29.04.15 - BURUNDI/CRISE - QUAND UN PRÉSIDENT « BORN AGAIN » DÉFIE SON PEUPLE ET LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

Arusha, 29 avril  (FH) -  Accusé de violer l’Accord de Paix et de Réconciliation signé en 2000 à Arusha, en Tanzanie, ainsi que la Constitution promulguée cinq ans plus tard, le président burundais Pierre Nkurunziza n’en fait qu’à sa tête. Les deux textes prévoient un seul mandat présidentiel renouvelable une seule fois. Mais le chef de l’exécutif burundais, qui brigue un troisième mandat, s’est fait plébisciter samedi dernier par son parti comme candidat à la présidentielle de juin prochain.

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Et cela en dépit des multiples appels lancés de l’intérieur comme de l’extérieur du pays. Ses prédécesseurs Pierre Buyoya, Sylvestre Ntibantunganya et Domitien Ndayizeye l’ont plusieurs fois mis en garde, mais en vain. Sans oublier la société civile, les partis de l’opposition, certaines figures de son propre parti et même la puissante église catholique burundaise.De l’extérieur, les Etats-Unis, l’Union européenne et l’Union africaine ont averti l’ancien maquisard qu’il risquait de plonger son pays dans une nouvelle crise profonde.Pour la société civile et l’opposition, cette candidature de Nkurunziza est un défi lancé au Burundi. Dans le cadre d’une démonstration de force sans précédent, le régime a déployé, depuis le week-end, d’importants dispositifs de sécurité. Les heurtes entre manifestants et policiers ont déjà fait au moins six morts, selon des médias occidentaux.Mais sur quoi s’appuie Nkurunziza ? Quel argument ce président « born again », qui danse souvent dans son église, oppose-t-il aux critiques de ses concitoyens et aux conseils de la communauté internationale ?A l’origine de cette crise, qui se profilait déjà depuis plusieurs mois, se trouve deux interprétations diamétralement opposées de la Constitution burundaise de 2005. L’article 96 de cette Constitution stipule que « le  président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ». Plus loin, l’article 103 dispose que «le mandat du président de la République débute le jour de sa prestation de serment et prend fin à l’entrée en fonctions de son successeur ».Or, argumente le camp présidentiel, Pierre Nkurunziza n’a été élu au suffrage universel pour la première fois qu’en 2010, ce qui lui donne donc le droit de se représenter le mois prochain. Pour l’autre camp, le chef de l’Etat et ses affidés font une lecture délibérément tronquée et malhonnête  du texte constitutionnel.En effet, comme Nkurunziza a accédé à la présidence lorsque les conditions politiques n’étaient pas réunies pour un scrutin présidentiel en bonne et due forme, la même constitution de 2005 avait prévu des dispositions particulières. Elles sont contenues dans l’article 302 qui stipule : « à titre exceptionnel, le premier président de la République de la période post-transition est élu par l’Assemblée Nationale et le Sénat réunis en Congrès, à la majorité des deux -tiers des membres ». C’est ce qui s’est passé en juin 2005 lorsque les deux chambres du parlement ont porté Nkurunziza à la tête du Burundi nouveau pour un premier mandat de cinq ans. En juin 2010, il a donc été réélu, cette fois-ci, au suffrage universel direct. L’Accord de Paix et de Réconciliation d’Arusha ainsi que la Constitution visent tous les deux à bâtir un Burundi nouveau sur les cendres de plusieurs années d’une guerre civile dont certaines plaies sont encore loin d’être cicatrisées.Pour l’ancien président de la République, Domitien Ndayizeye, les deux textes sont sans équivoque. « L’esprit de l’Accord de Paix d’Arusha ainsi que la Constitution burundaise sont effectivement clairs sur l’impossibilité d’un troisième mandat présidentiel », estimait l’ancien chef de l’Etat dans un entretien récent avec la RPA, l’une des principales radios indépendantes du Burundi. Pour cet ancien président hutu, qui a signé les deux textes fondamentaux, Nkurunziza ne doit pas tomber dans le piège de son entourage mais plutôt laisser émerger les cadres de son parti. Un autre ancien président du Burundi, le Tutsi Pierre Buyoya renchérit : « Sur la question des mandats, les accords d'Arusha sont clairs. Le président de la République est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ». Mais l’actuel homme fort du pays campe sur ses positions, décidé à se maintenir au pouvoir au prix d’une répression qui s’annonce massive et sanglante.Dans une déclaration commune publiée lundi, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et Ligue burundaise ITEKA « condamnent les actes de violence survenus dans les quartiers de Bujumbura, qui auraient conduit à la mort d’au moins quatre personnes et fait plusieurs blessés ». Les deux organisations dénoncent « par ailleurs l’arrestation (lundi) matin à la maison de la presse, de Monsieur Pierre Claver Mbonimpa (un célèbre militant des droits de l’homme), ainsi que les décisions prises par les autorités burundaises de suspendre la diffusion, en province, des informations émises par trois radios indépendantes ». La Radio publique africaine (RPA), la plus écoutée au Burundi, a même été fermée.Plus préoccupant, notent la FIDH et la Ligue ITEKA, les jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, seraient descendus dans les rues aux côtés de policiers, en certains endroits. Des groupes d’Imbonerakure auraient ainsi défilé dans les rues de certains quartiers par groupes de 50 à 100 personnes, armés de bâtons et scandant des slogans violents tels « on va vous savonner si vous continuez à manifester ».La peur d’être lynchés par des Imbonerakure a déjà jeté de nombreux Burundais sur les routes, dont plus de 15.000 ont cherché refuge au Rwanda voisin.Mardi, l’Union européenne, dont les précédents appels ont été vains, a une fois de plus dénoncé « l'intimidation et la violence » au Burundi et demandé aux autorités de « garantir l'exercice pacifique des droits civils et politiques ».« L'intimidation et la violence, les morts et blessés, l'arrestation de défenseurs de droits de l'Homme et la restriction des médias, le flux de réfugiés vers des pays voisins n'ont pas leur place dans un processus électoral », a affirmé un porte-parole du service diplomatique de l'UE. L’organisation sera –t-elle cette fois-ci entendue ?    ER/JC/PH