08.09.2003 - TPIR/GACUMBITSI - SYNTHESE : LA PREUVE DE L’ACCUSATION

Arusha, le 8 septembre 2003 (FH) - Le procès de l’ancien maire de Rusumo (province de Kibungo, est du Rwanda), Sylvestre Gacumbitsi accusé de génocide, reprendra le 6 octobre prochain avec l’audition des témoins de la défense. Il a débuté sur le fond le 28 juillet 2003.

4 min 7Temps de lecture approximatif

L’accusation a, pour sa part, clôturé le 27 août la présentation de ses moyens de preuve.

Gacumbitsi, 56 ans, répond de cinq chefs D'accusation de génocide et crimes contre l’humanité portant sur des massacres de Tutsis et des viols commis en avril 1994, en différents endroits de sa commune. Le plus grand site de massacres dans cette localité est la paroisse catholique de Nyarubuye, où le gouvernement rwandais compte ériger un mémorial du génocide.

« Gacumbitsi a exécuté avec beaucoup D'efficacité, en personne et par personnes interposées, le plan D'extermination des Tutsis ", a ainsi déclaré le représentant du parquet, l’Ouganda Richard Karegyesa, à l’ouverture des débats, le 28 juillet.

Un journaliste et des rescapés à la barre
A l’issue de cette déclaration liminaire, il cite son premier témoin, le journaliste anglais Patrick Fergal Keane. Auteur du livre "Season of blood : A Rwandan journey ", le reporter de la BBC est également un des premiers journalistes à avoir diffusé des images du site de massacres de Nyarubuye. Arrivé en commune Rusumo en juin 1994, il a par la suite rencontré Sylvestre Gacumbitsi dans le camp de réfugiés de Benaco (Tanzanie). "Les survivants rencontrés (dans la commune Rusumo) nous ont dit que Gacumbitsi était le principal responsable des tueries de la paroisse Nyarubuye ", a
affirmé le témoin à plusieurs reprises. Interrogé au camp de Benaco, Gacumbitsi niera ces allégations, selon le journaliste.

Les témoins suivants sont des rescapés. Tous affirment que l’accusé a ordonné des massacres et des viols. Selon le témoin TAP, Gacumbitsi aurait même personnellement commis un viol. "Il a introduit son sexe dans mon vagin et m'a violée", a rapporté, en sanglots, Mme TAP, ainsi dénommée pour des raisons de sécurité. Elle a ajouté qu'avant le viol proprement dit, l'accusé avait introduit dans son sexe une matraque longue d’environ 40 cm. Ce viol aurait eu lieu en avril 1994 au domicile du conseiller du secteur Nyarubuye, Isaïe Karamage, selon la victime qui avoue ne pas se souvenir de la date exacte.

D’autres témoins ont allégué que l’accusé a personnellement pris part aux tueries. Le témoin TAK, par exemple, a soutenu que Gacumbitsi avait tué un de ses subordonnés, Augustin Kanyogote, qui travaillait dans le service D'encadrement agricole. "C'était la nuit. J'ai entendu Kanyogote crier. Beaucoup de gens le battaient. [...] Plus tard, J'ai appris que Gacumbitsi l'avait tué cette nuit-là", a indiqué TAK, situant l’incident dans la nuit du 14 au 15 avril 1994. Kanyogote était allé chercher refuge chez Gacumbitsi, qui était "un ami personnel", a ajouté TAK.

TAO est revenu, quant à lui, sur les massacres de Nyarubuye. A l’arrivée de Gacumbitsi, dans la journée du 15 avril 1994, raconte le témoin, un vieil homme s’est levé d’entre les milliers de réfugiés tutsis et s’est dirigé vers le maire pour lui exposer ses problèmes. "Il (Gacumbitsi) a pris une machette [...] et a découpé le vieillard en morceaux", a déclaré TAO. l'accusé aurait ensuite ordonné aux policiers qui l'accompagnaient D'ouvrir le feu sur les réfugiés. "l'heure des Tutsis a sonné " aurait alors lancé Gacumbitsi, déclenchant le carnage de Nyarubuye, selon le témoin.

Trois repentis
Comme promis dans sa déclaration liminaire, le procureur a également cité trois criminels qui ont avoué devant la justice rwandaise leur participation aux massacres de Tutsis et au pillage de leurs biens dans la commune Rusumo.

Dans leurs dépositions devant le TPIR, ces repentis ont affirmé qu’ils avaient exécuté des ordres reçus de l’ancien maire dans l'après-midi du 14 avril 1994. « A son arrivée au centre commercial où nous buvions du vin de banane, a par exemple rapporté TBJ, Gacumbitsi nous a ordonné de chasser les Tutsis, de démolir leurs maisons et de piller leur biens". Les attaques auraient commencé aussitôt, selon TBJ qui souligne que sa responsabilité personnelle se limite aux pillages et à la destruction de maisons.

TBK a abondé dans le même sens, alléguant que l’accusé avait ordonné que "toute personne ressemblant aux Tutsis soit immédiatement tuée". Il indique que cet ordre a été suivi. Le 15 avril 1994, des Tutsis ont été tués et leurs vaches abattues, a t-il dit, avouant avoir personnellement tué un Tutsi le lendemain.

La déposition d’Alison Des Forges
Le dernier des quinze témoins de l'accusation fut l’Américaine Alison Des Forges, historienne et activiste des droits de l'homme. Témoin expert, Mme Des Forges a soutenu que "les événements de Rusumo ne se sont pas déroulés dans le vide, mais dans un contexte plus vaste [du génocide rwandais]".

Au sujet des massacres de Nyarubuye, la défense lui suggère d’emblée que les cadavres qu’elle a retrouvés sur place en août 1994 sont imputables à l'ex-rébellion à dominante tutsie, le Front patriotique rwandais (FPR), qui contrôlait cette région depuis fin avril. Pour étayer son propos, l’avocat principal de Gacumbitsi, le Camerounais Kouengoua, produit un rapport
émanant, selon lui, du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR).

Alison Des Forges indique que les tueries dont fait état ce document ont eu lieu à des dates différentes et dans des zones éloignées de l'église de Nyarubuye. Elle reconnaît en revanche qu'en 1994, "il y a eu des meurtres commis par certains soldats du FPR ». « Il semble y avoir eu des crimes contre l'humanité ainsi que des crimes de guerre", estime-t-elle soulignant néanmoins qu'il n'y a pas D'équivalence entre le génocide et les crimes commis par le FPR. Mme Des Forges a déjà déposé comme expert de l’accusation dans d’autres procès en cours et terminés devant le TPIR.

Le procès Gacumbitsi se déroule devant la troisième chambre de première instance du TPIR, présidée, dans cette affaire, par la juge sénégalaise Andrésia Vaz et comprenant, en outre, les juges fidjien Jai Ram Reddy et russe Serguei Aleckseievich Egorov.

ER/CE/GF/FH (09’08A)