La Commission vérité centrafricaine patine

Il y a trois mois était signé un accord de paix entre le gouvernement et 14 groupes armés. Il prévoyait la création d’une Commission vérité, justice, réparation et réconciliation (CVJRR) dans un délai de 90 jours. Une proposition émise il y a quatre ans, en mai 2015, au Forum national de Bangui. Et dont le projet continue de faire du sur-place.

La Commission vérité centrafricaine patine©Florent VERGNES / AFP
Quatorze groupes armés dont le 3R dirigé par Sidiki Abbas (photo) ont signé l'accord dit de Khartoum, le 6 février 2019 à Bangui. L'accord prévoit une Commission vérité qui devait « impérativement entamer ses travaux dans un délai de quatre-vingt-dix jours ».
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« La justice reste constitutionnellement et fondamentalement le dernier rempart du citoyen centrafricain », affirme Firmin Ngrebada lors de sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale, le 29 avril. Le Premier ministre de la République centrafricaine évoque entre autres mécanismes prévus la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation (CVJRR), chargée « d’élaborer un système de réparation, ceci afin de parvenir à la cessation des hostilités et mettre fin définitivement aux violences multiformes dans notre pays. »

Évoqué dans les recommandations issues du Forum de Bangui, en mai 2015, puis dans l’accord de paix de Khartoum, le 6 février 2019, cet outil de justice transitionnelle doit permettre de palier la faiblesse du système judiciaire et les rapports de force inégaux entre l’État et les groupes armés. « C’est un compromis honnête, vu que les groupes armés sont trop puissants actuellement pour opter d’abord pour la justice et ensuite la paix. C’est le prix à payer pour rétablir la paix », nous expliquait en mars une source ayant travaillé dans plusieurs tribunaux internationaux, aujourd’hui fonctionnaire à Bangui.

Incertitude sur le mandat de la Commission vérité

Mais les contours de cette future commission restent encore très flous. « Ce type de justice repose avant tout sur les aveux de la personne coupable, afin de réconcilier les communautés » pense Dominique Saïd Paguindji, président du Conseil d’État, qui travaille sur le dossier. « La CVJRR traitera les faits mineurs, tel que les atteintes à la liberté comme les barrières illégales, le racket, les petits vols sans circonstances aggravantes », dit-il. Si une affaire était transmise aux tribunaux, la commission pourrait, dit-il encore, organiser « des remises de peine s’il n’y a pas de mensonge [de l’accusé] ou s’il n’y a pas de qualification de crime de guerre ou de crime international. » 

Alors, commission vérité ou instance de jugement ? L’avocat Mathias Morouba semble plus en phase avec ce que constitue traditionnellement une telle commission. « Cela fonctionnera sur le même principe que l’arbre à palabre avec les chefs communautaires » résume l’avocat et président de l’Observatoire centrafricain des droits de l’homme, pour qui « la lutte contre l’impunité, c’est aussi trouver des alternatives à la justice ordinaire ».

Tout reste à faire

Si l’utilité d’une CVJRR en Centrafrique fait consensus, sa compréhension demeure donc ambiguë. Et surtout, sa mise en œuvre patine. Selon l’accord de paix de Khartoum, elle devait être mise en place sous 90 jours. « La CVJRR a pris du retard à cause du remaniement ministériel » explique Sylvain Demangho, chargé de mission au sein du ministère de l’Action humanitaire et de la réconciliation nationale, le ministère chargé de créer cette commission, avec l’appui des bailleurs de fonds internationaux (Union européenne, Onu, etc).

L’annonce, début mars, d’un nouveau gouvernement, prévu dans l’accord de paix, a soulevé une vague de protestations chez les groupes armés qui contrôlent une grande partie du pays. Ces derniers ont réclamé davantage de ministères pour leurs représentants. Un remaniement ministériel a fini par les satisfaire. Officiellement donc, la CJRR aurait pâti de ces priorités.

La recherche d’information et de documentation, première étape de la création de la Commission, aurait commencé mais la feuille de route est encore longue. Séminaires d’échanges entre les autorités de l’État, large consultation populaire chargée de recueillir les attentes de la population afin d’élaborer un projet de loi qui sera ensuite soumis à l’Assemblée : trois mois après l’accord de paix, en réalité, tout semble encore à faire. Les membres de la « commission inclusive », prévue dans l’accord de paix et qui doit réunir des représentants du gouvernement et des groupes armés, ne sont toujours pas nommés. Or, cette commission doit travailler en amont de la création de la CVJRR « pour qualifier et proposer toute action susceptible d’être prise en matière de justice », selon l’accord de Khartoum.

« Il faut compter 90 jours à partir du discours de politique générale du Premier ministre » assure maintenant Sylvain Demangho. Donc à compter du 29 avril. Puis il estime que la CVJRR pourrait être créée « d’ici la première quinzaine de juin ».

Blocage ministériel

« On a perdu du temps et on voit que le gouvernement est pressé par l’Union africaine et par les groupes armés à une mise en œuvre de l’accord [de paix] via des exigences individuelles, comme des nominations personnelles. La CVJRR est le principal point qui a pâti de cette situation », regrette une source diplomatique, qui fustige aussi l’inaction du ministère de l’Action humanitaire. « C’est paradoxal car on a une volonté politique forte au niveau de la Présidence pour créer une CVJRR. Mais il y a un blocage au niveau ministériel. Pour la ministre, la priorité semble être de créer un monument aux victimes », se lamente le diplomate. « La question est de savoir comment mener le processus de consultation des populations de manière accélérée », explique, plus technique, le même diplomate. « On va devoir accélérer les consultations pour tenir les délais. »

Certains observateurs craignent aujourd’hui que ces retards ne nuisent à la Commission elle-même. Dans un rapport intitulé « Justice et priorité aux victimes » et publié en octobre 2018, l’Observatoire Pharos, une plateforme de réflexion et d’action sur le pluralisme des cultures et des religions, notait qu’« une CVR dans l’incapacité de répondre aux attentes des victimes est sans nul doute plus dangereuse que l’absence de CVR. Son inefficacité pourrait en effet annihiler l’ultime parcelle de confiance des citoyens en la justice, avec le risque d’ouvrir un nouveau cycle de vengeance, voire même compromettre durablement leur lien à la politique et l’Etat. »