Comme partout dans le pays, le génocide à Cyangugu a été systématique. Plusieurs sites ont été le théâtre de massacres horribles. Certains de ces lieux ont été évoqués au cours du procès du groupe Cyangugu, dont le verdict est attendu mercredi au TPIR, D'autres figurent dans des rapports gouvernementaux ou D'organisations de défense des droits de l'homme.
Les paroisses
Traditionnellement considérées comme des havres de paix, les églises, à Cyangugu comme ailleurs au Rwanda, ont été les points de convergence de milliers de réfugiés. La cathédrale de Cyangugu hébergeait déjà quelques centaines de Tutsis bien avant la date fatidique du 6 avril 1994.
Ces derniers avaient quitté leurs domiciles après l'assassinat, deux mois plus tôt, de Martin Bucyana, président du parti radical anti-tutsi, CDR, par peur de représailles.
La tension dans la région avait du reste commencé avec le coup D'Etat du 21 octobre 1993 au Burundi voisin. Une vingtaine de Tutsis avaient alors été tués, selon l'ouvrage "Aucun témoin ne doit survivre" de Human Rights Watch et la Fédération Internationale des Ligues des droits de l'homme (FIDH).
Ce document affirme que dès mars 1994, des soldats et des miliciens étaient prêts à commencer des massacres dans plusieurs localités du pays, notamment à Cyangugu.
Le parquet de Cyangugu estime qu'entre dix et quinze mille personnes ont été tuées à la paroisse de Mibilizi en avril 1994. Située dans l'actuel district de Gashonga, Mibilizi est l'une des quatre plus vieilles paroisses catholiques du Rwanda créées par des missionnaires au début du vingtième siècle.
Les massacres à cet endroit ont commencé vers le 8 avril et se sont poursuivis pendant environ dix jours.
La paroisse de Nyamasheke, en commune Kagano, a été pour sa part attaquée entre le 15 et le 17 avril 1994. Le parquet de Cyangugu évalue à dix mille le nombre de victimes.
Les autorités préfectorales auraient remplacé des gendarmes, qui avaient jusque là protégé les réfugiés, par des éléments favorables aux massacres.
Autre lieu de culte attaqué: la paroisse de Shangi dans le district Impara. l'attaque la plus meurtrière s'est déroulée à la fin du mois D'avril. Le parquet de Cyangugu y évalue entre cinq et dix mille le nombre de tués.
Egalement située dans le district D'Impara, la paroisse de Nkaka, de son côté, a été attaquée le 18 avril. "Partout où vous regardiez, il y avait des tueurs", se souvient un témoin interviewé par l'organisation de défense des droits de l'homme basée à Londrès African Rights. Entre cinq et six mille personnes y auraient trouvé la mort, selon le parquet de Cyangugu.
La paroisse de Hanika, quant à elle, abritait des réfugiés venus de la commune Gatare et de la commune voisine de Kirambo. D'autres étaient originaires de Rwamatamu en province de Kibuye. La paroisse a subi des attaques presque quotidiennes entre le 11 et le 20 avril 1994. Sept mille personnes y avaient cherché refuge, selon le parquet de Cyangugu.
Des centaines de personnes ont été par ailleurs tuées dans les églises de Nyabitimbo et de Mwezi en commune Karengera, selon les recherches D'African Rights.
Stades et autres sites
Plusieurs réfugiés se trouvaient au stade Kamarampaka de Cyangugu en avril 1994. La plupart D'entre eux s'étaient D'abord rendus à la cathédrale de Cyangugu D'où ils ont subi des attaques dès le 11 avril. C'est vers le 15 avril qu'ils ont été transférés au stade Kamarampaka par les autorités préfectorales. Le procureur du TPIR allègue qu'ils n'étaient pas autorisés à sortir du stade. Ceux qui ont tenté de le faire ont, soit été ramenés de force à l'intérieur, soit tués par des gendarmes et des miliciens qui se trouvaient aux alentours.
Des gendarmes pouvaient également entrer à n'importe quel moment et enlever des réfugiés, selon le procureur.
Le TPIR accuse les défendeurs dans ce procès notamment D'avoir sélectionné des Tutsis et des opposants à partir D'une liste préétablie et ordonné qu'ils soient conduits au lieu-dit Gatandara où ils ont été tués.
Des massacres ont été par ailleurs commis autour du 11 avril 1994 sur le terrain de football de Gashirabwoba en commune Gisuma. Des centaines de personnes y avaient trouvé refuge. Des réfugiés ont été en outre tués dans des bâtiments administratifs, les écoles et les hôpitaux.
Un îlot D'humanité.
Malgré l'horreur qui avait élu domicile dans tout Cyangugu, un seul endroit a fait exception à la règle, à savoir le camp de Nyarushishi en commune Nyakabuye. l'architecte de cet îlot D'humanité est le commandant de la gendarmerie locale, le lieutenant-colonel Innocent Bavugamenshi.
Human Rights Watch et la FIDH indiquent que l'officier rwandais et ses hommes ont pu sauver dix mille Tutsis. Ils les ont par la suite remis aux soldats français de l'opération turquoise.
Le procès du groupe Cyangugu, qui est à son dénouement au TPIR, concerne l'ancien ministre des transports et communications sous le gouvernement intérimaire, André Ntagerura, originaire de cette province, l'ancien préfet de Cyangugu, Emmanuel Bagambiki, ainsi que l'ancien commandant du camp militaire de Karambo, le lieutenant Samuel Imanishimwe.
Un présumé chef milicien en fuite, Yussuf Munyakazi, était initialement accusé avec eux, mais il a été retiré de cette affaire, car il ne pouvait être jugé "in absentia".
Le TPIR détient par ailleurs l'ancien procureur de Cyangugu, Siméon Nshamihigo.
Son procès n'a pas encore commencé.
Le gouvernement rwandais, de son côté, a établi une liste de 352 personnes considérées comme des planificateurs des massacres en province de Cyangugu. Des milliers de présumés exécutants seront, quant à eux, cité à comparaître devant les juridictions semi-traditionnelles gacaca, dont la généralisation sur tout le pays est annoncée pour juin prochain.
AT/GF/FH (CY''0224B)