03.10.2003 - TPIR/NDINDABAHIZI - SYNTHESE : LA DEPOSITION DES TEMOINS A CHARGE

Arusha, le 3 octobre 2003(FH) – Le parquet a clôturé sa preuve le 30 septembre dernier dans le procès de l’ancien ministre des finances, Emmanuel Ndindabahizi, en cours devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), après avoir présenté quinze témoins. Ce procès est jusqu’ici un des plus rapides dans l’histoire du TPIR.

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Il a débuté sur le fond le 1er septembre et les quinze témoins à charge ont comparu en douze jours d’audience.

Emmanuel Ndindabahizi, 53 ans, répond de trois chefs de génocide et de crimes contre l'humanité portant sur des massacres de Tutsis dans sa région natale de Kibuye (ouest du Rwanda). Le parquet soutient que D'avril à juin 1994, "Ndindabahizi a mené une campagne D'extermination contre la population civile tutsie" à Kibuye. Il plaide non coupable.

L’acte d’accusation indique qu’entre avril et juin 1994, l’accusé a circulé dans les communes de Gitesi, Gishyita et Mabanza, incitant publiquement les Hutus à tuer leurs voisins tutsis. Il aurait également visité ou supervisé plusieurs barrages afin de faciliter la distribution d’armes dans la préfecture de Kibuye. Il aurait personnellement distribué ces armes, dirigé des convois d’attaquants et mené des attaques sur certains sites de massacres.

Dans sa déclaration liminaire, le 1er septembre, le substitut nigérian du procureur, Charles Adeogun-Phillips, a soutenu que "l'accusé, en tant que membre du gouvernement intérimaire, a fréquemment visité la préfecture de Kibuye dont il est originaire pour inciter au massacres des Tutsis et diriger des attaques contre eux […] Des civils, des gendarmes et des miliciens Interahamwe ont exécuté ses ordres" parce qu'il jouissait D'une "grande influence", selon Charles Adeogun-Phillips.

Un témoin de l’accusation, CGY, a en effet décrit Ndindabahizi comme un leader influent du PSD, tandis que GKH, lui-même membre du PSD, a confirmé que le suspect appartenait bien à ce parti. Il a ajouté que Ndindabahizi assistait aux réunions du parti à Kibuye, où celui-ci était bien représenté.

Distribution d’armes
Plusieurs témoins ont certifié avoir vu le suspect visiter la préfecture de Kibuye à bord de deux véhicules entre avril et mai 1994. Son propre véhicule était accompagné d’un pick-up transportant des gendarmes, des Interahamwe et des armes.

Ces témoins sont principalement des rescapés tutsis qui ont fui leur domicile de Gitesi après avoir été chassés par des Hutus pour trouver refuge sur la colline de Gitwa et dans les environs. Certains d’entre eux ont affirmé avoir vu le suspect arriver au pied de Gitwa où il se serait adressé à une foule de civils hutus et d’Interahamwe avant de les armer de machettes.

Deux témoins à charge, CGN et CGY, tous deux de Gitesi, ont expliqué qu’ils avaient vu Ndindabahizi distribuer des machettes aux civils et aux Interahamwe entre le 20 et le 24 avril 1994. Après les avoir armé, l’ancien ministre aurait alors demandé aux attaquants de faire bon usage de ces armes.

CGK, une femme tutsie âgée de 16 ans en 1994, a indiqué que Ndindabahizi avait visité un barrage en mai 1994 au lieu-dit Faye, secteur Kayenzi, à bord de deux véhicules dont l’un, un pick-up, transportait des machettes. Après s’être adressé à une quinzaine de Hutus, l’accusé les aurait enjoint à prendre les machettes et à les utiliser pour tuer les Tutsis.

Le dixième témoin à charge a déposé dans le même sens, expliquant que l’ accusé avait distribué des armes à feu à un barrage à Gitaka. CGC, le dernier témoin du parquet, a également confirmé avoir vu Ndindabahizi distribuer des machettes à une vingtaine de Hutus à un barrage à Gaseke, commune Gitesi, le 20 mai 1994.

L’ordre de tuer
La plupart des témoins qui ont vu l’accusé distribuer des armes ont également déclaré qu’ils l’avaient entendu ordonner aux civils et aux Interahamwe d’exterminer les Tutsis.

CGN s’est ainsi souvenu que, après avoir procédé à la distribution d’armes au pied de la colline de Gitwa, Ndindabahizi se serait adressé à la foule, leur disant que “il y a des Tutsis sur la colline. Ils sont devenus impossibles. Il faut les tuer. Vous en serez recompensés.”

CGV a déclaré que, arrivé au pied de la colline en compagnie de gendarmes et d’Interahamwe, Ndindabahizi aurait personnellement lancé l’attaque sur les réfugiés en leur jetant une grenade. Les soldats et les Interahamwe l’ auraient alors imité, certains jetant des grenades, d’autres tirant.

