03.07.08 - TPIR/RWANDA - LE REJET DES TRANSFERTS EST UN MANQUE DE RESPECT DES JURIDICTIONS NATIONALE

Bruxelles, 3 juillet 2008 (FH) — William Schabas, directeur du Centre irlandais pour les droits de l'homme, juriste proche des autorités rwandaises, a estimé que les décisions des juges du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) de rejeter des demandes de transfert d'accusés vers le Rwanda relèvent d'un manque de respect des juridictions nationales. Le spécialiste du droit international s'est notamment opposé à Alison Des Forges, responsable pour l'Afrique de l'ONG Human Rights Watch (HRW), lors d'un colloque organisé au parlement belge à Bruxelles par l'organisation britannique Redress et l'organisation African Rights au début de la semaine.

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Pour Schabas, ces décisions du tribunal des Nations unies « démontrent que nous n'avons pas compris l'équilibre entre la justice internationale et les systèmes nationaux. Nous devons faire preuve de davantage de respect envers les juridictions nationales ».

Selon lui, la décision du 6 juin dernier de la justice britannique d'extrader vers le Rwanda quatre accusés recherchés par Kigali est « un grand pas en avant ». « Tout n'est pas parfait au Rwanda » a-t-il admis, mais c'est, selon lui, « une démocratie qui respecte les droits de l'homme, et les juges (britanniques NDLR) ont considéré que ces extraditions ne posaient pas de problèmes ». La décision britannique est intervenue peu de temps après que deux chambres du TPIR ont rejeté, fin mai et début juin, trois demandes de transfert d'accusé vers le Rwanda déposées par le procureur. Les juges d'Arusha ont estimé que le Rwanda n'offrait pas suffisamment de garanties pour la tenue de procès équitables.

Les juges du TPIR, pour Schabas, « disent que la base matérielle pour juger le génocide manque dans la loi rwandaise. Mais c'est dans la loi organique de 1996. Si elle a été en effet abrogée par une loi de 2004, cette dernière reprend les mêmes dispositions ». Quant aux conditions de détention, critiquées — l'article 4 de la loi de 2007 prevoyant que l'emprisonnement à vie pouvait se faire en isolement —, William Schabas relève qu' « à Londres, les avocats de la défense n'ont jamais utilisé cet argument. Et les juges ont estimé que la loi de 2007 offrait assez de garanties ». Enfin, concernant d'éventuelles pressions sur les témoins à décharge, « cette question existe depuis la création du TRIR en novembre 1994, et ça ne s'est pas arrêté là pour autant, des procès ont pu avoir lieu ».

Pour Alison Des Forges, qui était venue à Arusha exposer les reserves de son organisation sur la justice rwandaise, le problème de la base légale pour juger le génocide se pose au Rwanda à cause de deux lois organiques en conflit. Par ailleurs, la possibilité de l'isolement « est incorporée dans le code pénal rwandais et, je crois, dans la dernière révision des lois gacaca », a-t-elle fait remarquer.

Surtout, elle estime qu' « il faut se concentrer sur ce qui se passe vraiment. Certes, des progrès énormes ont été faits, mais je dis que les jugements des juridictions ordinaires du Rwanda sont rendus sur des bases politiques».

L'historienne, coordonnatrice du rapport de référence sur le génocide rwandais, Aucun témoin ne doit survivre, rappelle que les garanties d'indépendance que la loi offre aux juges sont régulièrement violées. Elle a notamment cité trois exemples : d'abord le déplacement récent, décidé à un niveau politique, de deux juges de la Cour suprême vers le parquet. Puis la teneur d'une réunion, le 10 mai, de dirigeants du Front patriotique rwandais (FPR), parti du président Paul Kagame, lors de laquelle se serait exprimée l'intention de « récompenser ou de punir les juges selon leurs résultats ». Enfin, le fait que, alors que la loi rwandaise interdit l'appartenance des juges à un parti politique, « la plupart d'entre eux sont membres du FPR, et le dissimulent ».

Interpellée par l'ambassadeur du Rwanda en Belgique, Joseph Bonesha, qui lui demandait « d'accompagner le processus d'extradition plutôt que de s'y opposer, pour que soient jugés au Rwanda les Rwandais qui ont commis le génocide sur d'autres Rwandais », à des fins de pédagogie pour la population et par égard pour les victimes, Mme Des Forges a répondu que « nous sommes tous d'accord pour dire que la solution du pays « victime » est à privilégier. Mais il faut se méfier des préjugés : à l'arrivée, cette solution évidente sera-t-elle satisfaisante pour les victimes ? »

Attaquée sur ses sources et la « partialité » de ses exemples, comme elle l'avait été à Arusha par le procureur, Des Forges a renvoyé pour des développements plus complets à la publication prochaine d'un rapport d'une centaine de pages de Human Rights Watch sur ce sujet.

BF/PB/GF