10.09.2002 - TPIR/MILITAIRES - BAGOSORA ETAIT l'HOMME CLE DE LA CRISE RWANDAISE, SELON ALISON DES FO

Arusha, le 10 septembre, 2002 (FH)-- l'ancien directeur de cabinet du ministère rwandais de la défense, le colonel Théoneste Bagosora, a joué un rôle central dans le déclenchement des massacres qui ont suivi l'attentat contre l'avion de l'ex-président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994. C'est ce qu'a exprimé l'historienne américaine et activiste des droits de l'homme, Alison Des Forges, lors de sa déposition, mardi, dans le procès de quatre hauts gradés des ex-Forces armées rwandaises (ex-FAR) en cours devant le tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

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Citée comme expert, le premier témoin de l'accusation a souligné le rôle clé de Bagosora entre le 6 avril et le 17 juillet 1994 : "Bagosora avait la charge des forces armées rwandaises. Il a joué un rôle majeur" dans les heures qui ont suivi la mort du président.

Comme à l'accoutumée, la défense de Bagosora s'est empressée de soulever une objection, faisant valoir que le témoin veut se substituer aux juges en prononçant un jugement contre son client. Désemparé et faisant sans doute allusion aux multiples objections qui se sont succédées depuis la reprise du procès la semaine dernière, le juge président de Saint Kitts et Nevis, George Williams a observé: "J'ai l'impression que ce procès risque de durer jusqu'à 2007". "Nous avançons à un rythme D'escargot", a-t-il souligné à plusieurs reprises.

Le parquet allègue qu'après la mort du président Habyarimana, Bagosora a pris "de facto" le contrôle des affaires politiques et militaires du pays. "Il s'est imposé comme l'homme de la situation à même de gérer la crise", selon la poursuite.

"[Bagosora] a pris la charge de la création D'un gouvernement (intérimaire) qui ne représentait qu'une seule tendance, celle du 'Hutu Power', dont l'idéologie était clairement anti-Tutsi", a soutenu Des Forges, expliquant que l'accusé avait facilité les réunions des partis politiques ainsi que les discussions ayant abouti à la formation de ce gouvernement.

Bagosora est co-accusé avec l'ancien responsable des opérations militaires à l'Etat major de l'armée, le général de brigade Gratien Kabiligi, l'ancien commandant de la région militaire de Gisenyi (ouest du Rwanda), le lieutenant-colonel Anatole Nsengiyumva, ainsi que l'ancien commandant du bataillon para-commando de Kigali, le major Aloys Ntabakuze. Ils sont notamment accusés D'entente en vue de commettre le génocide et de crimes de guerre. Ils plaident non coupables.

S'agissant du rôle joué par Nsegiyumva, Des Forges s'est appuyée sur des témoignages recueillis et conclu que, sous le commandement de l'accusé, "des
militaires ont participé à des attaques à Gisenyi comme ailleurs dans le pays". Nsengiyumva aurait, selon le témoin, envoyé des militaires en renfort à Bisesero (préfecture Kibuye, ouest du Rwanda ) pour prêter main forte aux milices qui attaquaient les Tutsis réfugiés à cet endroit en mai 1994.

La "Commission Bagosora".
Après que le Front Patriotique Rwanda (FPR), l'ex-mouvement rebelle actuellement au pouvoir à Kigali eut envahi le Rwanda à partir de l'Ouganda en octobre 1990, le président Habyarimana a mis sur pied une commission l'année suivante, dont la mission était D'abord de "définir l'ennemi", puis de le contenir.

Selon Des Forges, cette commission était composée D'une dizaine de hauts officiers dont Bagosora qui la présidait (D'où l'appellation 'Commission Bagosora'), Ntabakuze et Nsengiyumva. A l'époque, ce dernier était responsable des renseignements militaires. Le témoin a clarifié la mission de cette commission : il s'agissait, selon elle, de voir comment vaincre l'ennemi "sur le plan militaire, médiatique et politique".

Qualifiant ce rapport de "plan D'extermination contre les Tutsis", Des Forges a produit une lettre en annexe "signée" par le chef D'Etat major, le
colonel Déogratias Nsabimana, dont les destinataires étaient les commandants des différents secteurs, la police et la gendarmerie. Elle a ensuite produit
les noms de personnalités tutsies, de l'intérieur et de l'extérieur du pays, qui devaient être éliminées.

La défense a dans son ensemble émis des doutes sur la fiabilité de ce rapport et exigé que le procureur le produise dans sa totalité. "Le témoin ne nous a pas indiqué comment il a obtenu ce document, et le procureur se sert D'un extrait qui correspond le mieux à sa thèse", a plaidé le conseil de Nsengiyumva, le Kenyan Me Kennedy Ogetto.

Le juge Williams a admis l'extrait du document et demandé au procureur de remettre tout le rapport à la défense dès que possible.

Le procès des militaires se déroule devant la troisième chambre de première instance du TPIR comprenant outre le juge Williams, les juges, slovène, Pavel Dolenc, et sénégalaise, Andrésie Vaz.

La déposition D'Alison Des Forges va se poursuivre mercredi.

GA/FH (ML-0910A)