Selon diverses sources, 80 % des quelque 50.000 Tutsis de la région ont été tués D'avril à juillet 1994. Sur l'ensemble du pays, un million de Tutsis et de Hutus modérés ont été emportés par la machine génocidaire, selon les chiffres du gouvernement rwandais.
La plupart des suspects déférés devant le TPIR occupaient des postes de responsabilité dans l'administration ou l'armée.
Ntagerura, "un apparatchik"
Né en en 1950 dans le village de Karengera (Cyangugu), André Ntagerura eut la chance de faire de solides études à une époque ou les Rwandais étaient encore très peu nombreux à accéder à l'enseignement supérieur.
Sa maîtrise en administration des affaires en poche, il quitte l'Université Laval (Québec) vers la fin des années 70. Après avoir enseigné à l'Université nationale du Rwanda (UNR), le plus haut lieu du savoir au Rwanda, il est nommé en 1981 ministre des affaires sociales et du développement communautaire. Au gré des remaniements ministériels et des soubresauts politiques, il occupera différents portefeuilles par la suite.
Quand l'avion du président Habyarimana est abattu le 6 avril 1994, Ntagerura, devenu déjà "un apparatchik", est ministre des transports et communications. Deux jours plus tard, il est reconduit à ce poste dans le gouvernement intérimaire de Jean Kambanda.
En mai 1994, en plein génocide, Ntagerura est envoyé à Arusha, à la tête D'une délégation du nouveau gouvernement pour tenter de négocier un nouveau cessez- le- feu avec la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR). Face à la spectaculaire avancée du FPR, Ntagerura, comme D'autres dignitaires, choisit l'exil. l'ex- ministre sera arrêté en mars 1996 au Cameroun.
Cet économiste fut par ailleurs un membre du comité central du MRND, le parti présidentiel, et l'un des actionnaires de la Radio-télévision libre des mille collines (RTLM).
Selon le procureur, Ntagerura exerçait un ascendant politique important dans Cyangugu, et s'y rendait souvent, particulièrement à Karengera sa commune natale, pour diriger des réunions publiques de son parti.
Un sociologue français, le professeur André Guichaoua, cité par l'accusation comme témoin expert, a déclaré le 20 septembre 2001 que l'accusé n'a jamais perdu son influence politique à la base. Guichaoua a repris à son compte les propos D'un autre dirigeant de Cyangugu, pour lequel Ntagerura était " l'ambassadeur de Cyangugu à Kigali."
Le chercheur français a indiqué que Ntagerura, en sa qualité de ministre, était responsable des moyens logistiques incluant la société publique de téléphonie fixe, Rwandatel, ainsi que l'Office national des transports en commun (ONATRACOM).
En tant que ministre en charge des transports, il est accusé D'avoir autorisé l'utilisation du charroi de l'Etat , spécialement les bus de l'ONATRACOM, pour acheminer des miliciens Interahamwe vers des sites de massacres à Cyangugu ainsi que leur approvisionnement en armes et munitions.
Bagambiki, un préfet respecté ou impuissant?
Selon Guichaoua, le préfet Emmanuel Bagambiki était lui aussi très puissant et très respecté à Cyangugu.
l'ex- préfet est de deux ans l'aîné de Ntagerura. Sa nomination à la tête de sa préfecture natale de Cyangugu couronne une fulgurante ascension.
D'abord professeur dans une école secondaire, Bagambiki est recruté au sein du puissant service central de renseignements qui dépend directement du président Juvénal Habyarimana. Il sera par la suite sous- préfet à Gisenyi (nord), puis à Gitarama (centre) avant D'être nommé préfet de Kigali rural en mars 1992.
C'est à ce moment-là que furent commis "les massacres du Bugesera", dans le sud de Kigali rural. Le nom de Bagambiki est de ceux qui furent associés à ces crimes.
Même si ces massacres de Tutsis étaient attribués à des Interahamwe, les autorités locales étaient accusées de complicité avec leurs auteurs.
Une religieuse italienne travaillant dans la région, Antonia Locatelli, fut tuée après avoir évoqué l'ampleur de ces massacres sur les ondes D'une radio française. Elle avait clairement mis en cause le gouvernement, parlant " D'assassinats politiques.".
Au milieu de la contestation qui suivit ces événements, Bagambiki fut transféré à Cyangugu.
l'ex - préfet a toujours clamé son innocence dans les massacres du Bugesera, affirmant que le population locale le considère au contraire, comme " l'homme qui a éteint le feu au Bugesera" et qui a restauré la paix dans la région.
Relativement à 1994, Bagambiki répond de sept chefs D'accusation de génocide et de crimes contre lhumanité. Le procureur l'accuse D'avoir pris part à la planification et à l'exécution du génocide à Cyangugu.
l'accusé a plaidé non coupable arguant, lors de son témoignage pour sa propre cause, qu'il était, un préfet "impuissant", incapable D'arrêter les massacres. Il a ajouté qu'il regrettait de ne pas avoir pu sauver tout le monde. "Je demande pardon pour mon impuissance", a-t-il dit.
Bagambiki a été arrêté le 5 juin 1998 au Togo et transféré au centre de détention du TPIR le mois suivant.
Le premier militaire jugé
Le troisième accusé est le lieutenant Samuel Imanishimwe. Le jeune officier est né en 1961. Il affirme avoir vu le jour dans la commune de Rwerere (province de Gisenyi, ouest) alors que l'acte D'accusation situe sa venue au monde dans la région du Masisi, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC).
Il a fait ses études secondaires en RDC avant D'être admis à l'Ecole supérieure militaire (ESM) de Kigali dont il est sorti sous-lieutenant au terme de quatre ans de formation.
Il a par ailleurs suivi une formation en Belgique, qui lui a permis dêtre instructeur au centre dentraînement militaire de Gako dans le Bugesera.
Il a été nommé commandant du camp Karambo en 1993 après un bref passage à l'Etat- major de l'armée à Kigali.
Imanishimwe est accusé D'avoir organisé des massacres à grande échelle à travers Cyangugu et participé personnellement aux massacres.
Le lieutenant Samuel Imanishimwe est le premier militaire de l'ancienne armée rwandaise dont le procès s'achève devant le TPIR.
ER/KN/PJ/AT/GF/FH (CY''0224A)