Côte d'Ivoire la Justice transitionnelle

Côte d'Ivoire la Justice transitionnelle©IRIN/Otto Bakano
Camp de réfugiés à Nahibly brûlé 2012
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Contexte: (conflits de 1999 à 2011)

Après l'indépendance de la France en 1960, la Côte d'Ivoire a été présidée par Félix Houphouët-Boigny jusqu'à sa mort en 1993. Il a été remplacé par Henri Konan Bédié.
Bédié a été renversé par un coup d'Etat militaire de Robert Guei en 1999. Bédié s’est enfui en France, l'ancienne puissance coloniale avec laquelle la Côte d'Ivoire a maintenu des contacts étroits notamment des accords militaires. Bédié introduit la nation d’ «ivoirité» (une interprétation politicienne de qui est ivoirien et a droit à la nationalité ivoirienne dans un pays historiquement pluriel).
Les élections de 2000 qui donnent officiellement la victoire à Bédié sont suivies d’un soulèvement populaire et Guei est remplacé par Laurent Gbagbo qui passe pour le véritable vainqueur du scrutin.
Les racines du conflit découlent également de l'exclusion de ce scrutin d'Alassane Ouattara, un nordiste et ancien directeur adjoint du Fonds monétaire international, au prétexte de "nationalité douteuse" (il est né en Côte d'Ivoire mais son père est originaire du Burkina Faso).
Des combats éclatent en 2000 entre les forces du Sud largement chrétiennes de Gbagbo et celles du Nord largement musulmanes d’ Alassane Ouattara. Les forces fidèles à Ouattara ont pris le contrôle du Nord coupant de fait le pays en deux. Une force de maintien de la paix française commence à se déployer en Côte d'Ivoire en septembre 2002 sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies. En 2004, les forces de l'ONU contrôlent une «zone tampon» entre le Nord et le Sud, à la suite d'un accord de paix fragile conclu en 2003. En novembre 2004, neuf soldats français ont été tués dans un bombardement aérien du gouvernement sur les positions rebelles dans le Nord, et les troupes françaises ont riposté détruisant l’aviation ivoirienne. La crise a été ponctuée par des manifestations et des campagnes de presse anti-françaises et anti ONU.

Un autre accord de paix en 2007, conclu grâce à une médiation du Burkina Faso, a conduit à un autre partage du pouvoir entre le gouvernement de Gbagbo et les Parti des Forces nouvelles de Ouattara. Plusieurs tentatives de démanteler la zone tampon, démobiliser les combattants rebelles et réunifier le pays sont menées. Les élections ont été reportées à nouveau en 2008, principalement pour des raisons de sécurité, permettant à Gbagbo de rester au pouvoir au-delà de son mandat.
Une «deuxième guerre civile ivoirienne» a éclaté après les élections présidentielles de décembre 2010. La Commission électorale a déclaré Ouattara vainqueur, alors que la Cour constitutionnelle aux mains du pouvoir a déclaré que Gbagbo avait gagné. La victoire de Ouattara a été confirmée par la communauté internationale. Cependant, Gbagbo a refusé d'accepter la défaite, entrainant une vague de violences qui se solde par la mort d’au moins 3000 personnes. En avril 2011, Gbagbo est capturé avec le concours de l’armée française, et Ouattara investi président.

Gbagbo a été transféré à la Cour pénale internationale (CPI) en novembre 2011, accusé de crimes contre l'humanité.

En juin 2011, Ouattara a créé une Commission nationale d'enquête, une cellule spéciale d'enquête et une commission Dialogue, Vérité et Réconciliation pour répondre aux abus commis pendant la crise postélectorale. En août 2012, la Commission nationale d'enquête a publié un résumé de son rapport, qui a confirmé que des crimes graves avaient été commis aussi bien par les forces pro Ouattara que par leurs adversaires pro Gbagbo, et a recommandé de traduire les responsables présumés devant la justice. Ces conclusions recoupent celles d’une commission internationale mandatée par l'ONU et les rapports d'enquête des groupes de défense des droits humains. Toutefois, seules les personnes qui étaient proches de Gabgbo durant le conflit ont jusqu'ici été poursuivies, en dépit des promesses répétées de justice impartiale à la fois par Ouattara et la CPI.

