25.10.2002 - TPIR/BUTARE - AFFAIRE BUTARE : UN TEMOIGNAGE HOULEUX

Arusha, le 25 octobre 2002 (FH) – Le témoignage du quinzième témoin à charge dans le procès de Butare a été marqué, à de nombreuses reprises, par une agitation peu commune au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Commencé le lundi 14 octobre, il s’est achevé le vendredi matin, 24 octobre.

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Sont concernés par ce procès, l'ex-ministre de la famille et de la promotion féminine, Pauline Nyiramasuhuko, son fils Arsène Shalom Ntahobali, les ex-préfets Alphonse Nteziryayo et Sylvain Nsabimana, et deux ex-maires : celui de Ngoma, Joseph Kanyabashi, et celui de Muganza, Elie Ndayambaje. Ils sont poursuivis pour génocide et crimes contre l'humanité commis en province de Butare (sud du Rwanda). Ils plaident non-coupables.

Dénommée "SU" pour protéger son identité, le témoin a déposé principalement contre l'ex-ministre Nyiramasuhuko, la première femme à être jugée par une juridiction internationale et la première femme à être inculpée de viol. Nyiramasuhuko est accusé notamment D'avoir organisé le massacre des Tutsis réfugiés au bureau préfectoral de Butare.

Agitation dès l'interrogatoire principal
Le témoin a commencé sa déposition avec l'interrogatoire principal mené par le représentant américain du parquet, Gregory Townsend. Mme SU affirme être arrivée au bureau préfectoral de Butare au matin du 28 mai 1994. Grièvement blessée, elle espérait "que les autorités allaient assurer [sa] sécurité là-bas, mais hélas...!" C'est à cet endroit qu'elle aurait vu Pauline Nyiramasuhuko encourager au viol de femmes tutsies et enlever d’autres Tutsis qui y avaient cherché refuge pour les tuer en différents endroits.

Au cours de cet interrogatoire principal, qui dure une journée et demie, le témoin montre une certaine agitation lorsqu’elle évoque les accusés .

"En 1994, Nyiramasuhuko était ministre de la famille, mais je dirais plutôt qu'elle a exterminé des familles au lieu de les protéger" répond-elle ainsi au procureur qui lui demandait qui était Nyiramasuhuko.

A plusieurs reprises, le témoin fait des observations et émet des commentaires sur deux des accusés, Pauline Nyiramasuhuko et Sylvain Nsabimana. Le juge Sekule, qui préside les débats, doit alors la mettre en garde." M. l'interprète, dites au témoin de déposer sur ce qu'elle a vu et vécu, et D'éviter les observations sur les accusés. C'est la tâche des juges" , a-t-il indiqué.

Le ton monte lors du contre-interrogatoire
Dès l’entame du contre-interrogatoire, mardi 15 octobre, par l'avocate canadienne de Nyiramasuhuko, Me Nicole Bergevin, l’agitation de Mme SU, perceptible la veille, se fait plus précise. Elle semble sur la défensive. Lorsque Me Bergevin veut confronter les déclarations antérieures du témoin (la première déclaration date du 20 novembre 1996) et sa déposition à la cour, Mme SU répond : "Comme, à ce moment-là, je n'avais pas D'abri, ma tête était en ébullition. Ce que J'ai déclaré alors n'a pas de valeur. Tenez-vous en à ce que je vous dis aujourD'hui". Mme SU refuse même de reconnaître sa signature sur la déclaration. Il faudra l'insistance du juge président pour que le témoin concède.

A Me Bergevin, qui poursuit ses questions, Me SU déclare que l'avocat ne cherche qu'à lui compliquer la vie.

"La chambre a besoin de vos réponses"
Une fois de plus, le juge président intervient, D'un ton calme, pour calmer le témoin.

"Le témoin doit attentivement écouter les questions du conseil et y apporter des réponses précises et concises. Elle doit garder son calme et présenter
les faits tel qu'elle les connaît et les comprend, et cela sans tension" indique le juge Sekule.

"Les questions du conseil méritent des réponses et si elles ne conviennent pas, il revient à la chambre D'intervenir. Les témoignages des personnes qui déposent devant cette chambre sont importantes, et c'est à partir des réponses des témoins que la chambre rendra sa décision" continue-t-il avant D'ajouter, attentionné, "si le témoin souhaite un repos, la chambre le lui accordera."

"Qu'il ne lui arrive pas de tomber au Rwanda"
Pourtant, malgré les appels au calme du juge président, Mme SU se plaindra à plusieurs reprises que Me Bergevin la harcèle et ne cherche qu'à la fatiguer. Et, suite à l’insistance du président, elle dira souvent D'un ton dédaigneux :"Soit, qu'elle continue" .

A un moment, comme agacée par les questions de Me Bergevin, Mme SU, qui s'exprime en kinyarwanda, murmure quelque chose que l’interprète traduit de manière incorrecte.

"M. le président, D'après mon client qui comprend le kinyarwanda, le témoin a dit à mon endroit: " Plaise à Dieu qu'elle ne tombe pas au Rwanda" proteste Bergevin. Le sens exact étant " Gare à elle si elle vient au Rwanda" .

"Les témoins n'ont pas à menacer les avocats de la défense qui ont déjà un travail difficile" dit Me Bergevin demandant au juge président D'intervenir.

