Royal Dutch Shell porté devant un tribunal néerlandais par une autre ONG néerlandaise, MilieuDefensie. Leur avocat, Roger Cox, est le même qui avait plaidé l'affaire Urgenda. En première instance, en 2021, ce fut la première fois qu'une entreprise était reconnue comme ayant ses propres responsabilités en matière de réduction des émissions. En appel, l'ordonnance de réduction des émissions a été annulée – l'affaire est toujours devant la Cour suprême – mais, fait très important, la cour d'appel a suggéré que les obligations légales des entreprises pourraient les empêcher de forer pour extraire davantage de pétrole, car nous avons déjà épuisé le budget carbone disponible. MilieuDefensie a donc décidé d'intenter une nouvelle action en justice concernant les nouvelles activités d'exploration pétrolière de Shell. Deux affaires sont désormais parallèlement devant les tribunaux néerlandais : l'une concerne la réduction des émissions, l'autre vise l'exploration pétrolière.

Dans son arrêt, la CIJ indique aux États qu'ils ont l'obligation non seulement de réduire leurs émissions, mais aussi de réglementer les entreprises afin qu'elles réduisent les leurs.

Cela conclut en quelque sorte le débat sur la responsabilité des États par rapport à celle des entreprises, qui avait été lancé après la publication du rapport Carbon Majors en 2017...

Oui. Et ce n'est pas l'un ou l'autre, n'est-ce pas ? C'est les deux. Mais les États ont l'obligation de réglementer cela. Et dans le contexte néerlandais, la responsabilité indépendante de l’entreprise en matière de changement climatique est également établie. Le tribunal n'a pas admis qu'il s'agissait d'une question entièrement politique et que Shell pouvait faire ce qu'elle voulait dans le cadre fixé par le législateur. Non. Même si le législateur ne vous oblige pas à réduire vos émissions, en tant qu'entreprise, vous avez votre propre responsabilité.

Raffinerie de Concon, dans la région de Valparaiso (Chili). De nombreuses cheminées sont visibles et l'air semble particulièrement pollué.
La pollution de la raffinerie de Concon, dans la région de Valparaiso (Chili), en septembre 2018. La compagnie pétrolière nationale Enap est alors accusée par le Surintendant chargé de l’environnement de menacer la santé des habitants. Photo : © Martin Bernetti / AFP

Pourrait-on dire que, parce que le droit international de l'environnement était trop faible pour traiter les effets et les causes du changement climatique, certains avocats ont pris le parti de le traiter en tant que question relevant des droits de l'homme ?

Oui, en quelque sorte. Mais la mesure la plus délibérée qui a été prise a été, plutôt que de porter ces affaires devant les instances internationales, ce qui semblait le plus logique d'un point de vue juridique, de les porter devant les instances nationales. Et les procédures nationales qui ont été utilisées sont similaires à celles qui ont été utilisées pour déterminer la responsabilité des dommages causés par l'amiante ou le tabac depuis les années 1990. L'affaire Urgenda a été portée devant un tribunal civil. Cette jurisprudence nationale en matière d'environnement et de responsabilité a été utilisée pour créer une responsabilité climatique au niveau national, qui s'est désormais étendue au niveau international.

« La Cour internationale de justice a établi une norme non contraignante, et une grande partie de celle-ci sera désormais renvoyée devant les tribunaux nationaux, dans le cadre de procès nationaux donnant lieu à des jugements contraignants. C'est là que le droit continuera à évoluer. »

La Cour internationale de justice a établi une norme non contraignante, et une grande partie de celle-ci sera désormais renvoyée devant les tribunaux nationaux, dans le cadre de procès nationaux donnant lieu à des jugements contraignants. C'est là que le droit continuera à évoluer. Le grand changement auquel je m'attends est que les gouvernements devront désormais être beaucoup plus explicites quant à la manière dont ils fixent leurs objectifs et que ceux-ci devront reposer sur une base scientifique.

Une fois encore, il existe une interaction entre tribunaux et politique. Ces affaires judiciaires renforcent le processus décisionnel démocratique de deux manières. Premièrement, elles fournissent une base factuelle beaucoup plus claire aux politiques. Les gouvernements doivent justifier que leurs actions sont réellement suffisantes pour atteindre l'objectif de 1,5 °C. Ils ne peuvent plus se contenter de l'affirmer. Ensuite, ces jugements stipulent qu'il faut agir maintenant, qu'il n'est pas possible de reporter ces mesures, car le fardeau qui pèsera sur les générations futures sera énorme. C'est extrêmement important pour les libertés démocratiques, car si l'on n'agit pas maintenant, la marge de manœuvre pour prendre des mesures à l'avenir sera de plus en plus réduite. Afin de protéger le droit des générations futures à prendre elles-mêmes des décisions sur la manière d'agir, plutôt que d'être confrontées à un confinement carbone, il est important que les gouvernements prennent immédiatement toutes les mesures qui sont en leur pouvoir.

Dennis van BerkelDENNIS BAN BERKEL

Dennis van Berkel est un avocat néerlandais. Il rejoint la Fondation Urgenda en 2013 et participe à l'affaire Urgenda devant les tribunaux néerlandais jusqu'à sa conclusion, en 2019. Il cofonde le Climate Litigation Network en 2016 et en est le directeur jusqu'en 2023. Il est aujourd'hui conseiller stratégique de ce réseau et reste conseiller juridique de la Fondation Urgenda.

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