OPINION

Côte d’Ivoire : Quel héritage pour le Président Ouattara ?

4 min 41Temps de lecture approximatif

Le Président Alassane Ouattara, qui a remporté l’élection présidentielle du mois d’octobre en Côte d’Ivoire, devrait mettre à profit son second mandat pour répondre aux profonds défis relatifs aux droits humains qui ont contribué aux violences que le pays a connues par le passé, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 86 pages, intitulé « ‘Consolider cette paix qui nous appartient’: Un agenda relatif aux droits humains pour la Côte d’Ivoire », évalue les progrès réalisés par le gouvernement en vue de renforcer l’État de droit et identifie les principales priorités des cinq prochaines années en matière de droits humains. Le gouvernement du Président Ouattara a réalisé des progrès dans le traitement des conséquences de la crise postélectorale dévastatrice de 2010-2011. Mais il devrait faire davantage pour combattre l’impunité, renforcer l’État de droit, achever les réformes du secteur de la sécurité et trouver une solution durable et fondée sur les droits humains aux conflits fonciers qui sont fréquemment à la racine des violences au niveau local.

« Le second mandat du Président Ouattara définira probablement son héritage », a déclaré Jim Wormington, chercheur auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Même si son gouvernement mérite d’être salué pour avoir relancé l’économie, il sera jugé en fin de compte sur son aptitude à aborder les problèmes bien enracinés qui portent atteinte aux droits humains et menacent la stabilité future. »

L’élection largement pacifique du mois d’octobre et la forte croissance économique durant le premier mandat du Président Ouattara ont incité de nombreuses personnes à louer le rétablissement du pays après son turbulent passé. Mais cela ne fait même pas cinq ans que la Côte d’Ivoire est sortie d’une décennie de conflit et de troubles, culminant avec le refus du président d’alors, Laurent Gbagbo, de céder le pouvoir à Ouattara après l’élection de 2010. Dans le conflit armé qui a suivi, 3 000 civils ont été tués et de nombreuses femmes ont été violées.

Human Rights Watch a constaté que la Côte d’Ivoire a fait des progrès importants depuis l’arrivée au pouvoir du Président Ouattara, notamment avec une amélioration de la situation sécuritaire à l’échelle nationale. Mais dans de nombreux cas, les mesures positives n’étaient que le début d’un long chemin vers de réformes significatives.

Le gouvernement a soutenu la création d’une unité spéciale composée de juges d’instruction et de procureurs chargée d’enquêter sur les atrocités commises durant les violences de 2010-2011. En 2015, cette unité a inculpé des suspects de haut niveau appartenant aux deux camps militaires et politiques opposés. Toutefois, les victimes restent sceptiques quant au soutien qu’apportera le gouvernement aux poursuites judiciaires visant les commandants des forces pro-Ouattara et, le cas échéant, les châtiments prononcés à leur encontre. L’une des victimes a déclaré : « C’est le parti qui gagne qui écrit son histoire. »

De la même façon, si le gouvernement a réalisé des progrès dans l’amélioration de la conduite de l’armée, et en transférant la responsabilité de l’application de la loi depuis les forces armées à la police et aux gendarmes, les autorités ont tardé à réprimer les actes d’extorsion, de racket et de corruption. Des militaires, des policiers et des gendarmes extorquent de l’argent à des barrages routiers illégaux, tandis que plusieurs commandants de l’armée se sont enrichis grâce à l’extorsion, à la contrebande et aux systèmes de taxes parallèles frappant l’exploitation de ressources naturelles. Le gouvernement devrait renforcer le système chancelant de justice militaire et adopter une politique de tolérance zéro pour les abus commis par des membres des forces de sécurité.

Des Ivoiriens ont également indiqué à Human Rights Watch que dans certains cas les réformes entreprises pendant le premier mandat du Président Ouattara ont omis de s’attaquer aux causes plus profondément enracinées de certains problèmes.

Même si le gouvernement a reconstruit les tribunaux et les prisons détruits ou endommagés au cours des crises successives qu’a connues la Côte d’Ivoire, bon nombre des problèmes sous-jacents et moins visibles qui ont miné le système judiciaire depuis des décennies demeurent intacts. L’amélioration de l’indépendance du système judiciaire devrait constituer une priorité. Un expert de la justice internationale a confié récemment à Human Rights Watch que le gouvernement souffre de  « l’absence de désir de changer le niveau de contrôle qu’exerce actuellement l’exécutif sur les juges ».  Le maigre budget alloué au système judiciaire devrait également être augmenté – en 2014, il s’élevait à 90,6 millions d’euros (96,4 millions de dollars US), soit à peine 1,4 % du budget ivoirien.

Le gouvernement a refusé de publier le rapport final de la Commission Dialogue, Vérité́ et Réconciliation, mise en place par Ouattara en 2011 et qui avait pour but d’aider à empêcher de futures exactions. Une première série d’indemnisations à des milliers de victimes, accordées avant même que la commission chargée des réparations n’ait finalisé les décisions sur les personnes y ayant droit et sur la forme des réparations qui seraient versées, a suscité des attentes parmi d’autres victimes que le gouvernement peut avoir du mal à satisfaire. L’adoption d’une loi sur les réparations et le renforcement des efforts de sensibilisation auprès des victimes sont essentiels.

En outre, même si le gouvernement de Ouattara reconnaît le rôle des conflits fonciers dans les violences intercommunautaires, en particulier dans l’ouest instable du pays, le gouvernement s’est concentré sur la mise en œuvre d’une loi de 1998 relative au domaine foncier rural dont l’application est trop compliquée et trop coûteuse. À mai 2015, seulement 978 certificats – qui fournissent aux propriétaires fonciers coutumiers une preuve de leurs droits de propriété – avaient été délivrés, par rapport aux quelques 500 000 nécessaires pour couvrir la Côte d’Ivoire.

La responsabilité de la résolution des conflits fonciers incombe actuellement aux autorités locales et aux chefs de village qui ont parfois de la difficulté à faire appliquer leurs décisions, qui sont souvent défavorables aux femmes et permettent même fréquemment à ceux qui occupent les terres de manière illégitime d’y rester. La consultation prévue sur une nouvelle politique foncière devrait incorporer la participation des hommes et des femmes de tous les groupes politiques et ethniques.

« Bien que le Président Ouattara ait réussi à éloigner progressivement la Cote d’Ivoire de son douloureux passé, le chemin vers le redressement du pays est encore long », a conclu Jim Wormington. « Si Ouattara omet de s’attaquer aux défis relatifs aux droits humains qu’il n’a pas réglés durant son premier mandat, la lutte pour sa succession pourrait encore une fois menacer la paix sur laquelle s’est construit le rétablissement de la Côte d’Ivoire. »