Mécanismes de justice transitionnelle

 

Cour pénale internationale: Il existe actuellement trois affaires relatives à la Côte d'Ivoire devant la CPI, avec deux personnes en détention en attente de jugement: l'ancien président Laurent Gbagbo et l'ancien ministre de la Jeunesse Charles Blé Goudé. Tous deux été transférés à la Cour par la Côte d'Ivoire. Le 11 mars dernier, la CPI a fait droit à la demande du procureur de joindre les procès de Gbagbo et Blé-Goudé, afin d'assurer l'efficacité et la rapidité de la procédure.

La CPI cherche également à obtenir le transfert de Simone Gbagbo, l'ancienne première dame, épouse de Laurent Gbagbo, mais la Côte d'Ivoire a jusqu'à présent refusé ce transfert. La CPI a été critiquée pour avoir poursuivi à ce jour seulement des proches de Gbagbo, alors que des proches de l'actuel président Alassane Ouattara sont également soupçonnés d'avoir commis des crimes graves. « La CPI n’a poursuivi aucun membre des forces qui ont combattu pour le président Alassane Ouattara », Human Rights Watch a déclaré en septembre 2014, « malgré les conclusions de deux commissions d’enquête, l’une internationale et l’autre ivoirienne, selon lesquelles les deux camps ont commis des crimes de guerre et de possibles crimes contre l’humanité ».

L’ex-président Gbagbo a été transféré à la CPI le 30 novembre 2011. Il doit répondre de quatre crimes contre l'humanité (meurtre, viol, autres actes inhumains ou – à titre subsidiaire – la tentative de meurtre, et persécution) dans le cadre de la violence post-électorale en Côte d'Ivoire en 2010 et 2011. Les accusations ont été confirmées le 12 juin 2014. Gbagbo est accusé personnellement de ces crimes, commis conjointement avec des membres de son entourage et les membres des forces qui le soutenaient. Gbagbo sera le premier ancien président à être jugé par la CPI.

L'ancien ministre de la Jeunesse Blé Goudé a été transféré à la CPI le 22 mars 2014. Il est poursuivi pour quatre chefs de crimes contre l'humanité -meurtre, viol, autres actes inhumains ou – à titre subsidiaire – tentative de meurtre, et persécution-, crimes perpétrés à Abidjan, en Côte d'Ivoire, entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril de 2011 ou vers cette date. Ces charges ont été confirmées le 11 décembre 2014. L'accusation a affirmé lors de l'audience qu'il «a mobilisé et manipulé" toute une génération de jeunes dans son pays, donnant des ordres quasi-militaires à une armée de jeunes Ivoiriens, les « Jeunes patriotes ».

L’ancienne Première dame Simone Gbagbo est également poursuivie par la CPI, qui a lancé un mandat d'arrêt à son encontre le 22 novembre 2012. Elle est soupçonnée de crimes contre l'humanité (assassinats, viols et autres violences sexuelles, persécutions et autres actes inhumains) commis pendant les violences post-électorales entre 2010 et 2011 en Côte d'Ivoire. Abidjan a jusqu'à présent refusé de la transférer, et a déposé une demande à la CPI pour la juger devant une juridiction nationale. En décembre 2014, la CPI a rejeté cette demande et a rappelé à Abidjan son obligation de transférer Simone Gbagbo «sans délai». Au lieu de cela, elle a été jugée à Abidjan et condamnée à 20 ans de prison (voir ci-dessous) en mars 2015.

