Viols au Sud-Kivu : nouveau grand procès, au plus près des victimes

Un tribunal militaire congolais juge depuis début septembre, en audiences foraines, un chef de milice et ses quatre miliciens pour de nombreux actes de viols commis au Sud-Kivu. Plus de 190 victimes de violences sexuelles sont parties civiles à ce procès.

Viols au Sud-Kivu : nouveau grand procès, au plus près des victimes©Adia TSHIPUKU / AFP
Deux jeunes femmes prises en charge par l'hôpital Panzi de Bukavu (Sud-Kivu) créé par le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, comme l'ont été certaines victimes du procès en cours contre le chef de milice Frédéric Alimasi Musada.
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Les procès pour crimes graves se suivent, et se ressemblent parfois, au Sud-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Deux ans après avoir condamné à la perpétuité un député régional reconnu coupable, avec d’autres, de viols d’une trentaine de fillettes entre 2013 et 2016, la justice militaire siège, depuis le 3 septembre, dans cette région martyre de la RDC dans un nouveau procès.

Le dossier concerne cinq membres de Raia Mutomboki, une des milices locales et étrangères qui écument depuis des années l’est de la RDC. Le chef milicien Frédéric Alimasi Musada surnommé Kokodikoko et ses quatre acolytes sont poursuivis pour viols, meurtre, torture, esclavage sexuel, privation de liberté, pillage et destruction de biens pouvant constituer des crimes contre l’humanité. Environ 350 victimes, dont plus de 190 ont subi des violences sexuelles, participent au procès.

Faits récents

Les crimes jugés se déroulent il y a moins de deux ans, dans les territoires de Mwenga et Shabunda. Le nom qui revient le plus souvent dans ce dossier est Kabikokole, un village au cœur de la forêt, dans le territoire de Mwenga. Selon le procureur, un groupe de combattants Raia Mutomboki, relevant du commandement de Musada, fait incursion dans le village dans la nuit du 8 février 2018. Le seul pont reliant la petite communauté au reste du monde est coupé par les assaillants qui se livrent ensuite à des crimes de diverses natures sur les villageois. Plus d’une centaine de femmes sont enfermées dans des maisons et violées les unes après les autres.

Deux mois plus tard, toujours selon l’accusation, le même groupe signe des crimes similaires dans des villages du territoire de Shabunda, toujours dans le Sud-Kivu. Musada et ses hommes « avaient des méthodes particulièrement violentes et ont fait des centaines de victimes dans des attaques à répétition tout au long de l'année 2018 dans les territoires de Mwenga et Shabunda. Il s'agit de crimes systématiques », affirme Daniele Perissi de Trial International, une organisation non-gouvernementale qui a participé à la documentation de ces crimes.

Ce chef milicien, dont la simple évocation du nom fait trembler les habitants de Mwenga et Shabunda, avait par ailleurs été mis en cause dans un rapport d’experts de l’ONU de 2018, qui l’accusait non seulement de viols mais aussi d’exploitation et de commerce illégaux de ressources naturelles. Ancien sergent de l’armée régulière congolaise, Musada a été capturé par les troupes gouvernementales lors d’une opération en avril dernier dans le territoire de Shabunda. À ce moment- là, la collecte des preuves de son implication dans les crimes qui lui sont reprochés était très avancée. Grâce au travail de Trial International et de ses partenaires de la « Task force pour la justice internationale », un réseau informel d’acteurs internationaux qui collaborent afin de soutenir le travail des juridictions militaires congolaises dans les enquêtes sur les crimes de masses en RDC. 

Audiences au plus près des victimes

Le Tribunal militaire de garnison de Bukavu doit siéger en audiences foraines jusqu’au 17 octobre. Cette délocalisation de villages en villages permet une meilleure compréhension des faits et de leur contexte et facilite l’accès aux victimes. « Non seulement, elles (les victimes) n’ont pas à se déplacer, mais elles sont aussi dans un environnement familier et sécurisant. C’est d’autant plus important si elles sont psychologiquement fragiles, ou qu’elles ont soufferts de crimes souvent tabous comme les violences sexuelles », souligne Daniele Perissi, qui, par ailleurs, appuie les avocats locaux intervenant dans cette affaire. Certaines de ces victimes bénéficient déjà d’une prise en charge médicale et juridique de la part de la fondation Panzi, créée à Bukavu par le Prix Nobel de la paix Denis Mukwege, surnommé « l’homme qui répare les femmes ».

Demande de réparations à l’État

La Fondation Panzi comprend plusieurs services, parmi lesquels « une clinique juridique » qui assiste, devant les tribunaux, des victimes constituées parties civiles. Dans un entretien avec JusticeInfo, le coordinateur de la clinique, Maître David Bugamba Amani, explique vouloir, dans cette affaire, obtenir la condamnation non seulement des auteurs des crimes mais aussi de l’Etat congolais, qu’il accuse d’avoir failli à sa mission. « S’il y a des crimes qui ont été commis contre des pauvres populations, c’est aussi parce que l’État congolais n’a pas su jouer son rôle de protecteur. Notre cible n’est pas seulement les auteurs des crimes, mais aussi l’Etat congolais que nous voudrions voir reconnu civilement responsable et être sommé de payer des dédommagements aux victimes. Aussi longtemps que l’on tolèrera son irresponsabilité (de l’Etat congolais), il ne fournira aucun effort pour protéger les civils contre des criminels », déclare l’avocat, dans un entretien avec JusticeInfo.

Dans ces villages, j’allais saluer ma famille

La défense ne souhaite pas, à ce stade, révéler sa stratégie. « Nous n’avons jusque-là aucun commentaire à faire sur les charges qui pèsent contre notre client. Quand nous aurons entendu tous les éléments de preuves de l’accusation, nous arrêterons notre ligne de défense », indique Jean-Claude Mufungizi, l’avocat de Musada. « Tout ce que nous souhaitons est de voir le procès se dérouler dans le respect de la loi, car nous avons tous droit à un procès équitable », insiste le jeune avocat.

À l’audience du 25 septembre, à Kitutu, l’accusé principal a toutefois donné le ton. « Tous ces villages, ce sont mes frères qui sont là-bas. Si j’y allais, ce n’est que pour saluer ma famille, mais pas pour causer des exactions », s’est défendu Kokodikoko, en réponse à une question du juge président. Selon le journal congolais en ligne LaprunelleRDC.info, le chef milicien n’a pas nié sa présence à Kabikokole en février 2018. Il a seulement tenté de minimiser la gravité des crimes qui lui sont reprochés, reconnaissant seulement que ses hommes avaient pillé quelques biens d’un habitant et qu’un de ses miliciens avait emmené une femme qu’il a épousée par la suite.

Le procès se tient au moment où la milice Raia Mutomboki, déjà éclatée en une multitude de factions, doit faire face à des opérations sans précédent de l’armée congolaise. Le 30 septembre, Shukuru Kawaya, chef d’une de ces factions, s’est rendu aux troupes régulières, avec cinq membres de sa garde rapprochée, dans le territoire de Kalehe où il faisait régner la terreur.

Goma, prochain procès en vue

De l’autre côté du lac, à Goma, dans le Nord-Kivu, les juges militaires ne sont pas en reste. Ils instruisent, depuis bientôt une année, le très complexe procès de Tabo Ntaberi, alias Sheka, fondateur et ancien chef de la milice Nduma Défense du Congo (NDC). Les combattants de Tabo Ntaberi se sont illustrés par des viols massifs dans le Nord-Kivu, comme ceux de Masudi, dans le Sud-Kivu.