"Parmi les principaux responsables du génocide commis au Rwanda en 1994 se trouvaient les quatre accusés dont le procès commence", avait indiqué, l'air
grave, le procureur en chef du TPIR, Carla del Ponte, au mois D'avril. Le procès s'est en effet ouvert de façon purement symbolique le 2 avril dernier, avec la déclaration liminaire du procureur. Puis, les débats ont été reportés au mois de septembre, le parquet n'ayant pas communiqué plusieurs pièces du dossier à la défense.
Les accusés avaient pour leur part pris l'option risquée de boycotter cette séance inaugurale, pour protester contre ce manquement du procureur, qualifié de violation du droit à un procès équitable. Les avocats de la défense ont, pour leur part, unanimement parlé de "show médiatique". Consciente de ce rendez-vous raté avec l'histoire, Carla del Ponte a depuis remplacé le juriste en charge du dossier, le Canado-Nigérian Chile Eboe-Osuji, par l'Américaine Barbara Mulvaney.
Comme au mois D'avril, Carla del Ponte sera présente au prétoire le 2 septembre. Elle espère une reprise moins problématique du procès. Néanmoins à la veille de cette séance de rattrapage, quelques signes de malaise transparaissent. l'accusation admet timidement que la nomination D'un nouveau chef D'équipe, à quelques semaines de la reprise de ce procès capital, n'est pas "une solution idéale.". Côté défense, les jérémiades sur la communication des documents ont repris, car il y aurait encore "beaucoup de pièces" manquantes. Pour assombrir davantage le tableau, l'avocat principal du major Ntabakuze, Me Clemente Monterosso, vient de démissionner, tandis que plusieurs autres avocats, jusque vendredi, avaient des problèmes de santé.
l'homme le plus puissant du pays
Dans ce procès, le parquet entend démontrer la thèse de la conspiration en vue de génocide. Et il ne lésine pas sur les moyens: 250 témoins sont annoncés pour étayer la centaine de pages de l'acte D'accusation. "Ces crimes nous touchent, ils sont une offense à la dignité humaine", déclarait Carla del Ponte au mois D'avril.
Si le procureur en chef regrette que "ce Tribunal ne pourra malheureusement jamais écrire toute l'histoire de la tragédie rwandaise, de sa genèse, de sa réalisation", elle explique que son mandat est D'identifier et de poursuivre les principaux responsables de ces crimes. "C'est dans le cadre de cette stratégie que nous avons mis en accusation Théoneste Bagosora, Anatole Nsengiyumva, Gratien Kabiligi et Aloys Ntabakuze". Pour le procureur, "Théoneste Bagosora était, en 1994, l'homme le plus puissant du pays ".
Le parquet affirme qu'après l'attentat contre l'avion de l'ancien président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, Bagosora a "de facto" pris le contrôle des affaires politiques et militaires du Rwanda."Il s'est imposé comme l'homme de la situation à même de gérer la crise", selon le parquet.
Le parquet allègue que de fin 1990 à juillet 1994, Théoneste Bagosora et D'autres, dont ses coaccusés, se sont entendus pour élaborer un plan "machiavélique" dans l'intention D'éliminer la population civile tutsie et des membres de l'opposition, afin de se maintenir au pouvoir. Selon l'accusation, le colonel Bagosora, a déclaré, à différentes occasions, que la solution à la guerre était de faire sombrer le pays dans l'apocalypse pour éliminer tous les Tutsis et ainsi assurer une paix durable.
Les accusés plaident non coupables.
Une procédure lente Le colonel Théoneste Bagosora, 61 ans, a été arrêté au Cameroun le 9 mars 1996 et transféré à Arusha le 23 janvier 1997. Il est défendu par l'avocat français Me Raphaël Constant et le Canadien Me Jacques La Rochelle.
Anatole Nsengiyumva, 52 ans, a été arrêté, également au Cameroun, le 27 mars 1996 et transféré à Arusha le 23 janvier 1997. Il est représenté par des avocats kenyans Me Kennedy Ogetto et Otachi Bw'Omanwa.
Aloys Ntabakuze, 48 ans, a été pour sa part arrêté au Kenya le 18 juillet 1997. Il est représenté par l'avocat canadien Me André Tremblay. Son avocat principal, Me Clemente Monterosso, du barreau du Qubéc, s'est retiré du dossier cette semaine.
Gratien Kabiligi, 51 ans, a été également arrêté au Kenya en juillet 1997. Il est défendu par Me Jean Yaovi Degli des barreaux du Togo et de Paris, et Me Sylvia Olympia exerçant en France.
Pour certains observateurs, ce «procès des militaires» illustre de manière flagrante la lenteur des procédures au TPIR. Un rapport publié le 1er août par International Crisis Group (ICG), une ONG basée à Bruxelles, relève, entre autres, la durée excessive de la détention avant-procès au TPIR, comparativement au Tribunal de l'ONU pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).
"Imagine-t-on les Milosevic, Karadzic ou Mladic attendre en prison entre quatre et six ans avant D'être jugés ? Ce qui est impensable au TPIY à La Haye doit l'être pour le TPIR à Arusha. Dans ce contexte, les magistrats doivent vigoureusement renforcer les réformes qu'ils ont partiellement engagées pour accélérer les procédures", suggère ICG.
Les avocats de la défense ont à plusieurs reprises réclamé la libération provisoire de leurs clients, mais ils se sont chaque fois trouvés face à des chambres imperméables à leur arsenal juridique.
Dans les milieux de la défense, on soupire, résigné, qu'au TPIR, contrairement à ce qui se passe dans les pays "civilisés", la détention s'est érigée en règle D'or plutôt qu'en exception.
AT/FH(ML-0830C)