17.02.2003 - TPIR/NTAKIRUTIMANA - LE TPIR S'APPRETE A RENDRE SON NEUVIEME JUGEMENT

Arusha, le 17 février 2003 (FH) - Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) rendra son neuvième jugement mercredi dans le procès conjoint du pasteur Elizaphan Ntakirutimana et son fils, le Dr Gérard Ntakirutimana. Elizaphan Ntakirutimana, 78 ans, était pasteur à l'église adventiste de Mugonero (province Kibuye, ouest du Rwanda) et responsable de la zone "Rwanda ouest" qui s'étendait sur les provinces Kibuye et Cyangugu (sud-ouest).

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Gérard Ntakirutimana, 45 ans, était médecin à l'hôpital de Mugonero.

Les Ntakirutimana répondent de cinq chefs D'accusation de génocide, de crimes contre l'humanité et crimes de guerre portant sur des massacres de Tutsis au complexe adventiste de Mugonero et dans les collines avoisinantes de Bisesero. Ils plaident non coupables.

Le complexe de Mugonero comprenait notamment une église, un hôpital et une école secondaire. Environ six mille Tutsis y avaient trouvé refuge en avril 1994, selon le procureur.

Le procureur affirme que "le ou vers la matinée du 16 avril 1994, un convoi comprenant plusieurs véhicules suivi par un grand nombre de personnes portant des armes est allé au complexe de Mugonero. Les personnes dans le convoi étaient, entre autres Elizaphan Ntakirutimana, Gérard Ntakirutimana et [l'ancien maire en fuite ] Charles Sikubwabo [...] Les personnes du convoi [...] ont participé à une attaque contre les hommes, les femmes et les enfants" qui s'y étaient abrités.

Le procureur allègue en outre que ceux qui ont survécu à cette attaque se sont réfugiés dans la région de Bisesero, où ils ont été plus tard massacrés.

Détruire le toit D'une église
Selon le procureur, "à un moment pendant cette période, Elizaphan Ntakirutimana était à Murambi dans la région de Bisesero. Elizaphan Ntakirutimana est allé à une église à Murambi, où un grand nombre de Tutsis cherchaient à se mettre à l'abri des massacres en cours. Elizaphan Ntakirutimana a donné l'ordre de détruire le toit de cette église pour qu'il ne soit plus utilisé par les Tutsis comme une cachette".

Le procureur affirme que les coaccusés étaient des hommes respectés dans leur communauté et qui "avaient des moyens considérables et un pouvoir certain". Les Tutsis "attendaient qu'ils usent de leur influence pour les protéger contre les attaques", selon lui.

"Le pasteur a regardé les gens être tués, le fils a pris une part plus importante dans les massacres", soutient l'accusation.

Le procureur accuse en outre Gérard Ntakirutimana D'avoir fermé l'hôpital de Mugonero et refusé des soins aux Tutsis blessés lors des attaques.

Au cours de leurs témoignages, les Ntakirutimana ont affirmé qu'ils ont quitté Mugonero avant les attaques et se sont installés au lieu-dit Gishyita, craignant pour leur vie. Ils ont par ailleurs nié avoir participé à des attaques dans la région de Bisesero.

Elizaphan Ntakirutimana est défendu un ancien procureur général des Etats Unis, Me Ramsey Clark, Gérard Ntakirutimana par l'avocat canadien Me David Jacobs. La défense a plaidé que "les charges retenues contre ces deux hommes n'ont aucun sens".

Me Clark a présenté le pasteur Ntakirutimana comme "un conciliateur" et "un pacificateur" qui a toujours travaillé avec les Tutsis et n'a jamais pratiqué la discrimination basée sur l'ethnie. "C'était un homme honnête pendant toute cette période de tourmente", a plaidé Me Clark.

Me Clark a soutenu qu'un pasteur, fût-il aimé et respecté, n'aurait pu faire quoi que ce soit pour arrêter le génocide de 1994. Me Clark a rappelé que même les pays occidentaux comme la Belgique, la France et les Etats Unis, qui disposaient de grands moyens, n'ont pas pu empêcher les massacres.
Selon la défense, le pasteur Ntakirutimana "s'impliquait à sauver des âmes, comme Gérard Ntakirutimana était impliqué dans le soin aux malades".

La lettre du 15 avril 1994
Elizaphan Ntakirutimana s'est notamment défendu au sujet D'une lettre reçue le 15 avril 1994 au soir, dans laquelle des pasteurs tutsis réfugiés au complexe de Mugonero le priaient D'intervenir en leur faveur auprès du maire Sikubwabo, car ils avaient appris que : "demain nous allons mourir avec nos enfants. Et même nos familles".

"Cette lettre m'a accablé. Je ne savais pas comment me comporter. Et J'ai commencé à trembler. Je ne savais pas que le sort qui attendait ces personnes était celui-ci. Et cela ne s'était jamais produit au Rwanda", a déclaré le pasteur Ntakirutimana lors de sa déposition.

Elizaphan Ntakirutimana a rapporté que le matin du 16 avril 1994, en compagnie de Gérard Ntakirutimana, il était allé voir le maire Sikubwabo qui lui a répondu: "Je ne peux rien faire. Il n'y a pas de gouvernement. Je n'ai pas de pouvoir."

Elizaphan Ntakirutimana est ensuite retourné à Mugonero et a écrit à son tour aux pasteurs menacés pour les informer que le maire "a catégoriquement refusé" de leur porter assistance et qu'il fallait s'en remettre au bon Dieu. "Je sais que, vous les pasteurs, vous n'avez fait aucune faute et que vous êtes entre ses mains", a-t-il consigné dans sa réponse. Des témoins de l'accusation ont allégué qu'Elizaphan Ntakirutimana n'avait rien fait pour sauver la vie des réfugiés.

Le procès des Ntakirutimana a été un des plus rapides que le TPIR ait jamais mené depuis qu'il a effectivement commencé ses travaux en 1997. Il s'est ouvert le 18 septembre 2001 et s'est terminé le 10 mai 2002. Le procureur a cité dix-neuf témoins et la défense vingt quatre. Le tout en cinquante-neuf jours D'audiences.

Arrêté au Texas (Etats-Unis) une première fois en 1996, libéré puis réarrêté en 1998, Elizaphan Ntakirutimana a été transféré au TPIR en mars 2000, au terme D'une longue bataille juridique contre son extradition.

Gérard Ntakirutimana, quant à lui, a été arrêté en Côte D'Ivoire en octobre 1996 et transféré à Arusha le mois suivant.

Leur procès se déroule devant la première chambre de première instance du TPIR, présidée dans cette affaire, par le juge norvégien Erik Mose, et comprenant en outre les juges sud-africaine Navanathem Pillay et sénégalaise Andrésie Vaz. l'affaire est en délibéré depuis le 22 août 2002.

Le TPIR a déjà rendu sept jugements portant condamnation à des peines allant de douze ans D'emprisonnement à la réclusion criminelle à perpétuité et prononcé un acquittement.

AT/GF/FH (NT'0217A)