Une fresque murale représentant Vladimir Poutine et des combattants russes en treillis est apparue ces dernières semaines devant un grand marché proche de l'aéroport de Bangui, capitale de la Centrafrique, à l'approche des élections de dimanche.
L'ambassade de Russie à Bangui a vu dans cette oeuvre, où le président russe serre la main de son homologue centrafricain Faustin-Archange Touadéra, un "signe de notre victoire commune sur le chaos et l'instabilité", symbole du rôle clef que le groupe paramilitaire russe Wagner a joué pour aider le président sortant, grand favori de la présidentielle, à stabiliser le pays.
La Centrafrique "a été, en fait, le seul cas couronné de succès", note Sergueï Eledinov, expert russe en sécurité africaine, à propos de la présence militaire russe en Afrique.
Autrefois présent au Mozambique, en Libye et au Mali, le groupe paramilitaire n'y a pas eu la même réussite qu'en Centrafrique.
Dans ce pays, "la situation sécuritaire s'est améliorée, la stabilité a été rétablie, les routes sont devenues plus sûres", énumère M. Eledinov.
Le groupe a largement contribué à repousser les groupes armés hors des grandes villes.
Aujourd'hui, près de 90% du pays sont de nouveau sous l'autorité du gouvernement, contre 80% tenus par les groupes armés en 2021 selon divers analystes.
"Mais il serait faux de dire que tout le monde est satisfait" de Wagner, ajoute M. Eledinov.
Wagner, comme d'autres groupes armés en Centrafrique, est accusé de crimes de guerre par les défenseurs des droits humains et par l'opposition.
- Modèle économique unique -
Cet Etat riche en ressources naturelles, situé au coeur de l'Afrique, demeure le dernier bastion de Wagner, qui s'est imposé comme l'un des principaux partenaires sécuritaires du gouvernement en échange de contrats lucratifs.
Les mercenaires de Wagner, dont le nombre dans le pays est estimé entre 1.500 et 2.000, ont été déployés en 2018 à la demande du président Touadéra pour soutenir l'armée face aux groupes armés rebelles après plusieurs années de guerre civile.
Le soutien russe a "permis d'éviter une nouvelle guerre civile" en 2020-2021, a assuré le président centrafricain lors de sa visite en Russie en janvier, où il a rencontré M. Poutine.
En échange de son soutien à Bangui, Wagner a notamment obtenu des licences d'exploitation pour le bois, les mines d'or et de diamants.
Un modèle économique unique en Afrique. "Ils sont dans les mines, dans le bois, dans la brasserie. Leur départ poserait un vrai problème intérieur pour le gouvernement", explique à l'AFP le politologue Paul Crescent Béninga.
La Centrafrique a connu depuis son indépendance en 1960 une succession de guerres civiles, de coups d'Etat et de régimes autoritaires, ponctués au début des années 2010 par des guerres civiles entre gouvernement et groupes armés rebelles issues notamment des régions du nord.
Ces affrontements ont causé des milliers de morts et poussé près du quart des Centrafricains à l'exil depuis 2013.
Malgré une stabilisation relative depuis les accords de paix de Khartoum en 2019, des poches de violence persistent, notamment à l'est et au nord-ouest, alors que le pays tient dimanche un quadruple scrutin (présidentielle, législatives, municipales, locales).
- "Tensions" -
Depuis la mort en août 2023 en Russie du chef historique de Wagner, Evguéni Prigojine, qui avait défié l'autorité de Moscou, le ministère russe de la défense cherche à remplacer Wagner par la société privée Africa Corps, avec laquelle il a des liens plus étroits.
"Nous sommes un pays fragile. Si des pays amis veulent nous aider, ils sont les bienvenus", a déclaré M. Touadéra dans une interview sur la chaine de télévision France 24 en novembre, tout en niant recevoir une quelconque pression du Kremlin pour opérer ce remplacement.
"Pourquoi vous parlez de pression? Je dis que nous sommes en discussion", a-t-il ajouté sans vouloir en dire plus, "ce serait discourtois vis-à-vis de la Fédération de Russie."
Pour Charles Bouessel, consultant pour le think-tank International Crisis Group (ICG), "les autorités (centrafricaines) craignent qu'Africa Corps soit moins proactif militairement, comme on l'observe au Mali", que Wagner qui semble "mieux implanté, avec des activités économiques solides et un bilan sécuritaire perçu comme positif".
"Ils ont un rôle essentiel dans la stabilité du pays", reconnaît le politologue Paul Crescent Béninga. "Le problème du passage de témoin entre Wagner et Africa Corps a créé des tensions, mais on espère une résolution sans casse."
Selon une source militaire européenne, "l'intérêt pour Touadéra de garder Wagner, c'est que Wagner se paye sur la bête", notamment avec les mines d'or. Alors que "s'il prend Africa Corps, il devra payer en numéraire", peut-être moins évident à fournir.
Mais d'après Sergueï Eledinov, Moscou ne se précipiterait pas pour changer une structure qui s'est avérée "efficace". "A court terme", dit-il, "ils ne la démantèleront probablement pas".

