04.09.2002 - TPIR/MILITAIRES - ALISON DES FORGES ENFIN ADMISE COMME EXPERTE

Arusha, le 4 septembre, 2002 (FH) - Après trois jours de débats, dont deux passablement houleux, Alison Des Forges a enfin été admise mercredi comme experte du parquet dans "le procès de militaires". Agée de 59 ans, l’historienne américaine et activiste des droits de l'homme fait autorité sur le Rwanda grâce à de nombreux travaux de recherche sur le sujet, et un ouvrage de référence sur l’histoire du génocide : « Aucun témoin ne doit survivre ».

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Conseillère principale pour la division africaine au sein de Human Rights Watch, sa passion pour ce petit pays D'Afrique centrale, dévasté par un génocide sans précédent en 1994, est née au hasard D'une rencontre survenue à ses frontières. Les faits remontent à 1963. La jeune Alison Des Forges
enseignait alors l'anglais, en qualité de volontaire, dans un camp de réfugiés à l'ouest de la Tanzanie.

Le hasard a fait que ses élèves étaient des Rwandais qui avaient quitté leur pays à la suite de "la révolution sociale de 1959", considérée aujourD'hui par le parquet du TPIR comme "le début D'une période D'affrontements ethniques entre les Hutus et les Tutsis au Rwanda, provoquant au cours des années qui ont suivi des centaines de morts chez les Tutsis et l'exode de milliers D'entre eux".

La défense a profité de cette brèche pour l’accuser d’avoir sympathisé avec les Tutsis dès cette époque. "Il y avait des Tutsis, des Hutus et des Twas mais ils étaient à majorité tutsie", se défend l'experte. "Ce qui se produit tôt dans la vie des gens les transforme et forme leur système de valeurs", alléguait un avocat lors D'un précédent témoignage de l'experte devant le TPIR en mai 2002, à l’occasion du procès des médias.

"Mon système de valeur a été formé par mes parents et par l'environnement dans lequel J'ai vécu", avait-elle alors répondu.

Pas de carcan idéologique
Après avoir tenté de mettre en doute son objectivité, la défense a porté ses critiques sur le terrain de la méthodologie de l’activiste américaine. Se définissant comme une "iconoclaste", elle explique, devant des avocats convaincus du contraire, qu'elle est une chercheuse soucieuse de présenter les faits sans s'enfermer dans un carcan idéologique ou une quelconque théorie.

Les avocats ont ensuite estimé que Mme Des Forges n'était pas compétente pour parler de la période du génocide. Ils ont mis en avant sa thèse de doctorat, qui portait sur l'histoire du Rwanda dans les années 1930. Ils ont également dénoncé son manque de formation universitaire en matière de droits de l'homme pour contester son rapport D'expertise soumise au TPIR.

Lors des débat de lundi et mardi, les critiques adressées à l’historienne américaine ont parfois été très virulentes. En mai 2002, Alison Des Forges avait déjà subi le feu de telles critiques.

Mercredi, les juges ont enfin rendu leur décision et tranché en faveur du parquet. La chambre a ainsi autorisé Alison Des Forges à témoigner comme
experte en histoire du Rwanda et en matière de droits de l'homme. Les huit cent pages du livre "Aucun témoin ne doit survivre" semblent finalement avoir convaincu les juges de sa parfaite connaissance des violations des droits de l'homme qui se sont produits au Rwanda dans les années 1990.

Pour autant, et sans doute pour étouffer toute velléité D'appel de cette décision, les juges ont tenu à rappeler qu'ils sont des magistrats professionnels et qu’à ce titre, ils ne sauraient être "contaminés" par l’ opinion D'un expert.

Alison Des Forges entend démontrer le rôle de la hiérarchie militaire pendant le génocide.

Le procès des militaires concerne l'ancien directeur de cabinet au ministère de la défense, le colonel Théoneste Bagosora, l'ancien chef des opérations militaires à l'Etat-major de l'armée, le général de brigade Gratien Kabiligi, l'ancien responsable des renseignements militaires, le lieutenant-colonel Anatole Nsengiyumva, ainsi que l'ancien commandant du battallon para-commando de Kigali, le major Aloys Ntabakuze.

Selon le livre "Aucun témoin ne doit survivre", lors du génocide,"les soldats et les gendarmes, en service actif ou à la retraite, tuèrent des civils. Ils donnèrent l'autorisation, montrèrent l'exemple et ordonnèrent à D'autres de tuer. Bien que moins nombreux que les tueurs civils, les militaires jouèrent un rôle décisif en déclenchant le massacre et en l'orchestrant. " Les accusés plaident non coupables.

Le document ajoute que "quelle que soit la responsabilité des individus ou des unités, la participation systématique et à grande échelle des militaires pendant toute la durée du génocide, démontre que leur rôle fut dicté ou approuvé par les plus hautes autorités à l'échelon national".

Le procès se déroule devant la troisième chambre de première instance du TPIR présidée par le juge de Saint-Kitts et Nevis George Williams, assisté des juges slovène Pavel Dolenc et sénégalaise Andrésie Vaz.

AT/FH(ML-0904A)