Comme la plupart des officiers de sa génération, le colonel Théoneste Bagosora est un fils du nord du Rwanda. Né en 1941 dans la commune de Giciye (province de Gisenyi), à quelques pas seulement de Karago, la commune du président Juvénal Habyarimana, Théoneste Bagosora est diplômé de l'Ecole des officiers de Kigali (EO) en 1964.
Plus tard, il obtiendra un brevet D'Etudes supérieures de l'Ecole de guerre française. Il deviendra successivement commandant en second de l'Ecole supérieure militaire (ESM) à Kigali, puis commandant du camp militaire de Kanombe avant dêtre nommé, en juin1992, directeur de cabinet au ministère de la défense.
Mis à la retraite de l'armée l'année suivante, il gardera cependant son poste politique au ministère de la défense.
En juillet 1994, lorsque les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) semparent de la presque totalité du territoire rwandais, Bagosora, comme nombre D'autres responsables gouvernementaux, trouve refuge au Zaïre (aujourdhui République démocratique du Congo- RDC). Commence alors un exil qui le conduira enfin au Cameroun où il sera arrêté en mars 1996.
Bagosora et les accords D'Arusha
Si Bagosora a fait un passage remarqué dans la formation et le commandement des ex- FAR, c'est surtout en tant que directeur de cabinet au ministère de la défense qu'il a gravé son nom dans l'histoire du Rwanda.
C'est en cette qualité qu'il prend part, dans la ville tanzanienne D'Arusha où il est actuellement écroué, aux négociations avec le FPR. Au terme D'une année de discussions ardues, un accord de paix sera enfin signé en août 1993.
Mais, selon Dallaire, Bagosora n'y adhérait que du bout des lèvres. Il estimait que "les accords D'Arusha étaient contre les intérêts du gouvernement et de la population hutue en général", a raconté le général.
l'acte D'accusation contre Bagosora indique, entre autres, que l'inculpé "a manifesté ostensiblement" son opposition aux concessions faites au FPR par le représentant du gouvernement, Boniface Ngulinzira, tué durant le génocide.
Bagosora aurait même quitté la table des négociations "en déclarant qu'il rentrait au Rwanda pour préparer l'apocalypse".
l'accusation soutient par ailleurs que Bagosora et D'autres officiers ont publiquement déclaré que "l'extermination des Tutsis serait la conséquence inévitable de toute reprise des hostilités par le FPR ou de la mise en application des accords D'Arusha ".
Logique de coup D'Etat
Au lendemain de la mort du président Juvénal Habyarimana survenue le 6 avril 1994, "le noyau dur" se serait davantage radicalisé autour de Bagosora devenu le maître "de facto" du pays, selon le procureur. En l'absence du ministre de la défense en mission au Cameroun, le colonel Bagosora assure l'intérim et s'impose comme "un boss", selon Dallaire.
Selon les souvenirs du général canadien, l'accusé préside, dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, une réunion au cours de laquelle il exprime son refus de reconnaître l'autorité du premier ministre Agathe Uwilingiyimana. Il aurait déclaré qu'elle "n'avait aucune autorité, que la nation ne la reconnaissait pas comme dirigeant", a dit Dallaire, qui prenait part à cette réunion.
Dès la soirée du 6 avril 1994, Bagosora était "la personne qui détenait cette autorité et qui l'exerçait certainement", a-t-il martelé. D'après Dallaire, il est clair que Bagosora était dans une logique de coup D'Etat. Agathe Uwiliyingiyimana sera assassinée par des soldats rwandais le 7 avril 1994, aux premières heures du génocide. Dix casques bleus belges qui assuraient son escorte seront également tués le même jour.
Le général canadien, qui a rencontré Bagosora plusieurs fois pendant le génocide, rapporte que le colonel restait de marbre face aux massacres. Une attitude intrigante, pour Dallaire, et qui pouvait faire penser à une "planification" des tueries, a-t-il dit. "Je n'ai jamais vu quelqu'un D'aussi calme, parfaitement à l'aise au vu de la situation", a déclaré Dallaire, ajoutant que c'était "comme si tout se passait comme il avait été planifié".
Impassible
l'inculpé, en tenue impeccable, comme à chaque audience, le visage rond et ridé, a suivi attentivement la déposition du général. Il est resté impassible pendant que pleuvaient les incriminations.
Conformément au système juridique en vigueur au TPIR, il n'a pas pris la parole, à ce stade de la procédure, pour donner sa version des faits. C'est son avocat principal, le Martiniquais Me Raphaël Constant , qui, dans le contre- interrogatoire, a tenté de battre en brèche la thèse selon laquelle Bagosora avait la mainmise sur l'armée et les milices.
La défense aura elle aussi le temps de citer ses témoins. De son côté, l'accusé a le droit de témoigner pour sa propre cause. En juin 1997, lorsque Bagosora demandait au Tribunal de lui commettre D'office un nouvel avocat suite à un conflit avec son précédent défenseur, il avait déclaré:"Mon affaire est plus politique que pénale. Plusieurs pays sont impliqués dans le dossier dont je fais l'objet".
Bagosora est coaccusé avec l'ex- commandant des opérations dans le secteur militaire de Gisenyi (nord), le lieutenant-colonel Anatole Nsengiyumva, l'ex- commandant du bataillon para-commando de Kanombe (Kigali), le major Aloys Ntabakuze ainsi que le responsable des opérations militaires à l'Etat-major de l'armée, le général de brigade Gratien Kabiligi. Le général Dallaire n'a pas explicitement mis en cause les co-accusés de Bagosora.
ER/AT/GF/FH (Ml'' 0128 A)