Le mercredi 16 octobre ne connaîtra les débats que l'après-midi, le procès ayant été suspendu le matin suite à l'état de santé du témoin.

Après ce repos, le témoin semble plus calme, mais garde sa verve. A plusieurs questions qui lui sont posées, Mme SU demandera à l'avocat de répéter, souvent plus de trois fois, ou lui dira D'attendre deux à trois minutes pour y apporter ses réponses. Et souvent elle donnera des réponses qui ne correspondent pas aux questions posées.

A une question posée par Me Bergevin, le témoin lâche: "Je ne suis pas ici pour défendre mais pour accuser". Les avocats demandent au président de "dire au témoin qu'il est venu ici, non pas pour accuser mais pour dire la vérité, et la vérité est unique. "

Le président reprendra ce qu'il a dit a maintes reprises au témoin, lui rappelant que la procédure veut qu'il réponde aux questions qui lui sont adressées afin d’établir la vérité.

Me Bergevin interrogera le témoin jusque mardi 22 octobre, avant de céder la place à l'avocat camerounais de l'ex-préfet Sylvain Nsabimana, Me Charles
Tchakounté Patié. Me Tchakounté, lui aussi, connaîtra quelques heurts avec le témoin, ce qui l'amènera un moment à recourir, une fois de plus, à l'intervention du juge président.

"M. le président, je demande à la chambre D'appeler le témoin à la courtoisie. Nous, de la défense , sommes respectueux envers elle, il faudrait qu'elle le soit envers nous" dira-t-il

Le juge président rappelle une nouvelle fois au témoin "D'éviter tout commentaire et observation à l'endroit des avocats de la défense qui font leur travail."

Les avocats canadiens, Me Michel Marchand et Richard Perras respectivement de Joseph Kanyabashi et D'Alphonse Nteziryayo, se succéderont pour
contre-interroger Mme SU, rencontrant les mêmes difficultés que leurs collègues.

Encourager le viol
Malgré son agitation, qui s’est estompée au fil des jours, Mme SU a maintenu ses accusations, principalement contre Pauline Nyiramasuhuko.

Le témoin a décrit dans le détail comment elle aurait vu l'ex-ministre de la famille effectuer des va-et-vient au bureau préfectoral de Butare, pour, selon elle, assister à des réunions ou enlever des Tutsis afin de les exécuter. "Ces réunions ne visaient pas à assurer la sécurité mais plutôt à tuer les gens" a affirmé Mme SU. Elle a néanmoins reconnu qu’elle n'a pas pu entendre ce qui se disait lors de ces réunions.

Elle s’est également souvenue qu'à la sortie D'une des réunions au bureau du préfet de Butare, Sylvain Nsabimana, Pauline Nyiramasuhuko, "furieuse, parlant à haute voix et se tapant sur les cuisses et sur le front" se serait exclamée " Qui sont ces petites choses qui sont ici? Il ne reste de saleté à Butare qu'au bureau préfectoral. Partout ailleurs on a fait le "finissage"[propre terme du témoin] ! "

Toujours selon le témoin, Nyiramasuhuko s’est également rendue de nuit, au mois de juin 1994, au bureau préfectoral. Là, elle aurait ordonné aux miliciens Interahamwe de "sélectionner des femmes tutsies et de les violer par ce qu'elles avaient auparavant refusé D'épouser des Hutus". Se refusant à décrire en public les scènes de viols auxquelles elle a assité, le témoin a demandé, et obtenu, un huis clos .

Mme SU accusera également Nyiramasuhuko D'avoir ordonné aux Interahamawe [milice de l'ex-parti présidentiel MRND] " de rechercher quarante jeunes
garçons Tutsis parmi les réfugiés à la préfecture et de les conduire à la brigade" . Leur sort est inconnu du témoin.

Le témoin a également accusé l'ex-préfet Nsabimana et l'ex-maire Joseph Kanyabashi de n'avoir rien fait pour protéger les Tutsis venus chercher refuge au bureau préfectoral.

Mme SU a affirmé que ces "réfugiés" étaient abandonnés à la préfecture à la merci des miliciens. Ils n'avaient ni abri, ni eau ni nourriture, et n'avaient pas accès aux toilettes , selon le témoin.,

"Le préfet n'a rien fait pour respecter ou défendre les droits de la personne humaine" a dit Mme SU.

Le témoin a clôturé sa déposition jeudi 24 octobre. Mme SU a été le témoin qui, depuis le début du procès de Butare, a donné le plus de peine au juge président William Hussein Sekule, qui a dû la rappeler à l'ordre plus de cinquante fois au cours des deux semaines D'audition.

De tous les procès dont le TPIR a été saisi, celui de Butare regroupe le plus D' accusés. Depuis son lancement sur le fond le 12 juin 2001, seuls quinze témoins de l'accusation ont pu comparaître. A lui seul, le premier témoin avait pris toute une session, interrogé par toutes les six équipes de la défense.

Les accusés de Butare sont jugés par la deuxième chambre de première instance, présidée par le juge tanzanien William Husein Sekulé, et composée en outre des juges malgache Arlette Ramaroson et Winston Churchill Matanzima Maqutu du Lésotho.

Le procès se poursuit lundi 28 octobre avec la déposition du seizième témoin du parquet. Dénommé "QBP" pour protéger son identité, le témoin est également une rescapée tutsie. Elle a entamé sa déposition jeudi après-midi.

BN/CE/FH(BT.1025A)