26.09.2002 - TPIR/MEDIAS - FERDINAND NAHIMANA SE DEFEND D'AVOIR EU UN CONTRÔLE SUR LA RTLM

Arusha, le 26 septembre, 2002 (FH) - Ferdinand Nahimana, un des promoteurs allégués de la Radio-télévision libre des Mille collines (RTLM), qui témoigne depuis une semaine pour sa propre cause, s'est constamment défendu D'avoir eu un quelconque contrôle sur cette station et son personnel pendant le génocide anti-tutsi et les massacres D'opposants qui ont fait un million de morts en 1994. Membre du comité D'initiative de la RTLM, Ferdinand Nahimana est coaccusé avec deux autres personnes dans le cadre du procès des "médias de la haine".

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Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) le poursuit notamment pour génocide, complicité dans le génocide, entente et incitation en vue du génocide et crimes contre l'humanité. Le parquet affirme que les émissions diffusées sur la RTLM sont responsables des massacres et de la persécution exercée contre les civils entre avril et juin 1994.

Ferdinand Nahimana a déclaré que la RTLM avait été créée pour promouvoir les idées de démocratie et de pluralisme mais qu'elle avait été détournée par les radicaux en 1994. "Je considérais que la société RTLM ne nous appartenait plus", a-t-il dit.

Né le 15 juin 1950 à Gatonde (province Ruhengeri, nord du Rwanda), Ferdinand Nahimana a dirigé l'Office rwandais D'information (ORINFOR), après plusieurs
années D'enseignement à l'université. En 1994, il était ministre désigné dans le gouvernement de transition à base élargie qui avait eu beaucoup de mal à entrer en fonction.

Se présentant comme un "gentleman", l'accusé affirme que de sa vie, il n'a jamais discriminé qui que ce soit. Ferdinand Nahimana explique qu'en conséquence il n'a, à aucun moment, adhéré au parti sectaire, la CDR, ou contribué à la création de la milice Interahamwe, considérée par le parquet comme le fer de lance du génocide. l'accusé se définit comme un homme épris de paix et un historien adepte de la thèse du peuple rwandais uni, "le peuple-nation" Parlant des crimes commis au Rwanda en 1994, Ferdinand Nahimana les a qualifiés de "comportement bestial, inhumain et indescriptible".

Une défense D'alibi
l'un des moments forts de sa déposition aura sans aucun doute été la présentation de son emploi du temps entre avril et juillet 1994, la période la plus sombre de l'histoire de son Rwanda natal.

D'entrée de jeu, l'accusé-témoin s’est placé en dehors de la sphère qui contrôlait la RTLM à cette époque. Son alibi commence bien avant le soir fatidique du 6 avril 1994, lorsque l'avion qui transportait l'ex-président Juvénal Habyarimana et son homologue burundais Cyprien Ntaryamira essuie des tirs de missiles et s'écrase près de l'aéroport de Kigali, déclenchant des massacres à travers tout le pays.

Ferdinand Nahimana déclare qu'il était "alité" dès le 29 mars 1994, "souffrant de malaria doublée de problèmes D'estomac que je traîne depuis
plusieurs années."

l'accusé raconte en ces termes le cauchemar des 6 et 7 avril 1994: "Toute la nuit, nous étions terrés. Nous avions peur. Et très tôt le matin, les tirs étaient entendus partout en ville. A six heures, sur Radio Rwanda, un communiqué du ministère de la défense nationale [confirmant la mort du président] a été diffusé. C’est alors que J'ai commencé à réaliser toute l'ampleur de la situation. Si bien que J'ai pris la décision de me réfugier à l'ambassade de France".

Ministre désigné, Ferdinand Nahimana avait des raisons de se sentir menacé. "Avec la reprise de la guerre, je pouvais être finalement la cible de la guerre ou de bandits qui profitent de la guerre", témoigne-t-il.

Se référant à l'histoire récente du Burundi voisin, Ferdinand Nahimana rappelle que "les dignitaires de Ndadaye [président hutu assassiné en octobre 1993] qui ont été sauvés, ce sont ceux qui se sont réfugiés dans les ambassades". Ferdinand Nahimana restera à l'ambassade de France à Kigali jusqu'au 12
avril, date à laquelle il sera évacué, en compagnie de plusieurs autres personnes, sur Bujumbura.

"Les Rwandais ont été conduits dans un hangar qui servait D'aérogare, les étrangers dans une nouvelle salle D'attente de l'aérogare de Bujumbura. Nous
sommes restés à cet endroit jusqu'au 17 avril".

Ferdinand Nahimana réfute au passage des allégations selon lesquelles, durant cette période, il aurait tenu une réunion dans sa commune natale de Gatonde, incitant aux massacres de Tutsis. "Comme dit le philosophe, on ne peut pas être et ne pas être à la fois", a déclaré Ferdinand Nahimana, sûr de son alibi.

Pris en charge par des organisations humanitaires, l'accusé poursuit son odyssée jusqu'à Bukavu (est de l'ex-Zaïre) où il demeure jusqu'au 23 avril. Il regagne ensuite le Rwanda par le poste-frontière de Cyangugu (sud-ouest). Ferdinand Nahimana se défend D'avoir alors tenté de renouer le contact avec la RTLM, affirmant : "J'avais beaucoup D'appréhension. J'étais préoccupé par mon sort, celui de ma femme et de mes enfants".

l'accusé ajoute que, durant cette période, il ne lui était pas possible D'écouter régulièrement cette station de radio émettant en fréquence modulée, Cyangugu se trouvant "dans une zone encaissée".

Des dysfonctionnements
Ferdinand Nahimana indique néanmoins avoir constaté des "dysfonctionnements" résultants de "l'appropriation de notre société RTLM par les radicaux, les extrémistes dont je ne partage pas la façon de voir et de faire". Fin mai 1994, Ferdinand Nahimana, en sa qualité D'historien, est convoqué par le président intérimaire, Théodore Sindikubwabo, qui lui propose de faire partie de sa délégation au sommet de l'Organisation de l'Unité Africaine prévu en Tunisie à la mi-juin.

"Je me disais que, si le gouvernement veut convaincre la communauté internationale, à commencer par l'OUA, je me serais comporté en mauvais patriote en ne participant pas à cet effort de paix"

De retour de Tunis, Ferdinand Nahimana travaillera "sporadiquement" comme conseiller du président Sindikubwabo, pour les affaires concernant l'opération militaire française au Rwanda, "La Turquoise". Il quittera le pays le 14 juillet 1994, suite à la victoire des rebelles à majorité tutsie du Front patriotique rwandais (FPR) sur l'ancien gouvernement pro-hutu.

Il transite par l'ex-Zaïre, le Congo Brazaville, et la République centrafricaine, avant de s'installer au Cameroun où il sera arrêté en mars 1996. Le temps de finir son ouvrage "l'élite hutue accusée" dans lequel il plaide notamment son innocence. Une copie de ce livre a été transmise au procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le Sud-africain Richard Goldstone. l'accusé regrette aujourD'hui qu'il ne l'ait utilisé à bon escient.

AT/CE/GF/FH (ME-0925A )