CGB, de son côté, a indiqué avoir entendu l’accusé exhorter des Hutus présents à un barrage à Gitaka à n’épargner aucun Tutsi. Il a situé l’ incident fin mai. Le suspect, qui se rendait à Kibuye, aurait dit : “A mon retour [au barrage], je ne veux plus entendre parler de Tutsis vivants dans le coin.”

Suite à cela, selon CGB, deux Tutsis, une institutrice nommée Tatiana Mukantabana alias Nyiramaritete et un paysan, Cyprien Karegeya, auraient été abattus au barrage.

Le dernier témoin à charge a lui indiqué que, le 20 mai 1994, il avait entendu Ndindabahizi, à un barrage à Gaseke, exiger de savoir pourquoi on n’ y tuait pas de Tutsis. Il aurait alors demandé à ceux qui s’occupaient du barrage « pourquoi ils ne tuaient pas les Tutsis et les laissaient passer à la place.”

Peu après le départ de l’accusé, un Tutsi nommé Nturusu y a été abattu, selon CGC.

Les femmes tutsi ne doivent pas être épargnées
D’après la preuve de l’accusation, l’ancien ministre aurait également incité, lors de la distribution d’armes, les Hutus à ne pas épargner les femmes tutsies mariées à des Hutus.

“Si vous ne tuez pas les Tutsies, elles vont vous empoisonner,” aurait déclaré Ndindabahizi aux attaquants à un barrage de Gitaka, vers la fin mai 1994, selon un témoin protégé.

Ndindabahizi aurait tenu un discours similaire au marché Kibirizi (commune Mabanza), où il appelait les gens au meurtre des Tutsies dans cette localité. “Il a dit qu’à Kigali, les Tutsis, y compris les femmes mariées à des Hutus, avaient déjà été tués”, a indiqué CGL.

Quant à CGK, il a informé la cour que l’accusé, lors d’une visite à un barrage, dans le secteur Kayenzi, avait demandé à une quinzaine de Hutus de s’emparer de machettes et de tuer les Tutsies mariées à des Hutus, y compris les enfants issus de mères tutsies.

Un témoin expert
L’historienne américaine et activiste des droits de l’homme, Alison Des Forges, a déposé en tant qu’expert dans ce procès, principalement sur une réunion publique qui s’est tenue dans la préfecture de Kibuye le 3 mai 1994.

Alison Des Forges a déjà déposé en tant qu’expert dans plusieurs procès en cours ou terminés, au TPIR.

A cette réunion, étaient présents l’ancien premier ministre, Jean Kambanda, condamné par le TPIR, Ndindabahizi et plusieurs officiels du gouvernement. Selon l’experte, Ndindabahizi et Kambanda y auraient « incité » la population.

Dans son discours, l’accusé aurait appelé les membres du PSD de Kibuye à rejoindre en nombre le programme d’auto-défense, expliquant que le FPR avait l’intention de reprendre la guerre.

Ndindabahizi a aussi enjoint la population à designer les meneurs qui dévoyaient la population en refusant de soutenir le programme d’élimination des Tutsis.

Contre-interrogatoire
Au cours du contre-interrogatoire des témoins à charge, l’équipe de défense de Ndindabahizi, composée des Français Pascal Besnier et Guillaume Marçais, a pointé du doigt les contradictions de plusieurs témoins entre leurs dépositions devant la chambre et leurs déclarations écrites aux enquêteurs du TPIR.

Selon la défense, CGV, par exemple, avait déclaré aux enquêteurs que l’ accusé regardait tandis que les attaquants combattaient les Tutsis sur la colline de Gitwa, alors qu’il a déclaré à la chambre que Ndindabahizi avait participé à l’attaque. Interrogé sur ces différences par le conseil principal de l’accusé, Pascal Besnier, CGV a répondu que les enquêteurs du TPIR l’avaient mal compris lorsqu’ils avaient pris sa déposition en 2001.

Au cours du contre-interrogatoire de CGB, Me Besnier a relevé le fait que le témoin avait déclaré aux enquêteurs avoir seulement vu Karegeya se faire tuer et le corps de Mukantabana être amené au barrage, alors qu’il venait d’ indiquer à la cour que tous deux avaient été abattus au barrage de Gitaka.

La défense de l’ancien ministre a également mis en doute la déposition des témoins qui ont affirmé avoir vu l’accusé sur les sites des massacres, en raison de leur incapacité à se souvenir de dates précises.

Il est ainsi apparu que les trois-quarts des témoins ne pouvaient effectivement se souvenir avec précision des dates auxquelles les suspect aurait été vu sur les scènes des crimes, dans la préfecture de Kibuye. Ils situaient les incidents entre avril et mai 1994, sans plus de précisions.

Le dernier jour de la session, la défense a indiqué qu’elle présenterait ses 27 témoins à décharge dans un délai de trois semaines. La présentation de la preuve à décharge devrait donc débuter le 27 octobre, date prévue de la reprise du procès.

Emmanuel Ndindabahizi comparaît devant la première chambre de première instance du TPIR présidée par le juge norvégien Erik Mose, assisté de la Pakistanaise Khalida Rachid Khan et de l'Ougandaise Solomy Balungi Bossa.

CE/PJ/GF/FH (NB'1003A)