L'accusation prend ses réquisitions vendredi en France contre l'ex-rebelle congolais Roger Lumbala qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité des crimes contre l'humanité commis par ses soldats il y a près d'un quart de siècle en République démocratique du Congo (RDC).
Ce procès est "historique" selon les organisations de défense des droits humains qui y voient une occasion de mettre à mal l'impunité des belligérants dans l'est de la RDC où les combats se poursuivent malgré l'accord "pour la paix" entériné à Washington début décembre.
Mais il a été déserté dès le premier jour par l'accusé, 67 ans: il dénie à la justice française toute légitimité et refuse depuis de revenir devant la cour d'assises de Paris qui rendra son verdict lundi.
Au début des réquisitions du parquet national antiterroriste, compétent en matières de crimes contre l'humanité, un des avocats généraux, Nicolas Péron, a conforté les jurés: Roger Lumbala leur fait faux bond parce qu'il est "devant un problème qu'il ne pensait pas devoir rencontrer un jour, il est devant la justice", dans une situation "totalement étrangère à son système de valeurs".
Viols utilisés comme armes de guerre, esclavage sexuel, travail forcé, tortures, mutilations, exécutions sommaires, pillage systématique, racket, captation des ressources naturelles (diamants, coltan...): durant un mois, les jurés ont écouté le récit des exactions commises en 2002-2003 lors de l'opération "Effacer le Tableau", menée dans le nord-est du pays par les soldats du RCD-N, le groupe rebelle de Lumbala, soutenu par l'Ouganda voisin et allié au MLC de l'actuel ministre congolais des Transports, Jean-Pierre Bemba.
- "Paroxysme d'horreur"-
Dans la cohorte des guerres que se livrent depuis trois décennies des factions armées notamment pour le contrôle des ressources de la région, avec l'implication de pays voisins comme l'Ouganda et le Rwanda, "Effacer le tableau" a été "un paroxysme d'horreur", "une orgie sans précédent de violences et de pillages", a témoigné Hervé Cheuzeville, un travailleur humanitaire, qui a toutefois présenté Roger Lumbala en acteur secondaire.
Durant le procès, un homme a par exemple expliqué comment son frère avait été exécuté après avoir été incapable de manger son oreille sectionnée; à huis-clos, des femmes ont répété à la cour le récit livré durant l'enquête de viols par des soldats, souvent collectifs et sous les yeux de leurs parents, époux, enfants.
Les victimes d'"Effacer le tableau" étaient majoritairement nande ou pygmées bambuti, deux groupes ethniques accusés par les assaillants de pencher du côté d'une faction rivale.
Ce procès est une première. Trois chefs de guerre congolais ont certes été condamnés par la Cour pénale internationale: Thomas Lubanga, Germain Katanga et Bosco Ntaganda, qui a reçu en 2019 la peine la plus lourde jamais prononcée par la CPI, 30 ans de réclusion.
Mais aucune cour nationale étrangère n'a jusqu'à présent condamné pour des crimes commis depuis 30 ans lors de ce que le Prix Nobel de la Paix 2018, Denis Mukwege, décrit dans son ouvrage "La Force des femmes" comme le "conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale".
Durant l'enquête, Roger Lumbala, éphémère ministre en 2006 avant d'être démis pour corruption, s'est employé à se présenter en responsable politique, sans responsabilité militaire ni aucune prise sur le champ de bataille.
Faux, répliquent parties civiles et parquet, rappelant ses photos en uniforme, ses interviews où il commentait les opérations de troupes qu'ils revendiquaient, les témoignages de victimes racontant comment les assaillants pouvaient se présenter en "soldats de Lumbala", ses meetings dans deux villes théâtres d'atrocités où il arrivait en hélicoptère qui amenait des munitions et repartait avec le fruit des pillages. Roger Lumbala était bien "le grand ordonnateur" des atrocités, selon l'avocate Clémence Witt.
Le procès se tient en vertu de la compétence universelle de la justice française, qui lui permet de juger ce type de crimes, même commis dans un autre pays, à condition notamment que les auteurs présumés aient leur résidence en France et que des poursuites n'aient pas été engagées par une autre juridiction.