Procès nationaux

Le 10 mars 2015, un tribunal d'Abidjan a condamné l'ancienne Première dame Simone Gbagbo à 20 ans de prison pour "atteinte à la sûreté de l'Etat, la participation à un mouvement insurrectionnel et de troubles à l'ordre public" au terme d’un procès commencé en décembre 2014. Simone et 78 autres ex-proches de son mari Laurent Gbagbo étaient jugés pour leur rôle dans la crise post-électorale 2010-2011.
Pascal Affi N'Guessan, le chef du Front populaire ivoirien (Front populaire ivoirien, FPI, parti de Laurent Gbagbo) a été condamné à 18 mois avec sursis, une peine couverte par les deux ans passés en détention provisoire. Michel Gbagbo, fils de l'ancien président Gbagbo d'un précédent mariage avec une Française, a été condamné à cinq ans de prison.
Inculpés, d'autres partisans pro-Gabgbo attendent encore de comparaître. Beaucoup sont maintenus en détention provisoire, selon les groupes défenseurs des droits de l'homme. En janvier 2015, une cinquantaine de hauts fonctionnaires ivoiriens qui avaient servi sous Gbagbo et avaient été arrêtés pour leur rôle dans la crise post-électorale de 2010 à 2011 ont été remis en liberté provisoire. Le procureur général Christophe Richard Adou a par ailleurs annoncé que les comptes bancaires d'une trentaine de politiciens pro-Gbagbo avaient été débloqués.
Personne, du côté Ouattara du conflit, n’a jusqu'ici été inculpé, en dépit des promesses de l'actuel président d’une « justice impartiale ». S’adressant à la presse en janvier 2015, il a promis que chaque cas serait porté devant les tribunaux. « La Commission nationale d'enquête a établi une liste de suspects», a déclaré Ouattara. « Ces personnes seront traduites devant les tribunaux. Ils auront à répondre de leurs actes présumés ». Il a suggéré qu'ils pourraient être amnistiés après leur procès. « Une fois que les jugements ont été rendus, le Chef de l'Etat a clairement certaines prérogatives de proposer des mesures de grâce et d'amnistie à l'Assemblée nationale », a déclaré Ouattara à la presse.

 

Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation

Quelques temps après la crise, le nouveau gouvernement du président Alassane Ouattara a annoncé l'établissement d'une Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) pour enquêter sur les violations des droits de l'homme et promouvoir la réconciliation nationale. Composée de onze membres, la Commission présidée par l'ancien Premier ministre Charles Konan Banny, a été investie en septembre 2011 avec un mandat initial de deux ans. Elle a produit un rapport préliminaire en novembre 2013, en se concentrant sur les causes du conflit, mais sans tenir d'audiences publiques. Son mandat a été renouvelé pour une autre année et ce sont finalement tenues trois semaines d'audiences publiques en septembre 2014, avec des témoignages de 80 personnes, y compris des victimes et des responsables présumés des violences. La Commission a présenté un rapport final au gouvernement en décembre 2014.

La Commission a été largement critiquée par les groupes ivoiriens représentant la société civile et les victimes et par les ONG. Les 80 témoignages publics ne représentaient qu'une fraction infime des quelques 70 000 déclarations de témoins reçues par la Commission. La couverture médiatique a également été limitée. « L'absence d'émissions de télévision de la commission et la faible couverture médiatique signifie que les déclarations des témoins importants ont eu peu d'impact à travers le pays », estime le Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ). « Cela pose la question de savoir si la Commission a pu remplir sa fonction de guérir les blessures nationales ».

La Commission a également été critiquée pour avoir été dirigée par un homme politique. Présentant le rapport final de la Commission au gouvernement, son président Konan Banny a déclaré que ses propositions comprennent l'introduction de journées nationales de commémoration et de pardon, et de jours de "dialogue national". Mais il a dit que cela ne servirait à rien à moins que des poursuites soient accélérées contre les auteurs présumés des crimes les plus graves. La Commission demande également que soient libérés les détenus qui ne sont pas considérés comme un danger pour la société. Le gouvernement affirme l’avoir fait. Selon le site Web du gouvernement, le président Ouattara a demandé au gouvernement « d'examiner le présent rapport et mettre en œuvre les recommandations jugées pertinentes pour achever ce processus ». Il a également annoncé l'allocation d'un budget de 10 milliards de francs CFA (17 millions $) pour des réparations aux victimes.