Dans les trois précedents procès "rwandais" en 2001, 2005 et 2007 qui se sont déroulés en Belgique, les accusés ont été condamnés pour crimes et guerre et atteinte au droit international humanitaire. Nkezabera répondra de crimes de guerre (meurtres, tentatives de meurtre et viols).
A moins d’un recours en cassation dans les 15 jours : Lieve Pellens, porte-parole du parquet fédéral, a déclaré que celui-ci allait étudier les possibilités de contester cet arrêt. A ce stade, juste avant les assises, la loi prévoit en effet quelques rares cas, très spécifiques, de recours portant sur des points de procédure.
La juridiction de renvoi justifie sa décision non par l’appréciation au fond des crimes qu’aurait commis Nkezabera, mais pour des motifs juridiques.
Elle a suivi ainsi les arguments de Me Gilles Vanderbeck, conseil de Nkezabera, qui contestait l’inculpation demandée par le parquet et s’est dit « satisfait » sur ce point. Prenant soin de préciser qu’il ne remettait pas en cause l’existence d’un génocide au Rwanda en 1994, il avait rappelé que ce crime n’avait été introduit en droit belge qu’en 1999. Or les faits ont été commis en 1994 et la loi ne peut être rétroactive, avait-il soutenu.
De leur côté, les parties civiles et le procureur fédéral Michel Yernaux avaient rappelé que la Belgique avait ratifié la Convention pour la répression du crime de génocide (1948) en 1951. Bien que n’étant pas explicite dans la loi avant 1999, ce crime faisait donc partie, selon eux, de l’ordre juridique belge avant cette date.
La chambre des mises en accusation n’a pas répondu directement à ces derniers arguments, se contentant de rappeler le principe général de non-rétroactivité de la loi pénale. Ce faisant, les juges retoquent également la décision de la chambre du conseil du 20 février dernier qui avait retenu la prévention de génocide.
Il s’agit d’une déception pour les parties civiles : « Les clients ne comprennent pas que l’on ne parle pas de génocide. Nkezabera est un génocidaire et c’est sans doute le plus gros poisson qu’aura jugé jusqu’à présent la Belgique. Il n’est pas facile de faire comprendre que c’est seulement pour des raisons de technique juridique — d’ailleurs discutables », explique un de leurs avocats, Me Philippe Lardinois.
Par ailleurs, Me Lardinois ajoute craindre que cette décision ne soit « intrumentalisée par les milieux révisionnistes rwandais, sur le mode “vous voyez, on ne retient même pas le génocide…“ »
De son côté, Me Vanderbeck regrette qu’en plus des crimes identifiés et reconnus, les juges aient retenus contre son client « des incriminations “fourre-tout“ de “meurtres ou de viols d’un nombre indéterminé de personnes en des lieux indéterminés à des dates indéterminées entre le 6 avril et le 2 juillet 1994“ ». Selon lui, cela « consacre un principe de responsabilité collective et pas individuelle ». Il rappelle les « dérives » provoquées selon lui lors des précédents « procès Rwanda » par ces mêmes incriminations qui avaient permis la constitution de nombreuses parties civiles très éloignées, voire étrangères à la cause.
Ephrem Nkezabera a admis sa culpabilité sur la plupart des faits qui lui sont reprochés. Il avoue ainsi avoir armé et financé les Interahamwe afin de procéder à l’extermination des tutsi et des hutus modérés. Il ajoute avoir publiquement « encouragé au massacre » de nombreux Interahamwe lors d’une réunion publique en 1993. Enfin, il reconnaît avoir participé au financement de la Radio Mille Collines, créée la même année, qui a ouvertement soutenu sur ses ondes l’accomplissement du génocide.
La chambre des mises en accusation a également retenu les accusations de viols considérés comme crimes de guerre — viols que conteste en revanche l’ancien banquier de la Banque commerciale du Rwanda.
En 1994, Nkezabera, aujourd’hui âgé de 55 ans, était président de la commission des affaires économiques et des finances au sein du comité national des Interamhamwe, la principale milice ayant participé aux tueries qui ont fait plus de 800 000 morts selon l’Onu, en majorité parmi l’ethnie tutsi. Il était aussi membre du parti du président Juvénal Habyarimana, le Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND).
Arrêté en Belgique en 2004 à la suite d’un accord conclu avec le procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), il était réputé être depuis plusieurs années, avec d’autres anciens dirigeants des Interahamwe, un informateur du tribunal onusien.
Si aucun recours n’était formé, la date du procès serait fixée dans les semaines à venir. Il pourrait se tenir dans ce cas avant la fin de l’année.
BF/PB