17.07.08 - BELGIQUE/GENOCIDE - ENTRETIEN AVEC PHILIPPE MEIRE, PROCUREUR FEDERAL ADJOINT BELGE

Bruxelles, 17 juillet 2008 (FH) - Les dossiers judiciaires sur le génocide rwandais sont « lourds et difficiles à gérer, tant sur le plan de l'enquête que sur celui de la charge émotionnelle et psychologique qu'ils véhiculent» a expliqué à l'agence Hirondelle M. Philippe Meire, le procureur fédéral adjoint au parquet fédéral de Belgique qui travaille sur ces affaires depuis 1999.

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Outre l'éloignement géographique - « un problème universel lorsqu'on doit enquêter sur des faits commis à l'étranger, mais qui se pose ici avec une acuité particulière » - et la soumission au « bon vouloir » des autorités des pays concernés pour enquêter, les principales difficultés viennent de la charge de rapporter la preuve, qui incombe à l'accusation.

« Par la force des choses, beaucoup de témoins ont disparu ou ont été tués, a-t-il expliqué. Parmi les rescapés, certains peuvent concevoir des difficultés à témoigner, car témoigner signifie pour eux revivre des faits horribles. Ils préfèrent alors ne pas travailler avec la justice, surtout s'ils ont pu construire une nouvelle vie. Et puis il y a la mémoire qui peut s'estomper », a-t-il énuméré.

La parole, en général parcimonieuse, des accusés, ne peut pallier cette recherche difficile des témoins : « On avoue plus facilement des crimes de droit commun. Ce qui explique qu'il n'y ait que relativement peu d'aveux, ou partiels. Rares sont ceux qui reconnaissent avoir participé aux actes indicibles d'un génocide. »

Pour d'autres témoins, c'est la perception d'une justice partiale qui les ferait hésiter : « Certains considèrent que, pour les faits relatifs au génocide, la justice ne s'intéresse qu'aux crimes commis par une seule partie. Ce problème est particulièrement important au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Mais il ne faut pas oublier que la justice internationale a dit qu'il fallait d'abord s'occuper des faits les plus graves », a-t-il rappelé. «Cela ne veut pas dire que des crimes de guerre, dont les auteurs bénéficient de l'impunité, n'aient pas été commis par ailleurs », ajoute-t-il.

A propos des menaces qui pèsent sur les témoins à décharge, Philippe Meire rétorque que « ce discours l'agace ». «L'inverse existe aussi, affirme-t-il. Des personnes au Rwanda ont subi des menaces ou des critiques parce qu'elles sont venues témoigner à charge. Il ne faut pas oublier, entre autres à cause des libérations de prisonniers, que des génocidaires vivent dans les collines du Rwanda aux côtés de rescapés. »

Selon lui, lors des trois procès déjà tenus en Belgique en lien avec le génocide, « l'écrasante majorité des témoins à décharge sont venus». Il y a le « cas particulier » de dix témoins qui, lors du procès de 2005, n'ont pas voulu retourner au Rwanda et ont déposé des demandes d'asile toujours en cours d'instruction. « Mais il y a parmi eux tant des témoins à charge qu'à décharge, et, si certains parlent de menaces pour appuyer leurs demandes, il peut être délicat de démêler ce qu'il en est. » Lors du procès Ntuyahaga de 2007, deux gendarmes Rwandais, qui avaient évoqué des craintes pour leur sécurité, s'étaient enfuis de leur hébergement pour ne pas avoir à retourner dans leur pays à l'issue de leurs témoignages à décharge - d'ailleurs jugés peu crédibles.

«En matière de justice internationale, la protection des témoins, parfois nécessaire, est érigée en système trop rigide », estime-t-il. Il a rappelé que, devant la cour d'assises de Bruxelles, « les gens ont témoigné à visage découvert ». «L'anonymat systématique me paraît poser un problème de crédibilité des témoignages », juge-t-il. Et de souligner que l'anonymat devant le TPIR est « tout relatif, puisque l'identité est généralement connue de toutes les personnes à la cause ».

Ces enquêtes délicates sont menées en Belgique par des spécialistes, ce dont peu de pays européens disposent. Alors que la France, notamment, n'a envisagé que tout récemment la création d'un « pôle » pour instruire les crimes contre l'humanité, Philippe Meire a rappelé qu'un tel pôle, «s'est créé progressivement », depuis un certain nombre d'années en Belgique.

« Après les enquêtes suite aux premières plaintes, en 1995, et le retour au "train-train" quotidien, il a fallu faire en sorte qu'une équipe de la police judiciaire fédérale se voit attribuer ces missions, en plus du reste. Et désormais, quatre ou cinq personnes travaillent exclusivement, depuis environ deux ans, sur ces dossiers, soit "belges", soit dans le cadre de l'entraide judiciaire internationale - par exemple avec le TPIR », a-t-il expliqué. Mais cette spécialisation ne se retrouve pas du côté des juges d'instruction, « ce qui pose des problèmes évidents de disponibilité », a-t-il regretté.

Enquêteurs et magistrats étrangers profitent de cette expérience, par le biais du « réseau de points de contact de l'UE, et par des réseaux plus informels » de gens impliqués qui se sont développés ces dernières années, selon lui. Lors d'un colloque de spécialistes tenu début juillet au Parlement belge, une magistrate française travaillant à l'entraide pénale au ministère de la Justice a affirmé que son pays avait « soif et besoin » d'échange en la matière.

Par ailleurs, les enquêteurs sont formés pour prévenir les réflexes d'ethnocentrisme ou les mésinterprétations possibles. « Nous procédons toujours, comme premier travail d'enquête, à des recherches historiques pour que les enquêteurs s'imprègnent, autant que faire se peut, du contexte dans lequel va se dérouler leur enquête. C'est le même principe qui est à l'oeuvre lorsque les témoins de contexte défilent dans les procès pour éclairer les jurés. » Cependant, « rien ne remplace le travail sur le terrain », a-t-il conclu.

BF/PB/GF