28.03.08 - TPIR/SEROMBA - LE JUGEMENT DE SEROMBA INSISTE SUR SA RESPONSABILITE DANS LES MASSACRES

Arusha, 28 mars 2008 (FH) - La Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda a considéré le mois dernier que le père Athanase Seromba « n’a pas été seulement un assistant et un complice» dans les exactions perpétrées entre le 6 et le 20 avril 1994 à l’église de Nyange comme l’avait déclaré la Chambre de première instance, « mais est devenu un participant principal dans le crime lui-même ». La Chambre de première instance avait retenu comme mode de participation « l’aide et la complicité », considérant que Seromba n’avait pas commis de crime directement et physiquement.

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La requalification de « l’aide et la complicité » en « commission », malgré l’absence de participation directe de Seromba, a eu pour conséquence d’augmenter la peine de Seromba de 15 ans d’emprisonnement à la prison à perpétuité mais surtout d’élargir la notion de « commission », en sortant du cadre juridique jusqu’à présent tracé.

Les juges d’appel, le juge chinois Liu Daqun émettant une opinion dissidente, ont estimé que « Seromba a franchi la ligne séparant l’assistance et la complicité de la perpétration du génocide et est devenu un participant principal au crime lui-même ».

Contrairement à la position traditionnelle adoptée en première instance, la chambre d’appel a déclaré que la « commission », en soi, n’est pas limitée à la perpétration directe et physique.

Elle reprend alors ce qui avait été décidé dans l’affaire Gacumbitsi à savoir que « dans le contexte du génocide, « perpétration physique et directe » ne vise pas que le meurtre physique ; d’autres actes peuvent constituer une participation directe dans l’élément matériel du crime ».

Le juge Liu n’adhère pas à cette argumentation. Il estime que les juges ont transformé en principe général une notion qui n’était applicable qu’au génocide en l’appliquant au crime d’extermination. Il rappelle que les Tribunaux pénaux internationaux ont déjà condamné pour « commission » alors qu’aucune action directe dans le crime n’était imputable à l’accusé. Mais pour cela, ils avaient utilisé le concept « d’entreprise criminelle commune » (joint criminal enterprise) ce qui semble ne pas avoir été plaidé dans l’affaire Seromba.

La notion « d’entreprise commune » est née de la pratique des Tribunaux institués après la seconde guerre mondiale et fait partie du droit international coutumier. D’après la Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) dans l’arrêt Tadic du 15 juillet 1999, elle est « confirmée, de façon implicite, dans le Statut du Tribunal international (upheld, albeit implicitly, on the Statute of the International Tribunal) ».

La Chambre d’appel du TPIY explique que « en temps de guerre […] la plupart du temps ces crimes ne résultent pas de la propension criminelle de seuls individus mais constitue les manifestations d’une criminalité collective : les crimes sont souvent commis par des groupes d’individus poursuivant un dessein criminel commun ».

Peut alors être retenue la responsabilité pénale de ceux qui, bien que n’ayant pas commis physiquement le crime, en ont facilité la perpétration et l’ont rendu possible. Les juges d’appel dans l’affaire Tadic ajoutaient que « la gravité morale d’une telle participation n’est pas moindre –ou en tout cas pas différente- de celle de ceux qui commettent les actes en question".

Dans ce type d’entreprise criminelle commune les participants sont animés de la même intention criminelle, ils agissent d’après un dessein commun. Deux autres catégories d’entreprise commune ont été dégagées : une systémique où les crimes sont commis par des membres d’unités militaires ou administratives comme ceux, par exemple, des camps de concentration ; et une élargie dans laquelle « un des participants commet un acte qui, bien qu’en dehors du dessein commun, était néanmoins une conséquence naturelle et prévisible de l’exécution de ce dessein commun».

L’entreprise criminelle commune est prouvée, toujours selon l’arrêt Tadic, par la démonstration de « la pluralité des personnes, l’existence d’un plan, projet ou dessein commun qui constitue ou implique la commission d’un crime énoncé dans le statut et la participation de l’accusé au projet commun».

Elle est « une forme de « commission » d’un crime au sens de l’article 6 1) du Statut ». Et, comme le rappelle le Juge Liu, « si le Procureur entend invoquer la théorie de l’entreprise criminelle commune, il doit le dire clairement dans l’acte d’accusation » (Simba, décision Chambre de première instance TPIR, 14 juillet 2004).

Dans l’affaire Seromba, le Procureur avait décidé de poursuivre la « commission » directe. L’entreprise criminelle commune, qu’il ne semble pas avoir pas plaidée, ne pouvait donc pas être invoquée en appel.

La Chambre d’appel, en retenant malgré tout le mode de participation par « commission », en a considérablement élargie la notion, en en créant presque une troisième forme. Mais elle avait déjà commencé à le faire dans une affaire précédente.

Dans l’arrêt du 7 juin 2006 contre Sylvestre Gacumbitsi, la Chambre d’appel a en effet créé un cas particulier de « commission » indirecte dans le contexte particulier du génocide. Elle a considéré qu’en étant présent sur la scène du crime « pour superviser et diriger le massacre et en participant activement à la séparation des réfugiés Tutsis pour qu’ils soient tués» il n’a pas « simplement ordonné ou planifié le génocide à distance et ne l’a pas laissé aux autres pour être sûr que ses ordres et plans allaient être exécutés ; pas plus qu’il n’a engagé les meurtres».

Dans l’affaire Seromba, qui dépasse le cas individuel car il s'agit du premier responsable de l'église catholique condamné pour sa participation au génocide, la Chambre d’appel condamne le prêtre, notamment, pour le fait d’avoir adhéré et avoir fait sienne les décisions de détruire l’église Nyange et d’exercer son autorité sur le conducteur du bulldozer qui l’a détruite. Celui-ci, souligne la Chambre, « avait accepté Seromba comme la seule autorité». La chambre d'appel a notamment évoqué son refus de dire la messe pour les réfugies qui le lui demandaient.

AV/PB/GF