Génocide au Rwanda: la veuve du président Habyarimana entendue dans l'enquête Barril

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C'est un interrogatoire rarissime: la veuve de l'ancien président rwandais, Agathe Habyarimana, soupçonnée d'être impliquée dans le génocide de 1994, est entendue depuis mardi matin au tribunal de Paris, cette fois dans l'enquête sur le rôle trouble joué par l'ex-gendarme de l'Elysée Paul Barril à l'époque des massacres.

Agathe Kanziga, veuve Habyarimana, qui n'était pas apparue en public depuis plusieurs années, est arrivée vers 10h à son rendez-vous avec le juge d'instruction d'une démarche lente mais déterminée, guidée par son avocat.

Ce personnage-clé de l'histoire rwandaise, qui vient tout juste d'avoir 78 ans, est apparue calme, dans un élégant ensemble beige, bonnet, manteau et châle assortis, avec un sac à main rouge vif, des chaussons au pied.

Mme Habyarimana, que la France a refusé d'extrader au Rwanda sans toutefois lui accorder l'asile en raison des soupçons pesant sur elle, est installée sur le territoire depuis 1998, où elle vit de fait sans statut légal.

Malgré le refus définitif opposé en 2011 par la justice française, le Rwanda a maintenu son mandat d'arrêt émis en 2009 contre elle pour "génocide" et "crimes contre l'humanité", l'accusant d'avoir joué un rôle déterminant dans l'une des pires tragédies du XXe siècle.

Selon l'ONU, environ 800.000 personnes, essentiellement dans la minorité tutsi, ont été tuées en trois mois lors de massacres déclenchés après l'attentat contre l'avion du président hutu Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994.

Exfiltrée en Europe trois jours après l'assassinat de son mari, Mme Habyarimana est souvent présentée comme l'une des dirigeantes de l'"akazu", le premier cercle du pouvoir hutu qui, selon ses accusateurs, a planifié et orchestré le génocide. Ce qu'elle conteste.

Elle-même est visée depuis 2008 par une information judiciaire en France sur son rôle présumé, initiée par une plainte du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR).

Dans cette procédure, elle n'a été interrogée sur les faits que deux fois: d'abord par les gendarmes en 2010 comme simple témoin, puis en 2016 par un juge d'instruction qui l'avait placée sous le statut de témoin assisté, intermédiaire entre le témoin et la mise en examen, selon une source proche du dossier.

- Barril interrogé en mai à Nice -

Cette fois, c'est dans une information judiciaire ouverte contre Paul Barril pour "complicité de génocide" qu'elle est convoquée par le juge d'instruction qui souhaite la placer là-aussi sous le statut de témoin assisté.

Paul Barril, ex-gendarme de l'Elysée sous François Mitterrand, reconverti dans les années 80 dans la sécurité auprès de chefs d'Etat africains, est visé par cette enquête ouverte en 2013 pour examiner la plainte d'ONG contre lui, qui l'accusent d'un soutien actif au régime génocidaire.

L'association Survie, la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) et son antenne française l'accusent notamment d'avoir signé le 28 mai 1994, au plus fort du génocide, un contrat de formation militaire et de conseil avec le gouvernement intérimaire rwandais (GIR) alors qu'un embargo international avait été imposé par l'ONU.

Paul Barril conteste avoir signé ce contrat, chiffré à 3 millions de dollars mais partiellement exécuté et payé, selon la plainte. Une expertise graphologique a récemment été ordonnée par le magistrat instructeur, selon une source proche du dossier.

Entendu par le juge à Nice les 28 et 29 mai, l'ancien militaire de 74 ans, atteint de la maladie de Parkinson, a été placé sous le statut de témoin assisté, a appris l'AFP auprès de sources proches du dossier.

Son avocate n'était pas disponible pour réagir dans l'immédiat.

En 2016, plusieurs ex-mercenaires de sa société Secrets, qui l'avaient accompagné au Rwanda en mai 1994, ont été interrogés en garde à vue, sans faire l'objet de poursuites à ce stade, selon ces sources.

"Après plusieurs années, le juge a enfin entendu Paul Barril dans ces explications", s'est félicité Me Eric Plouvier, avocat de Survie, joint par l'AFP.

Toutefois, "la procédure paraît contenir les indices graves et concordants justifiant sa mise en examen pour complicité du crime de génocide" a-t-il ajouté, énumérant "son rôle de conseil au profit des Forces armées rwandaises (FAR), la formation militaire qu'il a dispensée, la livraison de matériels et une sorte d'encouragement à la population de lutter contre l'ennemi", a-t-il ajouté.