19.09.2002 - TPIR/MILITAIRES - ALISON DES FORGES ACHEVE SON TEMOIGNAGE POUR L’ACCUSATION

Arusha, le19 septembre 2002 (FH) – Alison Des Forges, l’historienne et activiste des droits de l’homme américaine, citée comme premier témoin de l’accusation, a conclu son témoignage en indiquant au Tribunal que des officiers rwandais avaient fusionné des initiatives de défense civile avec des actions militaires afin de combattre « l’ennemi ». Depuis le 2 septembre, date de reprise du procès des militaires, Mme Des Forges témoigne en tant que témoin expert.

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Tout du long, le procureur, Me Chile Eboe Osuji, lui a soumis une série de documents divers, incluant même une cassette vidéo.

En maintes occasions, la défense a soulevé des objections quant à la source, l’authenticité et les circonstances dans lesquelles ces documents ont été obtenus. Elle s’est notamment opposée à l’utilisation de l’agenda du colonel Bagosora, ancien chef de cabinet au Ministère de la Défense, un des quatre accusés dans ce procès. Selon elle, il aurait été volé et ne peut donc à ce titre faire office de preuve.

Chaque explication de Mme Des Forges sur les documents présentés tendait vers un même but : démontrer que les militaires avaient organisé et entraîné des milices avant le génocide.

La première semaine du témoignage de l’historienne fut difficile. La défense a d’abord soulevé des objections relatives à sa qualité d’expert, provoquant un débat « technique » de trois jours. Une fois Alison Des Forges admise en tant que témoin expert, la défense a ensuite objecté à nombre de preuves présentées par l’accusation. Son témoignage a réellement commencé sur le fond à partir de la seconde semaine.

Mise sur pied d’un système civil de défense

Depuis lundi, Mme Des Forges a commenté en détail les nombreux documents soumis par le parquet : des lettres, des communiqués de presse, des fax et une cassette vidéo, tous relatifs à des événements ayant eu lieu avant et pendant le génocide de 1994.

Parmi les documents figurait notamment une lettre de l’ex-chef des Armées, Deogratias Nsbimana, datée du 29 mars 1994, dans laquelle il appelle à un renforcement des mesures de défense civile.

Hier, Mme Des Forges a insisté sur l’importance du « système de défense civile » et sur sa manipulation par les militaires en vue de le contrôler. L’idée sous-jacente était, selon le témoin, de constituer une force d’appoint afin de soutenir l’armée régulière. Le président Habyarimana lui-même aurait mentionné l’utilité d’une telle force.

L’expert a ensuite indiqué que cette force, à l’origine un regroupement légitime de civils armés luttant contre une force militaire, avait été transformée en une armée de combattants s’en prenant à des personnes désarmées. Selon elle, « la cellule constituait l’unité de base de ce plan ». Certaines sources auraient indiqué que le colonel Bagosora était impliqué dans la gestion opérationnelle des activités de défense civile. Ces activités étaient sous la responsabilité des ministères de l’Intérieur et de la Défense.

Un certain nombre de personnes, dont des officiers à la retraite, ont été nommés à la tête de ce système à différents niveaux nationaux. Selon Mme Des Forges, c’est alors que celui-ci a fusionné avec des milices entraînées, «exploitant les ressources des milices afin de servir les buts de leurs promoteurs ». Elle a également souligné que les militaires étaient impliqués dans l’entraînement et dans l’approvisionnement en munitions des civils sélectionnés et des milices.

Mme Des Forges a aussi indiqué à la cour que le commandant de la force de maintien de la paix des Nations Unies au Rwanda, le général Romeo Dallaire,
avait prévenu de l’imminence d’actes de violences à Kigali, sans que son appel à l’aide soit entendu par les Nations Unies. Dans la même veine, elle
a mentionné l’analyse détaillée d’un officier belge concernant l’entraînement par l’armée de milices telles que les Interahamwe.

De plus, a déclaré le témoin, les autorités rwandaises ont tenu des meetings appelant au « pouvoir hutu » (Hutu Power) qui justifiaient les craintes des Hutus et leur haine des Tutsis. « La communauté internationale n’a rien fait. Voilà le concept politique qui a rendu le génocide possible » a-t-elle conclu.

« Je peux rester ici jusqu’en 2010 »
Les débats, depuis le début de la semaine, ont parfois été très tendus, notamment lors des objections répétées de la part de la défense. A un certain moment, le procureur a exhorté la défense à cesser de l’interrompre car le temps lui était compté. « Il me reste beaucoup de questions à poser » a déclaré Me Osuji. « Je le sais, a répondu le Canadien Paul Skolnik, l’avocat de Bagosora. Mais je peux rester ici jusqu’en 2010 ». « Nous frisons l’absurde » a conclu Me Osuji.

Face à ces arguments, la chambre a indiqué qu’elle permettrait à l’accusation de parachever son interrogatoire, même s’il fallait pour cela lui accorder du temps supplémentaire. Effectivement, le témoignage de Mme Des Forges pour l’accusation, qui devait s’achever mercredi midi, a continué jusqu’en fin d’après-midi.

Le procès des militaires se déroule devant la troisième chambre de première instance du TPIR, présidée par le juge George Lloyd Williams de Saint Kitts
et Nevis, et composée en outre des juges slovène Pavel Dolenc et sénégalaise Andrésie Vaz.

CE/SW/GF/FH (ML-0918e)